Ressources de la planète, connaissance et partage fondés sur la reconnaissance
Dans sa relation à la planète, l’humanité est parvenue à un tournant : alors qu’elle prend conscience des limites des ressources naturelles et des impacts majeurs qu’entraîne leur usage, notamment sur le climat, elle devrait être en mesure de se doter des instruments de mesure et de gouvernance nécessaires pour assurer la transition écologique qui s’impose.
Il s’agit d’une question sur laquelle le protestantisme doit être exigeant vis-à-vis des dirigeants et de l’opinion publique. En proposant des options, tant au niveau multilatéral qu’en matière de choix de modes de vies plus désirables et moins prédateurs, basées sur l’exigence de responsabilité qu’impose la reconnaissance pour ces biens donnés en abondance.
1. Nous partons du constat que les années de croissance forte dont nous avons bénéficié (30 glorieuses et au-delà) sont liées au bénéfice que nous avons pu tirer de l’exploitation – au niveau planétaire – des ressources énergétiques fossiles, notamment pétrolières. Or celles-ci, payées à un prix qui n’a rien à voir avec leur rareté réelle (dépendant du rapport instantané entre la demande et la production) ont pu être consommées jusqu’à la moitié, au bénéfice d’une seule génération, la nôtre. Nos Eglises ne se sont-elles pas assoupies, gavées qu’elles étaient de ces richesses, comme la société dans laquelle elles baignent ? Comme le souligne Michel Rocard, en se concentrant sur la morale individuelle, n’ont-elles pas délaissé outre mesure l’éthique collective, la prise de parole interpellant le politique ?
2. Nous savons depuis le début des années 1980, grâce aux travaux du GIEC et à la Convention Climat (UNFCC) qui en a découlé, que l’exploitation des énergies fossiles a un impact direct sur le climat, à moyen et long terme, se traduisant par une augmentation moyenne des températures, la fusion des glaces, la remontée des niveaux marins et le développement des phénomènes climatiques extrêmes. Bien que les travaux du GIEC soient critiqués par quelques-uns, il s’agit d’une approche remarquable visant à établir des constats scientifiquement fondés – soumis à la critique ouverte et révisables – à l’usage des politiques publiques. On mesure néanmoins – malgré le coût des phénomènes extrêmes et les conférences internationales (post Kyoto…) – les difficultés rencontrées par les politiques dans l’élaboration des décisions qui s’imposent. Face à ces échecs à répétition des acteurs de la vie publique les Églises peuvent-elles rester silencieuses ?
3. À côté de l’impact de l’exploitation des ressources sur le climat et l’environnement, se pose de toute façon la question de la limitation des ressources minérales. Les ressources fossiles, accumulées à partir de l’activité biologique (photosynthèse) au cours d’un temps géologique fini, dans la partie superficielle de l’écorce terrestre seulement, sont par essence limitées. Or on ne dispose pas d’une instance internationale, comme le GIEC, pour évaluer l’abondance et la rareté réelle des ressources minérales terrestres. Les évaluations des États, des entreprises pétrolières, et des géologues (ASPO) ne permettent pas de disposer de données fiables et faisant référence sur la rareté réelle, avec les conséquences économiques et financières que l’on sait. Il en va de même pour les autres ressources minérales, dont le traitement doit être différencié (selon qu’elles sont rendues disponibles dans l’anthroposphère, ou au contraire détruites ou dispersées par leur usage d’une part, et selon leur abondance respective en profondeur d’autre part). La création d’un GIERM (Groupe International d’Étude des ressources Minérales) s’impose, autant d’un point de vue économique et financier qu’environnemental et social.
4. Pour l’essentiel, la difficulté dans ces domaines touchant à l’énergie et à l’environnement repose sur la facilité du maintien des politiques anciennes (du business as usual sans tenir compte des externalités), et la difficulté d’accepter d’engager les changements nécessaires (le recours aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables, en premier lieu dans le secteur résidentiel et tertiaire, principal consommateur d’énergie en France). Le recours au paiement pour les fautes et au sentiment de culpabilité – le seul ressort aujourd’hui disponible – n’est pas un mode d’action efficace. Il faut trouver d’autres ressorts. La croyance à une perspective de croissance sans fin, recherchée par les politiques, n’est pas plus crédible (1) et interpelle de ce fait les religions, notamment la nôtre.
