Juifs et musulmans de France face au conflit Israël-Hamas - Forum protestant

Juifs et musulmans de France face au conflit Israël-Hamas

L’un (Ghaleb Bencheikh) est président de la Fondation de l’Islam de France, l’autre (Michel Abitbol) est historien. L’un et l’autre réagissent depuis la France et en pensant à leurs compatriotes musulmans et juifs à ce qui se passe en Israël et à Gaza depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre.

Chroniques du Blog de Frédérick Casadesus les 14 et 16 octobre 2023.

 

Ghaleb Bencheikh: «Notre nation est malade»

Comme par une dialectique mortifère, les événements qui se déroulent en Israël trouvent un écho dans notre pays. Bien sûr, il convient de rester prudent: rien ne dit qu’il existe un lien direct de cause à effet entre l’attaque lancée par le Hamas la semaine dernière et les crimes perpétrés ce vendredi dans un lycée d’Arras. Il n’en demeure pas moins que la situation se tend de façon dramatique.

Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France, analyse la situation.

«Depuis le samedi 7 octobre, nous sommes plongés dans l’horreur, dit-il en préambule. Après la sidération, la révolte et le désespoir pourraient l’emporter. Voilà pourquoi nous devons conserver notre calme, agir avec autant de fermeté que de conviction. C’est aussi un appel à la raison que je lance. Je le dis clairement, aucune cause, si juste soit-elle n’implique le massacre des innocents; aucune révolte si légitime soit-elle n’autorise la terreur et la violence aveugle. Nous dénonçons les exactions du Hamas contre les populations civiles. Lorsqu’on se prévaut d’un idéal éthique et spirituel, on ne le trahit pas en perpétrant des crimes atroces.»

On le devine, Ghaleb Bencheikh estime que ces événements desservent la cause palestinienne. Il estime aussi que se défendre ce n’est pas se venger:

«Même les lois talioniques, dit-il, n’énoncent pas que pour un œil ce sont les deux yeux, pour une dent c’est la mâchoire et pour un individu c’est toute la tribu… Le désastre humanitaire que connaissent en ce moment les Gazaouis engendrera davantage de violence et d’horreur. Ces terribles drames sont dus, en réalité, au déni de droit et de justice opposé au peuple palestinien depuis des décennies. Ce sont les avanies de l’occupation et les affres de l’oppression qui constituent la matrice d’un conflit qui a trop duré».

 

Appeler à l’union, défendre la raison

On a coutume de dire qu’il ne faut pas que le conflit soit importé dans notre pays.

«C’est une bonne intention, souligne encore Ghaleb Bencheikh , mais c’est un vœu pieux car entre les chaînes d’information continue, celles du formatage de l’opinion, ce qui se propage sur les réseaux sociaux, les manifestations diverses et les prises de parole multiples, on ne peut nier que les connexions se soient tissées depuis quelques jours. Voilà pourquoi, plus que jamais, nous devons appeler à l’union, refuser les provocations d’où qu’elles viennent.»

Il est essentiel de rappeler ces principes. Il est fondamental de défendre le calme et la raison. Mais après ? Comment convaincre ?

Comment lutter de manière efficace contre la tentation d’une radicalisation des positions politiques et religieuses ?

«En tenant un discours qui condamne le condamnable, réprouve le répréhensible, et promeuve les valeurs de solidarité, de paix et de justice, répond Ghaleb Bencheikh. Revenir à la légalité internationale et respecter le droit par et pour tous. Il se trouve qu’au moment où nous commémorons le triste anniversaire de l’assassinat Samuel Paty, la bête immonde a encore agi et un terroriste islamiste a commis un crime odieux en égorgeant un enseignant et en blessant les personnes qui se sont courageusement interposées. La terreur islamiste est condamnable sous toutes ses formes et où qu’elle sévisse. Nous sommes aux côtés des personnels enseignants dans cette douloureuse circonstance qui appelle plus que jamais notre résistance et notre unité. Toutes nos condoléances à la famille affligée.»

