Un président en première ligne - Forum protestant

Un président en première ligne

Nouvel élan ? La démission d’Élisabeth Borne et la nomination de Gabriel Attal comme premier ministre ne trancheront pas «le nœud gordien qui serre notre vie politique», c’est à dire l’absence de majorité gouvernementale à l’Assemblée. Pour le politologue Bruno Cautrès (interrogé par Frédérick Casadesus), malgré les gros grains auxquels devra faire face dans les prochains mois le navire gouvernemental, une dissolution serait pour le président un scénario trop «coûteux, sur un plan symbolique et sur un plan politique».

Chroniques et entretien publiés sur Le blog de Frédérick Casadesus.

 

 

Démission d’Élisabeth Borne le lundi 8 janvier : quand un président cherche son souffle

Tout n’est pas politicien dans une vie politique. Au matin du 17 juillet 1984, en présentant sa démission du poste de Premier ministre, Pierre Mauroy, dit-on, versa quelques larmes. Et l’un de ses proches collaborateurs, Jean-Michel Rosenfeld, écrivit presque trente ans plus tard:

«Un homme politique n’est pas un animal à sang froid. Il est souvent bouleversé par les passions funestes et les nobles causes».

Qu’en pense la femme remerciée lundi 8 janvier ? Tant d’énergie déployée, tant de négociations nocturnes et de votes bloqués pour en arriver là, par un après-midi sinistre d’hiver… Élisabeth Borne, quoi que l’on pense de la politique qu’elle a conduite, ne s’est jamais départie d’une dignité véritable. Un brin rigide ? À trop se donner le visage du sacrifice, peut-être avait-elle anticipé sa propre chute. Mais n’anticipons pas, justement: la politique est une aventure au long cours et rien ne dit que cette femme courageuse n’aura pas un jour, pour reprendre les mots que jadis prononça Georges Pompidou, «si Dieu le veut, un destin national».

 

Un nouvel élan ?

En procédant à un tel remaniement, le président de la République a sans doute le désir de donner à son second mandat ce que l’on appelle un nouvel élan. Soit.

Bruno Cautrès, chercheur au Centre de Recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) estime que cette perspective tient du pari de Pascal, ou de la promesse que l’on se fait à soi-même.

«Il est vrai que la seule façon de trancher le nœud gordien qui serre notre vie politique consisterait à dissoudre l’Assemblée nationale, analyse-t-il. En redonnant la parole au peuple, Emmanuel Macron tirerait la leçon du fait qu’un changement de Premier ministre ne lui donnerait pas plus de majorité au Parlement qu’il n’en dispose aujourd’hui. Mais pareil scénario serait très coûteux, sur un plan symbolique et sur un plan politique. D’une part, il signifierait que le chef de l’État remet en question la volonté populaire telle qu’elle s’est exprimée, voici moins de deux ans, lors des élections législatives. D’autre part, et cet argument rejoint le précédent, toute dissolution réclame une explication simple qui puisse être acceptée par l’opinion.»

Les précédents sous la Ve

Quelques exemples illustrent cette affirmation. Lorsqu’en 1981 comme en 1988, élu puis réélu, François Mitterrand, confronté à des députés qui lui étaient hostiles, a pu sans crainte justifier la dissolution de l’Assemblée. Mais en 1997, alors qu’il disposait d’une majorité confortable, Jacques Chirac a eu toutes les peines du monde à faire accepter la même décision.

«Le vrai risque pour Emmanuel Macron, le pire de tous, consisterait à ce que les électeurs lui renvoient une majorité à l’identique ou presque, estime Bruno Cautrès, car alors il n’aurait plus d’autre solution, pour sortir du blocage, que de démissionner lui-même.»

On comprend pourquoi l’hypothèse d’une dissolution paraît très improbable. Mais n’allons pas croire qu’un changement de Premier ministre aille de soi pour autant. Pour mener à bien pareille opération, il faut avoir, là encore, un argument compréhensible et acceptable par l’opinion.

