Empreinte carbone du numérique: les surprises d'une évaluation enfin précise - Forum protestant

Empreinte carbone du numérique: les surprises d’une évaluation enfin précise

S’il est une question particulièrement importante et particulièrement mal connue du grand public, c’est celle de «l’empreinte carbone de l’usage d’Internet et des réseaux de communication». L’idée répandue que les centres de données (data centers) et les flux vidéo représentent l’essentiel de cette empreinte est contredite par une récente étude transversale qui montre que «le point dur» est plutôt «la multiplication et le renouvellement incessant des terminaux», ce qui montre «l’entrelacement subtil des pratiques publicitaires des fabricants, de la course à la dernière nouveauté de la part des consommateurs et de l’obsolescence programmée»… et que l’information sérieuse a parfois bien du mal à passer dans les médias.

Texte publié sur Tendances, Espérance.

 

On glose beaucoup sur l’empreinte carbone de l’usage d’Internet et des réseaux de communication. J’ai, par le passé, essayé de démêler ce qu’il en était exactement et j’ai eu la surprise de découvrir qu’il n’y avait aucune estimation un peu complète et précise du phénomène. D’article en article, on trouve des évaluations partielles et sommaires, des affirmations pas toujours solides et mal raccordées entre elles. On crie au loup, mais sans s’assurer de ce qu’on dit. Même les sites officiels ne donnaient que des bouts de calcul. C’est, en fait, le type d’attitude qui dessert, inévitablement, le but qu’on prétend suivre: si on veut rendre attentif aux conséquences de certains choix, il est contreproductif de tirer le signal d’alarme sans savoir exactement quelle est l’étendue de l’alarme. Les sceptiques ont, ensuite, beau jeu de dire que l’on s’affole pour rien.

L’étude remarquable du collectif GreenIT

En septembre 2019, enfin, le collectif GreenIT a fait paraître une étude transversale (1), qui précise le champ étudié ainsi que les éléments pris en compte et qui essaye de peser globalement la contribution des différents éléments de la chaîne du numérique. La méthode employée est celle du cycle de vie: on analyse l’ensemble de l’empreinte d’un équipement (puis d’une chaîne d’équipements connectés entre eux) tout au long de sa durée de vie, depuis sa construction, en passant par sa commercialisation et son usage, puis sa mise au rebut (ou son recyclage). Le périmètre de l’étude porte sur tous les systèmes qui se terminent par un équipement qui utilise des données numériques: ordinateurs, smartphones, imprimantes, consoles de jeu vidéo, télévisions connectées à une box, etc. Et elle inclut aussi bien l’usage des entreprises que celui des particuliers.

L’empreinte environnementale ne se limite pas à l’empreinte carbone. Plusieurs critères sont pris en compte. La consommation de métaux rares, par exemple, est un des enjeux. Le récent rapport de l’Arcep (autorité de régulation du secteur du numérique) Pour un numérique soutenable (2) a tenté une synthèse en pondérant les différents critères. Suivant que l’on regarde plutôt l’empreinte carbone ou plutôt la consommation des ressources, les pourcentages respectifs ne sont pas exactement les mêmes. Mais les ordres de grandeur sont quand même assez semblables d’un critère à l’autre. Les différentes empreintes augmentent, au fil du temps. Là, rien de nouveau. La valeur de l’étude est plus de peser le poids respectif des divers éléments. Voilà ce que cela donne, en se concentrant sur tout ce qui transite par Internet (pour des résultats plus fins, on invite le lecteur à se reporter au rapport de GreenIT sur lequel s’appuie largement le rapport de l’Arcep).

 

Répartition de l’empreinte environnementale du numérique en France sur la chaîne d’accès à internet (p.13 du rapport Pour un numérique soutenable).

 

Et là, surprise: on glose beaucoup sur la consommation des centres de données (les data centers, en anglais) et sur les flux vidéos, mais ce n’est pas là l’essentiel du problème. Ce qui se passe est que les centres de données ont fait des économies d’énergie considérables ces dernières années et ont inventé des solutions de climatisation de leurs installations bien plus efficientes. En fait, le point dur est la multiplication et le renouvellement incessant des terminaux. Les écrans sont plus grands (et notamment les télévisions), consomment plus d’électricité pour fonctionner et plus de ressources (métaux et énergie) pour leur fabrication. Par ailleurs, les supports se diversifient sans cesse; les objets connectés sont la dernière tendance à la mode. Au total, la consommation des équipements connectés (faible, équipement par équipement) est bien plus élevée que celle des datas centers et leur fabrication a une empreinte environnementale énorme. En général, l’empreinte liée à la fabrication est plus importante que l’empreinte liée à l’usage. Comme le rappelle le rapport de l’Arcep: «La production d’un téléphone mobile nécessite soixante métaux différents dont seulement une vingtaine sont recyclables et 32 kg de matière brute sont requis pour produire une puce électronique de 2 grammes».

