Les Antilles, entre lumière et ombre
«La plupart des actes de violences sont dus au trafic de drogue, en forte augmentation, et aux règlements de compte entre bandes rivales.» Premiers témoins de l’augmentation de la criminalité en Guadeloupe et Martinique, les aumôniers témoignent ici de cette violence qui à la fois augmente la surpopulation des prisons antillaises et la violence en leur sein.
Texte publié sur le blog de l’Aumônerie protestante des prisons.
Les Antilles: plages, cocotiers, soleil, végétation luxuriante, paysages grandioses. Mais derrière ce côté idyllique… il y a une autre réalité, celle d’une litanie d’actes de violences, de crimes, d’agressions, de crimes passionnels, nombreux, mais aussi de petits larcins (qui conduisent à un grand nombre de petites peines). La plupart des actes de violences (blessures par armes à feu, exécutions) sont dus au trafic de drogue, en forte augmentation, et aux règlements de compte entre bandes rivales (certains parlent même de gangs). On constate aussi un fort développement des trafics d’armes. Le préfet avait lancé une opération déposer les armes. Mais malgré un grand nombre d’armes récupérées, il en reste encore un nombre important en circulation.
«Il y a en Guadeloupe meurtre sur meurtre, se désole un aumônier, le taux de criminalité met la Guadeloupe aux 4 premières places de ce triste classement. Et la situation se dégrade, cette violence ne diminue pas. Les policiers sont débordés, et manquent de moyens.»
Toutefois, souligne cet aumônier, «tous ces faits se passent le soir, dans certains milieux». Et d’ajouter avec insistance: «Mais on n’est pas au Far West. Les touristes ne voient pas cela et passent un séjour agréable, sans problème».
Il en va de même en Martinique où la délinquance et la violence ont là aussi pris une ampleur très préoccupante qui la place, dans le sinistre classement du taux de criminalité, dans le peloton de tête des départements, après la Guyane. Le trafic de stupéfiants fait de la Martinique une des plaques tournantes de la Caraïbe. Sans parler du trafic d’armes, et donc du nombre d’armes en circulation qui augmente sans cesse. Mais les autres actes de délinquance ne sont pas en reste: meurtres et assassinats, vols, vandalisme, conduite sans assurance…
Pourquoi cette situation ? Plusieurs explications peuvent être avancées, explique un ancien journaliste en Guadeloupe. Le constat, c’est qu’«aujourd’hui, la vie n’a plus d’importance ni de valeur; aujourd’hui on tire directement, à bout portant. Pour tuer».
Une jeunesse en échec scolaire, à la recherche d’argent facile, une jeunesse sans perspective, pas ou trop peu formée, un taux de chômage énorme surtout chez les moins de 30 ans (25%) sont autant de facteurs qui alimentent cette violence. Et bien sûr les trafics de drogue et d’armes.
Une autre explication entendue, c’est un très fort taux de familles monoparentales, avec un déficit d’autorité, et d’autorité masculine, paternelle en particulier, une réalité qui existe depuis longtemps.
Mais quelles que soient les raisons, c’est un cri d’alarme qui est lancé. Et un immense défi pour les sociétés antillaises.
La surpopulation carcérale dans les prisons de la région découle de cette situation dramatique (ce n’est certes pas propre aux Antilles) et révèle une impasse dont il faudra sortir un jour. Les bandes se reforment dans les prisons, régulièrement des détenus sont attaqués et agressés avec des armes artisanales. Il y a là aussi une grande violence. Pour faire face, on agrandit les deux établissements pénitentiaires du département: le centre pénitentiaire (CP) de Baie-Mahault va passer de 500 places à 800, la maison d’arrêt de Basse Terre de 130 à 200 après les travaux de reconstruction en cours. Le centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique, avait en janvier près de 1200 détenus pour 730 places. Mais il gère tant bien que mal les situations difficiles auxquelles il est confronté.
Dans ce contexte, les aumôniers protestants font face à une grande demande, et poursuivent leurs activités de visite et de culte pour accompagner les personnes détenues, avec des expériences heureuses et des retours en arrière.
«J’ai rencontré M. pour la première fois en 2011 au CP de Baie-Mahault, raconte un aumônier de Guadeloupe. Il s’était inscrit pour participer au culte protestant. C’était un grand gaillard tatoué qui, à 27 ans, avait déjà été condamné à plusieurs reprises à de petites peines de prisons depuis l’âge de 16 ans.
Je lui avais offert une Bible qu’il a lue d’un trait de la Genèse à l’Apocalypse pendant un séjour au quartier disciplinaire. Depuis, la Bible était devenue son livre de chevet. Au début de l’année 2014, j’apprends qu’il a été libéré.
Mais au mois de juin 2023, je le retrouve au CP, c’est lui qui m’a reconnu et interpelé. Il était dans un fauteuil roulant avec une seule jambe. Cela faisait neuf ans qu’il n’était pas retourné en prison car il avait mis un terme au trafic de drogue. Malheureusement, il a été rattrapé par ses vieux démons et suite à un différend avec un autre trafiquant, il a reçu à bout portant une décharge de plomb dans la cuisse et une autre dans le flanc.
Il a été laissé pour mort, mais reconnaît aujourd’hui que Dieu l’a protégé car ‘l’ange de l’Eternel campe autour de ceux qui le craignent, et Il les arrache au danger’ (Psaume 34,8).»
Malgré la situation parfois tendue dans les établissements, les activités de l’aumônerie se poursuivent. Cette présence des aumôniers est un facteur d’apaisement, reconnaît la direction.
«On observe une baisse de la spiritualité dans nos îles, regrette un aumônier de Guadeloupe. Pour s’adapter à cette situation nouvelle pour nous, on a commencé un ‘atelier spirituel’, un culte sous une autre forme. Il a lieu au ‘socio’, là où il y a plusieurs ateliers, d’où le nom donné à ces rencontres. Il y a lecture de la Bible, partage de la Parole, prière. C’est souvent une découverte pour les participants.»
Persévérance, fidélité, créativité caractérisent ainsi l’engagement des aumôniers dans ce contexte bien particulier.
Illustration: le centre pénitentiaire de Baie-Mahault en Guadeloupe.