«La nomination de Jean Castex en remplacement d’Édouard Philippe en est le modèle, observe Bruno Cautrès. La lutte contre la Covid imposait d’impliquer les territoires et la personnalité du maire de Prades correspondait à cette nouvelle orientation. Cette fois-ci, on voit mal ce qui justifie le départ d’Élisabeth Borne: soit elle est incapable de résoudre le manque de majorité à l’Assemblée, mais alors, pourquoi l’avoir maintenue depuis un an et demi, soit elle est épuisée, mais alors, il faut admettre que le changement de Premier ministre ne garantit pas l’obtention, par le pouvoir exécutif, d’une majorité.»

Dans ces conditions, donner un nouveau visage à la même politique a-t-il une chance de redonner de la puissance ou de l’élan au Président ?

Rien n’est moins assuré: certains des noms qui ont été cités ces jours-ci ne sont pas très connus du grand public (Julien Denormandie, Sébastien Lecornu), d’autres comptent parmi les stars du macronisme (Bruno Le Maire, Gabriel Attal).

«Quels que soient les choix qui seront faits, note Bruno Cautrès, les échéances électorales qui s’annoncent ne sont pas de tout repos.»

Sans surprise, le Président reste en première ligne.

 

Nomination de Gabriel Attal le mardi 9 janvier: l’équation politique demeure

En nommant Gabriel Attal Premier ministre, le président de la République cherche à profiter de la popularité que cet homme encore jeune a su acquérir en tant que ministre de l’Éducation nationale. Fermeté des intentions, clarté d’expression, cohérence, on peut dire que Gabriel Attal a réussi à incarner une politique – par ailleurs, comme il est normal en démocratie, contestable et contestée. Mais cela suffira-t-il ? (…)

Jeune, élégant, disposant d’une autorité naturelle, capable de s’exprimer de façon claire aussi bien qu’élégante, le moins que l’on puisse dire est que Gabriel Attal possède un certain nombre de qualités. Notons au passage, pour nous en réjouir, que l’homosexualité assumée du Premier ministre n’est plus un sujet, preuve que les mœurs ont évolué depuis vingt ans.

Mais l’équation politique demeure: le Président de la République et son Premier ministre n’auront pas plus de majorité demain matin que la semaine dernière.

 

Trop bref passage à l’Éducation nationale ?

De surcroît, le personnel de l’Éducation Nationale et les parents d’élèves – les uns et les autres ne partageant peut-être pas les mêmes attentes – à bon droit pourront s’offusquer d’une telle nomination: alors même qu’il avait lancé un vaste chantier de réformes ambitieuses, le ministre quitte le navire après seulement quelques mois passés rue de Grenelle. On pourrait certes imaginer que Gabriel Attal cumule deux fonctions, mais on doute qu’Emmanuel Macron lui laisse pareille opportunité. Lorsqu’en 1983 François Mitterrand proposa à Jacques Delors de devenir Premier ministre, celui-ci réclama le droit d’être à la fois le chef du gouvernement et le ministre des Finances; aussitôt, le Président se raidit et déclara: «Vous voulez donc être maire du Palais» – référence à Pépin le Bref qui renversa le dernier roi mérovingien.

Le Président de la République devra probablement désigner un nouveau ministre de l’Éducation, remplacer celles et ceux qui , ces derniers mois, se sont montrés malhabiles ou déloyaux. Mais ce ne sera pas simple, tant il est vrai que le navire gouvernemental, dans les prochains mois, devra faire face à de gros grains. Voici quelques mois, l’un de nos plus éminents politologues, amateur de football nous a dit:

«Le problème de Macron, c’est la faiblesse de son banc de touche».

Quelques jours après la mort de Franz Beckenbauer, une telle affirmation paraît plus vraie que jamais.

 

Illustration: Gabriel Attal et Emmanuel Macron lors de la visite d’un collège à l’automne 2023.

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