Édition : un an de poésie de la foi et de philologie biblique
Jacqueline Assaël retrace ici la genèse et la première année d’existence de la maison d’édition Jas sauvages qui a choisi de s’ancrer dans la poésie de la foi et la philologie biblique puisque « le témoignage est un commandement et si les croyants éprouvent de la joie à avoir reçu l’Évangile, ils ne peuvent qu’avoir à cœur d’en produire une expression, sans prosélytisme agressif, simplement pour la mettre à disposition de qui voudra éventuellement s’en saisir ».
Une création collective et amicale
L’idée de la création des éditions Jas sauvages a été adoptée à Marseille, au cours d’agapes conviviales au restaurant Il Canaletto. C’est dire qu’il s’est agi d’emblée d’une entreprise collective et amicale pour répondre à un besoin d’expression et de culture littéraires dans le cadre d’une recherche de sens ou d’une vie de foi. Autour de la table, il y avait une voisine athée, des protestants en marge de toute paroisse, sauf à Noël et à Pâques, et d’autres assidus au culte, et puis une libraire catholique nous attendait à l’issue du repas pour l’organisation d’une après-midi poétique et l’annonce de ce projet en gestation. La maison d’édition a ouvert ses portes en septembre 2018, avec un lancement lors de l’Assemblée du Désert, et la mise en œuvre de cette solidarité nouée aux origines.
Aujourd’hui, le catalogue compte 3 ouvrages et les projets ne manquent pas. La ligne éditoriale de la collection Prièmes consiste à publier des ouvrages de poésie de qualité sur le plan littéraire. La tradition remonte aux origines de la Réforme, elle-même largement influencée par le ressourcement culturel de la Renaissance ; ce mode d’expression ne s’est jamais tari, de Clément Marot au 16e siècle jusqu’à Edmond Jeanneret au 20e, en passant par Jean de Labadie au 17e et bien d’autres. La démarche n’a cependant pas pour but de poursuivre une lignée, par simple principe ou pur conformisme intellectuel. Mais il se trouve qu’à notre époque encore, des auteurs écrivent des poèmes, composent des recueils, souvent dans la confidentialité de leur espace personnel, car la poésie s’édite peu, faute de rentabilité commerciale. Or l’expression littéraire, quelle qu’elle soit, et la poésie en particulier, représentent l’effort le plus accompli pour dire une recherche spirituelle ou les modalités de la foi. Chaque confession a sa spécificité et dans un monde multiculturel, la pensée des protestantismes historiques peut jouer sa partition en illustrant sa vision du monde à travers des œuvres de nature artistique ; elles sont en en effet peut-être plus aptes à atteindre et à toucher des consciences qui lui sont extérieures, que des théologies qui, par leur dogmatisme intrinsèque, tiennent inévitablement à l’écart ceux qui s’imaginent devoir fuir à tout prix un endoctrinement.
Exister dans une identité culturelle, et la faire exister
Il n’est pas question de rechercher des manières plus subtiles pour circonvenir le monde, mais simplement d’exister, dans un souci d’humanisme, avec sa propre identité culturelle et spirituelle, à l’intérieur du panorama des idées. Car depuis Térence (un poète comique latin capable de réflexions très sérieuses), tout être en quête d’épanouissement personnel doit apprendre à penser que, pour s’accomplir, il lui faut considérer que « rien d’humain n’a à lui demeurer étranger ». Dans cette perspective, il faut élargir son esprit jusqu’à essayer de connaître l’autre, même si l’on ne partage pas son interprétation du monde. Mais dans ce cas, il faut donc exister dans une identité culturelle, et la faire exister ! Car une forme de pensée qui disparaît entraîne toujours un déficit d’humanité.
Et puis, au-delà de cette philosophie, du point de vue de la foi, le témoignage est un commandement et si les croyants éprouvent de la joie à avoir reçu l’Évangile, ils ne peuvent qu’avoir à cœur d’en produire une expression, sans prosélytisme agressif, simplement pour la mettre à disposition de qui voudra éventuellement s’en saisir. L’expression poétique précisément, dans ses vacillements de flamme fragile ou dans sa fougue inspirée est de nature à toucher la sensibilité d’autrui, comme la confidence d’une espérance intime.
Les deux ouvrages de poésie parus dans les mois écoulés aux éditions Jas sauvages donnent la parole à deux auteurs, un pasteur et un musicien, qui avaient peu publié jusqu’alors, mais dont la qualité d’écriture est de haute tenue, ce qui ne signifie pas qu’elle est d’un accès difficile. Au contraire, il y a une venue très naturelle dans les poèmes de Michel Block qui rend compte à travers ses textes de sa difficulté à retrouver parfois les sensations de la présence de Dieu, nécessité vitale, pourtant, dans un monde où tout devient alarme ; il évoque alors les temps, puis la douceur d’un chemin de prière où Dieu s’avance dans les mouvements du silence. Il appelle cela la périchorèse, nous enseignant ainsi un mot plein de grâce, à tous égards, car il évoque une espèce de danse de l’esprit au cours de sa recherche spirituelle. Sa poésie est libre, aux formes immédiates et elle parle à chacun. L’autre recueil, d’Étienne Pfender, fait scintiller des éclats de méditation biblique à travers les 17 syllabes de chacun de ses 71 haïku. La brièveté des textes est gage d’une densité des images et de la pensée, incitation à se référer à nouveau à la Bible pour y relire sous un jour nouveau des épisodes oubliés qui prennent certains reliefs inattendus sous les interrogations du poète : Dieu n’a-t-il pas créé l’homme végétarien ? Comment l’inceste des filles de Loth peut-il être à l’origine biblique de deux peuples ? Doit-on ne pas choisir entre la foi et les œuvres pour faire taire le coq ? Dans ses vers, le pardon fleurit comme un bouquet de pivoines, la genèse éclaire le monde d’une clarté tumultueuse, l’espace d’un flash poétique.