5. Il existe à cet égard une réponse protestante qui fait aujourd’hui défaut dans l’expression publique. Elle repose sur la reconnaissance, comme moteur de l’action individuelle, mais aussi citoyenne et étatique. Partant du constat de ce qui nous est donné en abondance (un monde si riche, doté de tant de ressources mises à notre disposition en toute liberté), de l’intelligence qui nous a permis de développer les techniques et de maîtriser l’exploitation de ces ressources dans des conditions y compris extrêmes (vision 3D du sous-sol, grandes profondeurs…), nous devons aussi être en mesure de faire le constat des limites et de la nécessité de travailler à un partage équitable intra et inter-générationnel. En effet, en même temps que nous disposons maintenant d’une capacité à exploiter les ressources planétaires en tout point du globe, il nous est aussi donné la possibilité de compter, de mesurer et le devoir moral de le faire en vue d’une connaissance de l’économie réelle et d’une approche équitable de l’usage et de la rente.
6. Il nous revient de travailler, dans cette optique de reconnaissance, à la préparation d’un avenir réussi, d’une société équitable dans laquelle la considération des ressources sera directement liée à une appréciation de leur usage le plus raisonnable pour l’humanité présente et future (pour au moins quelques générations à venir). Imaginer des formes de vies moins consommatrices de matière première et d’énergie non renouvelable, et pourtant plus heureuses. Basées sur l’être et le vivre ensemble plutôt que l’avoir et l’accumulation individuelle de patrimoine. A travers les sciences dures et les sciences humaines, comme au moyen de l’art et de la spiritualité, à travers les institutions comme les expériences individuelles et collectives, mettre en œuvre – à travers nos institutions – scoutisme, jeunesse, éducation – comme à travers la catéchèse et la prédication des récits de vie à proprement parler évangéliques, compréhensibles et enviables pour le plus grand nombre, ici et ailleurs.
7. En effet, l’approche de ces sujets est nécessairement globale. C’est au niveau planétaire qu’il faut les considérer. Ainsi, le développement de l’Afrique interpelle directement l’Europe, et plus particulièrement le monde protestant. Or le développement de l’Afrique passera par le développement de l’exploitation des immenses ressources de son sous-sol. Il est essentiel que celui-ci se fasse au profit des pays et régions concernées, par une juste allocation de la rente. Une bonne gestion de celle-ci – par une bonne gouvernance – est un élément essentiel de succès. Un levier potentiel bien plus important encore que l’aide publique au développement. Ce qui passe par la formation des hommes, technique autant qu’éthique. Au moment où la Chine se présente comme l’interlocuteur le plus actif dans ce domaine, notre responsabilité historique n’est-elle pas convoquée ? Là aussi les Églises de la Réforme sont interpellées, pour élaborer un message et des actions plus claires et une forme renouvelée de diaconie qui ne traite pas seulement des cas individuels mais aussi de la vie commune, y compris politique.
8. Depuis Calvin, et plus encore la séparation des Églises et de l’État, les protestants français ont contribué à la sécularisation de nombreuses idées et actions caractérisant le monde moderne, comme la valorisation du travail, du prêt à intérêt, de à la lecture, à l’écriture, à la culture et à l’éducation pour tous. Au point que l’engagement des protestants dans la vie collective se fasse directement dans la société laïque à travers les entreprises, les pouvoirs publics, ou les ONGs et non à travers la voix de l’Église, ramenée à l’accompagnement des individus. La voix des Églises de la Réforme dans la société s’est ainsi progressivement tue. Au point qu’il n’apparaît plus légitime de s’exprimer sur les sujets de société en tant que protestant. Or il est un sujet imprononçable et inintelligible dans la société laïque, qui reste au cœur de notre foi : le salut par grâce seule. Un salut qui implique la reconnaissance de ce qui nous est donné. Une reconnaissance basée sur la connaissance partagée et l’impératif de partage intra et inter-générationnel qui en découle. Tout l’enjeu pour les protestants est de rendre ce message situé au cœur de la pensée protestante, audible dans la société laïque d’aujourd’hui.
(1) J.-P. Dupuy, Le Monde, 10 septembre 2013.