 

L’idéal républicain avant tout

La parole de Ghaleb Bencheikh est évidemment écoutée par les responsables politiques.

«Je n’ai pas la prétention d’apporter des solutions toutes faites, note-t-il. Nous constatons, nous à la Fondation de l’Islam de France, que notre pays est fracturé, fragmenté. Notre nation est malade et elle est confrontée à des défis majeurs. Elle fait face à des enjeux cruciaux. Devant le triomphe des idéologies extrémistes, j’adjure ceux qui président aux destinées de la nation et surtout ceux qui dans leurs prises de parole publiques se laissent gagner par l’émotion, de ne pas céder à la tentation de galvauder l’idéal républicain.»

Longtemps la France a été attendue et entendue parce qu’elle portait un idéal et des principes de justice. Est-elle toujours entendue de nos jours ?

«Au-delà des bonnes paroles, dont parfois nous pouvons être amenés à nous gargariser, la France doit parler mais sans arrogance. Elle doit agir avec clarté et réaffirmer la nécessité du respect des droits fondamentaux de la personne humaine et, pour cela, restaurer chez elle la notion d’autorité, que je distingue de l’autoritarisme affecté. Croire en la République et en être fidèle. Cela signifie que la France doit porter une parole juste et déterminée vis-à-vis du monde, et veiller à ce qu’en son sein les institutions – les forces de l’ordre, l’Éducation nationale et d’une façon générale la loi – soient respectées.»

Une belle ambition.

 

Michel Abitbol: «Nous ne pouvons pas penser ce conflit comme s’il était exotique»

Aimer ce pays pionnier – soixante-quinze ans, qu’est-ce au regard de l’histoire ? – aimer ce pays de soleil et de foi, de ferveur et d’exigence, aimer ce pays dont nous partageons l’idéal, aimer ce pays de tendresse dont pourtant la politique est depuis quelques temps contestable. Oui, contestable; et d’ailleurs, s’il est un endroit de la planète où les gens défilent pour le dire, c’est bien là-bas, dans ce pays démocratique, le seul de la région – pourquoi faut-il à chaque fois l’écrire ? On dirait que les gens ne veulent pas le savoir… – en deux mots que l’on voudrait les plus simples: Aimer Israël.

Tandis que la guerre est déclarée, plus redoutable que bien d’autres, nous voudrions retracer les liens qui unissent la France à cette nation. L’historien Michel Abitbol – auteur de nombreux livres parus chez Perrin au sujet d’Israël – nous les décrit.

«S’il est un pays qui a joué un rôle central dans le projet sioniste et dans la naissance d’Israël, c’est bien la France, explique-t-il pour commencer. Non pas, comme on pourrait le croire avec humour, par un effet repoussoir, Theodor Herzl ayant estimé que l’affaire Dreyfus révélait que jamais les Juifs ne seraient tranquilles tant qu’ils n’auraient pas un État bien à eux. Non. Cela tient au fait, première étape, que la France est la première nation ayant émancipé les juifs. À cela s’ajoute l’appui de l’Alliance Israélite de France et le financement des fermes agricoles, du premier lycée agricole, entre les deux guerres, avec le soutien du baron de Rothschild.»

Les années trente… aussitôt vient à l’esprit l’idée que si Israël avait existé en 1933, Hitler n’aurait pas pu agir à sa guise. Pourtant, sous l’autorité des Britanniques – et malgré leur relative hostilité – certaines institutions, pré-étatiques, existaient déjà à cette époque-là.

«Les juifs palestiniens – car c’est ainsi qu’ils étaient nommés jusqu’en 1948­ – s’étaient dotés d’une université, d’une centrale syndicale, des premiers kibboutz, d’une ville nouvelle, Tel-Aviv, et même une armée, – en fait une force paramilitaire, la Haganah, rappelle Michel Abitbol. Quand l’occasion historique s’est présenté de créer un État, toutes les structures étaient prêtes à fonctionner.»

Or, sur quelles bases et quels principes ont-elles été fondées, ces institutions politiques ? Pardi, sur le modèle français !

