Scènes de détention - Forum protestant

Trois scènes vécues par des aumôniers: une «bête en cage» privée de son bébé, un macédonien qui trouve son ange et quelques fleurs de plus qui changent les choses pour le culte et après: un sourire, un Nouveau Testament, «un peu d’air frais»

Textes publiés les 7 septembre et 17 octobre 2023 sur le blog de l’Aumônerie protestante des prisons.

 

 

Et un sourire…

Tout au début de mon ministère d’aumônier, j’ai été confrontée à une drôle d’expérience. Je faisais mes visites au quartier arrivant, j’étais vers une personne détenue dans sa cellule lorsque j’entendis de gros coups répétitifs. La personne vers qui j’étais me disait que c’était une détenue qui cognait sa table contre la porte de la cellule sans arrêt. La fois d’après, lorsque je suis revenue, j’avais une demande de visite au QD (quartier disciplinaire). J’en ai demandé l’accès auprès de la surveillante qui était très récalcitrante, mais en fin de compte, elle a accepté.

Devant la grille de la cellule, cela m’a fait penser à une bête en cage. J’ai serré la main à la personne détenue à travers la grille, je l’ai écoutée, on lui avait enlevé son bébé, elle m’a montré une photo de lui. Le fait de pouvoir en parler, de sortir tout ce qui était dans son cœur l’a apaisé. Elle a accepté qu’on décharge tous ses soucis devant le Père éternel. J’ai prié. Peu de temps après, je l’ai vue sortir de la cellule avec 5 gars casqués et tenant un bouclier devant eux. Elle m’a vue et m’a fait un grand sourire.

 

Y a-t-il un ange dans la salle ?

Ivan est macédonien, il m’a été présenté il y a quelques mois par Éric, son co-détenu. Il ne parle pas le français, se débrouille un peu en allemand et beaucoup par des gestes. Au début, lorsque je venais voir Éric, Ivan restait silencieux, prostré sur son lit et ne m’adressait jamais un mot ni un sourire. Éric me disait en aparté combien il était difficile de cohabiter avec Ivan car il était toujours en train de pleurnicher sur sa situation, sur ses enfants qui lui manquaient, sur les complications administratives dues à son statut et l’absence de solution pour son avenir.

Éric ne parlant que très peu l’allemand, ils ont commencé à se forger un vocabulaire commun, mélange de français, d’allemand, de macédonien, de gestes, de dessins. Un jour, Éric, fervent lecteur de la Bible, m’a demandé si je pouvais en trouver une en macédonien. En effet, Ivan commençait à se poser des questions en voyant Éric quotidiennement prendre ce livre, le lire et trouver du réconfort. J’ai trouvé un Nouveau Testament que je lui ai remis. Il m’a remercié mais le contact n’était toujours pas établi entre nous. Je demandais parfois de ses nouvelles à Éric qui restait assez évasif: «Ça va mieux, on arrive à se comprendre un peu, je l’aide dans ses papiers».

Puis un jour, Éric me dit: «Je crois qu’il faudrait que tu voies Ivan». Rendez-vous est pris pour le semaine d’après. Je vais le chercher, il me parait plus apaisé, il me parle de ce qu’il a trouvé dans ce livre, un sens nouveau à sa vie. Que tout est loin d’être résolu mais qu’Éric l’a aidé dans toutes ses démarches administratives, judiciaires et surtout spirituelles: «Il est un vrai ange pour moi !».

«Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait» (Matthieu 25,40).

 

Quelques fleurs dans la chaleur

Dès le début de mes visites à la Centrale, j’ai pris l’habitude d’apporter des fleurs pour le culte. Coupées. Les détenus en étaient heureux, et découvraient parfois le nom de ces fleurs, cadeaux du Créateur. Ils repartaient chacun avec une tige, et étaient heureux dans la semaine de me montrer les trésors d’ingéniosité qu’ils avaient développé pour conserver le plus longtemps possible cette salutation de la nature.

Je me souviens surtout du dimanche où un détenu, en toute sérénité, a embarqué sous mon nez quasiment toute la gerbe de fleurs. Je lui en ai fait discrètement la remarque. Il parlait un français approximatif et m’a souri en répétant: «Merci, merci, merci». J’insistais un peu. Il compléta sa réponse: «Merci, moi donner à ceux pas venus aujourd’hui, merci, merci». Depuis ce jour, j’ai apporté un peu plus de fleurs à chaque culte… Temps de partage au-delà du culte !

Ce 19 juillet, le thermomètre indique 39°, je gravis les 5 étages. Au fur et mesure de la montée, la chaleur devient de plus en plus suffocante. Le béton garde bien la chaleur et les petites fenêtres des cellules ne suffisent pas pour laisser entrer un petit courant d’air, si ce n’est lorsque j’ouvre la porte. Je suis donc toujours le bienvenu ! D’autant que durant la période estivale, il n’y a que très peu d’occasions de sortir: école, formation, activités diverses sont à l’arrêt. Il ne reste que la promenade et le travail pour ceux qui en ont. Dans cette situation, le moral n’est pas au beau fixe: 22 heures sur 24 enfermé dans une chaleur étouffante. Certains sont sans force, apathiques, ne se plaignant de rien, contents que je vienne ouvrir cette porte qui laisse passer un peu d’air: «Restez encore un peu, ça fait du bien cette porte ouverte». D’autres pètent un câble, hurlent à travers la fenêtre, insultent la terre entière, tapent dans la porte pendant de longues minutes.

J’arrive chez Paul qui vient de rentrer du travail. Le samedi précédent, à la fin du groupe de partage, il m’avait demandé une feuille de chants pour la semaine.

«Aujourd’hui, durant le travail, avec Joël, nous avons chanté tous les chants que nous aimons bien. Les détenus autour de nous étaient étonnés mais ils ont trouvé ça sympa. D’ailleurs, on trouve que le chant ‘Tu es la plus belle des chansons d’amour’ est trop court alors je suis en train de rajouter quelques strophes sur ce que Jésus a fait. Je te les montre mardi prochain».

Enfin de l’air frais ! Cette journée écrasante de chaleur, de récrimination, de mal-être, de sinistrose a été éclairée dans les ateliers et pour moi par deux détenus chantant l’amour de Dieu.

 

Illustration: interrupteur à la prison Jacques-Cartier de Rennes (photo Édouard Hue, CC BY-SA 3.0 DEED).

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