Dans la communion du Saint-Esprit
La communion fraternelle: c’est ainsi que Jean Hassenforder traduit le concept de fellowship, caractéristique majeure du Saint-Esprit selon le théologien Jürgen Moltmann, dont il analyse ici une partie du livre (non traduit) The Source of Life. Communion à double détente puisque pour Moltmann, «dans la communion du Saint-Esprit avec nous tous, nous faisons l’expérience de la proximité de la vie divine et aussi l’expérience de notre vie mortelle comme une vie qui est éternelle».
Texte publié sur Vivre & Espérer.
«In the fellowship of the Holy Spirit» est le titre d’un chapitre du livre de Jürgen Moltmann The source of Life. The Holy Spirit and the Theology of Life (1). Ce livre, inédit en français, se propose d’exposer une théologie du Saint-Esprit à l’intention d’un vaste public, à la suite du livre The Spirit of Life (1992) traduit en français en 1999 sous le titre L’Esprit qui donne la vie. Dans ce chapitre, Jürgen Moltmann nous introduit à la personnalité du Saint-Esprit à travers une caractéristique majeure: la fellowship, ce terme évoquant par ailleurs le potentiel chaleureux de la vie associative et pouvant dans ce cas se traduire en français par toute une gamme de termes : amitié, fraternité, communion…
«Dans la communion d’un Dieu trinitaire, Père, Fils et Saint Esprit, le Saint-Esprit vient à notre rencontre et il communique avec nous, comme nous avec lui. De fait, il nous permet d’entrer en communion avec Dieu. Avec lui, la vie divine nous est communiquée et Dieu participe à notre vie humaine. Ce qui advient ainsi dans la manifestation de l’Esprit n’est rien moins qu’une communion avec Dieu («fellowship with God»)» (p.190).
Cette lecture nous est précieuse parce qu’elle nous permet d’apprendre à vivre avec le Dieu vivant («The living God») en nous, pour nous, avec nous .
La communion: une caractéristique de l’Esprit
«Que la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ et l’amour de Dieu et la communion (fellowship) de l’Esprit soient avec vous tous.» Ainsi s’énonce une ancienne bénédiction chrétienne (2 Corinthiens 13,13). Jürgen Moltmann s’interroge: «Pourquoi le don particulier de l’Esprit est-il perçu comme la communion (fellowship), alors que la grâce est attribuée à Christ et l’amour à Dieu le Père ?». Cette caractéristique a des conséquences considérables.
«Dans cette communion, l’Esprit est davantage qu’une force vitale neutre. L’Esprit est Dieu lui-même en personne. Il entre en communion avec les croyants et les attire en communion avec lui. Il est capable de communion et désire la communion» (p.89).
Les vertus de la communion fraternelle
Le terme fellowship est difficile à traduire ici car, dans la vie courante, il s’applique aussi à l’esprit associatif et on peut l’évoquer en terme de fraternité; nous utiliserons ici le terme communion fraternelle.
«La communion fraternelle ne s’impose pas par la force et par la possession. Elle libère. Nous offrons une part de nous-même et nous partageons la vie d’une autre personne. La communion fraternelle se vit dans une participation réciproque et une acceptation mutuelle. La communion fraternelle surgit quand des gens qui sont différents trouvent quelque chose en commun et que ce quelque chose en commun est partagé par différentes personnes… Il y a communion fraternelle dans une relation mutuelle: des fraternités engendrées par une vie partagée. Dans la plupart des fraternités humaines, les objectifs et les relations personnelles sont liés» (p.89).
Et la communion fraternelle peut s’établir entre gens semblables, mais aussi entre gens différents.
La communion du Saint-Esprit: un phénomène original
Si on considère cette communion fraternelle dans le genre humain, qu’en est-il de la communion fraternelle, telle qu’elle se manifeste à travers le Saint-Esprit ?
«Si nous nous rappelons les différentes connotations et les différents significations de la fraternité humaine, alors la communion du Saint-Esprit avec nous tous devient un phénomène tout à fait étonnant. Dans l’Esprit, Dieu rentre en communion avec les hommes et les femmes: La vie divine nous est communiquée et Dieu participe à notre vie humaine. Dieu agit sur nous à travers sa proximité éveillante et vivifiante et nous agissons sur Dieu à travers nos vies, nos joies et nos souffrances. Ce qui advient en étant dans l’Esprit de vie n’est rien moins que la ‘fellowship’, la communion fraternelle avec Dieu. Dieu est impliqué en nous, nous répond et nous lui répondons. C’est pourquoi l’Esprit peut porter de bons fruits en nous et c’est pourquoi nous pouvons aussi peiner et éteindre l’Esprit. En l’Esprit, Dieu est comme un mari, une épouse, un partenaire. Il nous accompagne et partage nos souffrances. Le Saint-Esprit ne se comporte pas avec nous d’une manière dominatrice, mais avec tendresse et prévenance. De fait dans un esprit de communion fraternelle» (p.90).