En clair, l’action la plus efficace que l’on peut avoir pour préserver l’environnement est de limiter le nombre d’interfaces que l’on utilise, de racheter moins souvent lesdits équipements et de limiter la taille des écrans (notamment de télévision). Voilà quelque chose qui est à la portée de chacun et qui montre l’entrelacement subtil des pratiques publicitaires des fabricants, de la course à la dernière nouveauté de la part des consommateurs et de l’obsolescence programmée. Quant à l’usage des équipements que l’on possède, il a certes un effet, mais de deuxième rang.

 

De la difficulté d’y voir clair

Ces considérations peuvent sembler passablement techniques, mais elles montrent la difficulté qu’il y a, aujourd’hui, à agir à bon escient et la facilité avec laquelle on peut se contenter de raisonnements partiels et d’affirmations approximatives. Qui dit vie instrumentée et technicisée, dit complication des critères de choix. Est-ce que des médiateurs ne peuvent pas nous déblayer le terrain et simplifier les questions? Si, c’est précisément ce qu’a fait le collectif GreenIT. Mais cela montre aussi l’importance, pour tout un chacun, de faire pression sur les organes d’information pour qu’ils fassent mieux leur travail. Il est bien plus facile d’écrire un article avec un titre racoleur et d’enfiler quelques bribes de constats collectés à droite et à gauche que de creuser une question jusqu’à parvenir à une vision d’ensemble du problème.

On déplore, dans les milieux cultivés, la prolifération des fake news et des arguments populistes. D’accord. Pour ma part je suis las de lire des articles de presse bâclés qui, mis bout à bout, finissent par dire tout et son contraire et ne fournissent aucun repère pour que le lecteur de bonne volonté se fasse sa propre opinion. En l’espèce, d’ailleurs, je vous recommande de vous reporter vous-mêmes aux rapports que j’ai cités ici, plutôt que de vous limiter au résumé sommaire que j’en ai fait.

Il faut beaucoup de temps pour creuser une question, mais on peut aussi passer beaucoup de temps à sautiller de droite à gauche et à surfer sur des textes qui restent à la surface des choses.

Je défends là, sans doute, une conception plutôt exigeante de la vérité, mais cette « porte étroite », pour reprendre l’expression de l’évangile (Matthieu 7,13-14), est celle qui est porteuse de vie. Les larges avenues des affirmations hâtives, péremptoires et vite contredites ne nous mènent nulle part.

 

Illustration: rayon des télévisions dans une grande surface (photo CC-Prixbas).

(1) Green IT.fr, Empreinte environnementale du numérique mondial, octobre 2019. Le rapport complet peut être téléchargé en PDF ici. Créée en 2004, Green IT.fr «est la communauté des acteurs du numérique responsable qui s’intéressent, entre autre, à la sobriété numérique,à l’écoconception des services numériques, à la lowtech, et plus globalement à un avenir numérique alternatif».


(2) Pour un numérique soutenable, rapport d’étape, synthèse de la plateforme de travail et 11 propositions de l’Arcep pour conjuguer développement des usages et réduction de l’empreinte environnementale du numérique, 15 décembre 2020, à télécharger sur le site de l’Arcep.

Commentaires sur "Empreinte carbone du numérique: les surprises d’une évaluation enfin précise"

  • Philippe Malidor

    Merci, Frédéric, pour cet article qui me soulage: je ne croyais pas à ces légendes sur les consommations soi-disant pharaoniques des data centers. Sans oublier que le numérique (on le voit pendant le Covid) fait économiser du pétrole en diminuant les transports, et du bois en diminuant l’impression papier. Il faudrait prendre en compte les effets collatéraux du numérique. Et ces remarques viennent d’un type assez passéiste et peu geek…

    Il faudrait faire la même étude sur la voiture électrique (imposture complète!), sur ce qu’il en coûte à l’environnement de remplacer une voiture de 20 ans qui consomme 6l/100 pour en acheter une neuve qui consomme 5l/100, etc. Le Monde en avait quand même un peu parlé (fabriquer une voiture est un équivalent 180000 km environ). Le remplacement effréné du matériel est une plaie, sans doute la pire. Donc, merci pour ton article!

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