Violences, pleurs et parole à La Duchère
«Depuis vendredi, je me trouve souvent dehors pour parler avec les uns et les autres.» Le Foyer de la Mission populaire de La Duchère à Lyon est au pied de la barre où habite le jeune homme dont la chute de scooter le jeudi 4 mars a provoqué une vague d’incidents dans l’agglomération. Équipier pasteur et directeur de ce foyer, Christian Bouzy raconte ce qu’il a vu.
Texte publié sur Blog pop.
Mercredi soir, Mohamed, un enfant âgé de 13 ans habitant dans la barre à côté du foyer, roule à toute allure et sans casque sur un scooter; il fait une chute qui lui est fatale puisqu’il a une hémorragie interne et se trouve dans le coma depuis (1). Les circonstances exactes de l’accident sont diversement commentées; les uns évoquent une course-poursuite entre une voiture de police banalisée et Mohamed, les autres nient cette version.
Après ce drame, le quartier a été en ébullition, avec jeudi soir une émeute de jeunes – dont certains ont moins de 13 ans – assortie d’explosions de violence et de voitures ou poubelles brûlées, vitrines brisées, etc.
Vendredi soir, des émeutes de jeunes se sont produites dans d’autres quartiers de la métropole lyonnaise, notamment à Rilleux la Pape. Samedi soir, les émeutes se déplaçaient à Bron.
La famille du jeune adolescent est connue de quelques habitués du foyer, notamment des habitants de la barre de l’avenue Sakharov. Rachida en particulier, responsable du vestiaire solidaire du Foyer, est la première à s’être trouvée au chevet de Mohamed au moment de sa chute. Elle connaît très bien ses parents et toute sa famille. D’où un climat de grande tristesse et d’inquiétude autour du Foyer.
Depuis vendredi, je me trouve souvent dehors pour parler avec les uns et les autres. Nous avions un chantier de réhabilitation du composteur toute la journée du samedi, ce qui tombait bien. J’ai pu ainsi parler à plusieurs reprises avec des ados de 14-15 ans regroupés devant le Foyer.
Dimanche soir, un rassemblement d’environ 150 jeunes se forme dans le parc arboré qui jouxte le Foyer. Rachida m’en tient informé par texto en me précisant que c’est une manifestation paisible en hommage à Mohamed et en en soutien à sa famille. Pas de débordement de violences malgré le nombre, l’humeur est à la convivialité autour d’un barbecue et de quelques boissons. Dispersion à 18h pour respecter le couvre-feu.
Lundi matin, cinq à six jeunes de plus de 20 ans sont là autour d’un petit feu résiduel. Je m’approche d’eux, ils se demandent si je cherche à les faire partir, j’entre en dialogue avec eux, nous faisons connaissance et je leur explique que s’ils respectent les lieux, il n’y a pas de problème. Ils sont revenus au petit matin pour nettoyer le lieu avec une équipe des services de la Mairie. Je leur demande s’ils ont des nouvelles du jeune Mohamed. Nous nous disons les uns aux autres que nous prions pour lui. Nous parlons des évènements; ils me disent qu’ils en ont marre d’être méprisés par la police. Je leur réponds qu’il faut éviter l’escalade de la violence qui ne mène à rien. L’un me dit qu’il fait partie de ceux qui calment le jeu. Et nous discutons ainsi un long moment du problème du chômage, des arrestations au faciès, des consignes sanitaires… J’essaie de les responsabiliser plutôt que de les victimiser davantage. Rachida arrive et les salue à son tour. Ils lui témoignent un grand respect et une véritable admiration. Ils nous offrent alors trois sandwiches aux merguez à partager avec les autres personnes présentes au foyer.
En concertation avec Rachida , Isabelle et la Mission Duchère, je me tiens disponible et l’équipe du foyer avec moi, pour accueillir/animer, si l’opportunité se précise, un temps d’échange avec des habitants, et pour témoigner de notre solidarité avec la famille de Mohamed…
En quelques jours, la métropole de Lyon a été confrontée à une série d’épisodes de violences urbaines. Les faits se sont produits en début de soirée, en séquences assez courtes, d’une heure environ. Les autorités sont persuadées que ces scènes sont des représailles au plan d’action novateur, mené conjointement entre les communes et les services d’État depuis le mois de juillet 2020 contre les trafics et les incivilités.
Lyon, le 8 mars 2021
Illustration: la barre surplombant le foyer de la Mission populaire vue du boulevard de Balmont.
(1) À l’heure où sont rédigées ces lignes, son pronostic vital est toujours réservé.