Avec le Saint Esprit, entrer dans la communion de Dieu trinitaire
Cependant, nous devons envisager la communion fraternelle de l’Esprit avec nous dans un paysage bien plus vaste.
«Le Saint-Esprit n’entre pas seulement en communion avec nous et ne nous attire pas simplement en communion avec lui. L’Esprit lui-même – elle-même – existe en communion avec le Père et le Fils, ‘d’éternité en éternité’, et est adoré et glorifié ensemble avec le Père et le Fils comme le dit le credo de Nicée. Ainsi, la communion de l’Esprit avec nous se cache dans la communion éternelle avec Christ et le Père de Jésus-Christ. La communion du Saint-Esprit avec nous correspond à sa communion divine éternelle. Elle ne correspond pas seulement à cette communion, elle est elle-même cette communion. Ainsi dans la communion de l’Esprit, nous sommes liés au Dieu trinitaire, pas seulement extérieurement, mais intérieurement. À travers l’Esprit, nous sommes attirés dans la symbiose éternelle ou la communion vivante du Père, du Fils et de l’Esprit, et nos vies humaines limitées participent au mouvement circulaire éternel de la vie divine. Ainsi, dans la communion du Saint-Esprit avec nous tous, nous faisons l’expérience de la proximité de la vie divine et aussi l’expérience de notre vie mortelle comme une vie qui est éternelle. Nous sommes en Dieu et Dieu est en nous… Dans la communion du Saint-Esprit, la Trinité divine est si grande ouverte que la création entière peut y demeurer. C’est une communion qui invite: »Qu’ils puissent tous être en nous », telle est la prière de Jésus dans l’évangile de Jean (Jean 17,21)» (pp.90-91).
Une unité respectueuse de la diversité
Cette description de la place et du rôle du Saint Esprit dans la communion trinitaire peut-elle nous apprendre quelque chose sur le genre d’unité que les croyants vont développer dans la communion de l’Esprit ? Est-ce que l’Esprit se manifeste essentiellement dans l’animation de la communauté ou bien particulièrement dans la vie individuelle des croyants ? Jürgen Moltmann récuse cette alternative tranchée:
«La communion du Saint Esprit ne renforce ni l’individualisme protestant dans la foi, ni le collectivisme ecclésial catholique. L’expérience de la riche variété des dons de l’Esprit est aussi primordiale que l’expérience de la communion dans l’Esprit. »Il y a une variété de dons, mais c’est le même Esprit » (1 Corinthiens 12,4)… L’expérience de la liberté qui donne à chacun ce qui lui est propre (1 Corinthiens 12,11) est inséparable de l’expérience de l’amour qui unit les gens ensemble dans l’Esprit. La vraie unité des croyants dans la communion de l’Esprit est une image et un reflet de la Trinité de Dieu et de la communion de Dieu dans des relations personnelles différentes. Ni une conscience collective qui réprime l’individualité des personnes, ni une conscience individuelle qui néglige ce qui est commun ne peuvent exprimer cela. Dans l’Esprit, personnalité et socialité viennent ensemble et sont complémentaires» (p.92).
Le chapitre «In the fellowship of the Spirit» se poursuit en deux autres séquences: «L’Église dans la communion de l’Esprit» et «La communion fraternelle entre les générations et les sexes».
La pensée théologique de Moltmann est entrée dans une nouvelle étape créative au début des années 1990 à travers sa théologie de la création, sa nouvelle théologie trinitaire et sa théologie de l’Esprit (2). Le livre La source de vie s’inscrit dans ce mouvement et, dans ce passage inspirant, évoque pour nous la présence divine comme une communion en rapport avec l’expérience de la communion fraternelle.
Illustration: fresque représentant le Saint-Esprit au monastère de Žiča (Serbie, 14e siècle, photo BrankaVV, CC BY-SA 4.0 Deed).
(1) Jürgen Moltmann. The source of Life. The Holy Spirit and the Theology of Life, Fortress Press, 1997.
(2) Pour une vision holistique de l’Esprit, Vivre&Espérer, 2 avril 2021.