«Israël est dotée d’une constitution semblable à celle de la Quatrième république, observe Michel Abitbol. Le président n’y dispose que d’un pouvoir symbolique et le Parlement se trouve bien souvent divisé parce que les députés sont élus au scrutin proportionnel intégral, ce qui permet à une myriade de formations d’obtenir des représentants à la Knesset.»

Un partenariat naturel s’est instauré très vite entre les deux nations. C’en est au point que, dit-on, jusqu’en 1958 un représentant d’Israël disposait d’un bureau dans les locaux du ministère de la Défense.

L’élan de soutien des Français juifs en faveur de l’État d’Israël a été naturel, immédiat. Comment ne pas être attaché à la nation incarnant la Terre Sainte ?

«Mais cela ne signifiait pas nécessairement qu’ils avaient le désir de partir là-bas, nuance notre historien. Les gens pouvaient se sentir douloureusement interpelés par le destin de ce jeune pays sans rompre avec la France.»

Avec la décolonisation de l’Afrique du Nord, les sentiments se sont entremêlés. Oh, de façon progressive bien sûr. Ce ne fut pas un basculement, mais une évolution. La réaction du général de Gaulle, pendant la Guerre des six jours – aggravée par sa malheureuse déclaration du mois de novembre 1967 («Un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur… ») a provoqué, plus qu’une crispation, une inquiétude.

«Pour les Juifs séfarades, chassés d’Égypte ou d’Irak, d’Algérie, de Tunisie (ceux du Maroc ont connu un sort différent, mais la plupart d’entre eux sont partis en même temps que la France), une dimension d’hostilité à l’égard du monde arabe s’est doublée d’une méfiance à l’endroit de la France, analyse Michel Abitbol, comme si le changement de pied diplomatique du général de Gaulle leur avait signifié qu’à tout moment ils pouvaient être de nouveau abandonnés.»

Les déclarations solennelles des Présidents successifs, en tout cas depuis 1981, n’ont guère changé la donne. La résurgence des actes antisémites, au fil des années quatre-vingt-dix et deux mille n’a cessé d’alimenter l’angoisse des Français juifs. On peut le regretter, mais nombre d’entre eux pensent qu’ils ne doivent compter que sur leurs propres forces pour alerter les pouvoirs publics et bénéficier d’une protection suffisante. Et c’est ainsi que certaines familles, ou certaines branches familiales ont décidé de partir vivre en Israël, resserrant des liens entre les deux pays, d’une façon plus sentimentale que politique.

Mais comment les Français juifs dont les parents ou les grands-parents ont été obligés de quitter l’Algérie ou la Tunisie reçoivent-ils les critiques formulées en France à propos des colons israéliens ? Quand ils entendent leurs concitoyens critiquer la politique du gouvernement israélien, ils peinent à ne pas se sentir directement concernés. Ce n’est pas, de leur part, on ne sait quel double langage, mais une identification, renforcée par les nombreux voyages d’agréments qu’ils pratiquent en Israël.

«Oui, l’expérience passée de la décolonisation joue beaucoup dans l’adhésion des juifs de France à ce pays, souligne Michel Abitbol. J’ajoute que des Juifs de France y possèdent une maison, un appartement. Cela resserre encore les liens. Nous le savons, parmi les otages et les crimes perpétrés par le Hamas, il y a beaucoup de Français. Nous ne pouvons donc pas penser ce conflit comme s’il était exotique.»

On voit par là que l’Histoire, une fois encore, trouble autant qu’elle éclaire. Aimer ce pays, songer à ses morts.

 

Photo: un kibboutz israélien après l’attaque du Hamas (photo Kobi Gideon/GPO, CC BY-SA 3.0 Deed).

 

Commentaires sur "Juifs et musulmans de France face au conflit Israël-Hamas"

  • Philippe

    Remarquable commentaire de Ghaleb Bencheikh, notamment sur la loi du talion qui, de fait, est en régression!
    Sa prise de position sur le terrorisme est sans ambiguïté. C’est un homme remarquable qu’on devrait écouter davantage.

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