Dans son introduction à ce volume de haïku, Laurent Schlumberger valide la tentative littéraire d’Étienne Pfender – l’alliance entre les deux Testaments et le genre du haïku –, en dégageant l’importance de la concision, aux moments-clés de la parole de Dieu, dans la Bible. Effectivement, une caractéristique des livres de la collection Prièmes consiste à apporter une documentation critique, pour enrichir la découverte de l’œuvre poétique, en instaurant notamment un dialogue entre le lecteur et des commentateurs qui réagissent à des aspects différents du texte. La poésie se partage et s’éclaire ainsi à plusieurs.
La poésie se présente aussi, se lit, s’accompagne de musique, quand des publics divers se réunissent pour des après-midi ou des veillées poétiques, souvent en paroisse, ou en librairie. Au cours de cette première année, les éditions Jas sauvages ont été invitées presque aux quatre coins de l’hexagone, de Montpellier à Strasbourg, de Paris à Salon de Provence, et elles méditent de passer bientôt les frontières. Cette relation entre l’équipe organisatrice (avec sa comédienne, son musicien, ses lecteurs), et les auditeurs fait partie du bonheur de la rencontre poétique. Certains d’entre nous sont définitivement associés à un texte, comme Josette qui lit ‘Mûres’ de Michel Block avec un émerveillement enfantin et une assurance confiante qui feront date dans notre mémoire, ou Hélène qui s’étouffe d’émotion avec ‘Sauf un bâton’ de Michel Leplay (oui, il faut dire que les membres des éditions Jas sauvages ne s’intéressent pas seulement aux textes parus aux éditions Jas sauvages, mais à la poésie de la foi dans son ensemble !).
En ce qui concerne les essais, j’ai publié pour l’instant dans la collection Test un commentaire personnel de l’Épître aux Éphésiens, précédé d’un petit précis d’herméneutique. C’est-à-dire que je voudrais inciter à lire les textes bibliques en tenant compte des méthodes adoptées dans la sphère littéraire. Actuellement, en effet, ceux qu’on appelle les philologues s’intéressent de plus en plus à l’étude des deux Testaments. Leur perspective est scientifique et critique ; elle vise à établir un état du texte le plus sûr possible, mais aussi des critères qui permettent de juger du degré d’objectivité d’une interprétation. Le but consiste à rendre compte au plus près des intentions propres de l’auteur, de manière à obtenir le consensus le plus large possible sur le sens du message qui est délivré et à retrouver scrupuleusement la cohérence ponctuelle et globale des raisonnements. Luther, déjà, était philologue, lui qui cherchait « l’unique sens grammatical » susceptible de fonder le développement des réflexions théologiques.
La lecture de ce commentaire de l’Épître aux Éphésiens a été expérimentée en étude biblique au cours d’un cycle semestriel à Marseille et d’une session de travail en paroisse à Strasbourg.
Comme prolongement dans ce domaine, les éditions Jas sauvages vont travailler à l’organisation au printemps 2020 d’une rencontre, à Marseille, entre théologiens et philologues, pour chercher des pistes de travail en commun. En mai dernier, la paroisse de Marseille Sud-Est a, de même, mis sur pied un Festival international de poésie, pour souligner l’importance de cultiver ainsi la foi, dans l’intériorité de chacun et dans le cadre des institutions qui la représentent.
Nous entamons la deuxième année d’exercice avec une certaine allégresse car, tout au long de l’année écoulée, les demandes de rencontre et d’intervention se sont additionnées, les commandes de livres sont parvenues par voie électronique comme autant de bonnes surprises de la part de lecteurs nous disant, avec délicatesse et de manière personnalisée, leur bonheur de découvrir l’existence de ces éditions. Des librairies se risquent aussi à répondre aux sollicitations de leurs clients et à nous contacter. Des échos filtrent dans la presse et les radios de diverses régions, et les avis se font de plus en plus convaincus de la pertinence d’un lien à établir entre la poésie actuelle de la foi et la spiritualité protestante.
Cette initiative est partie de la décision d’un simple petit groupe de personnes en quête d’échanges dans la beauté et la précision des mots. Elle se répand, en touchant une par une des personnes qui lisent et relisent ces textes, en prenant le temps. Elle apporte dans la société l’irrigation de la poésie de la foi, comme un petit flot souterrain.
Voir le site des éditions Jas sauvages.
Illustration : les châtaigniers du Mas Soubeyran à Mialet lors de l’Assemblée du Désert 2018 (photo Jacqueline Assaël).