« Tout est permis, mais … »
« Tout est permis, mais tout n’est pas utile. Tout est permis, mais tout n’édifie pas. » Ces paroles de l’apôtre Paul sont pour moi au cœur de l’éthique protestante, alliant à la fois liberté et responsabilité. Peuvent-elles être une référence dans les débats qui font suite aux événements du 9 et 11 janvier ?
Dans la réflexion qui se déploie actuellement sur la liberté d’expression, ses limites et le respect des convictions et croyances d’autrui, il me semble – ainsi qu’à beaucoup d’autres, sûrement – que les chrétiens pourraient avec profit s’inspirer de l’épître aux Corinthiens (10.23). Je pense aux chapitres 8 et 10 qui traitent une question de vie quotidienne mettant en cause les relations entre chrétiens, juifs et païens sous le rapport de la nourriture. Peut-on manger les viandes sacrifiées aux idoles païennes ? Assurément, dit Paul, puisque pour nous, qui croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu, les idoles n’existent pas. « Ce n’est pas un aliment qui nous rapprochera de Dieu : si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins, si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus. (8.8) » Mais à cette liberté du chrétien vis-à-vis de toute prescription alimentaire, il y a une limite : ce qui choquerait, scandaliserait certains, troublerait leur conscience et leur foi (8.10-13). Si donc, on est informé du fait que la viande provient d’un sacrifice aux idoles, mieux vaut s’en abstenir, non pas pour soi, mais pour les autres (voir aussi 10.27-30, où il parle du « motif de conscience », mais en précisant : « la conscience de l’autre »).
Bien entendu, Paul raisonne ici « en interne », pensant aux différents degrés de « connaissance » entre des chrétiens plus ou moins profondément convertis : il y a ceux qui ont compris l’absolue liberté des enfants de Dieu et ceux qui restent marqués par leurs habitudes, qu’il appelle les « faibles ». Ce mot est dangereux et Paul est bien conscient du risque d’orgueil spirituel que peut induire son message ; c’est pourquoi il met en garde ses lecteurs en écrivant : « La connaissance gonfle d’orgueil, mais l’amour édifie. (8.1) » Donc l’attitude juste du chrétien est la suivante : ne pas nous prévaloir d’une connaissance supérieure vis-à-vis de ceux qui ne l’ont pas acquise, mais, par amour, restreindre volontairement la liberté que Dieu nous accorde.
Peut-on dès lors transposer un tel critère du comportement dans les relations « externes », avec des non chrétiens, en l’occurrence des musulmans (je parle ici de tous les musulmans et non des plus restrictifs dans leur interprétation des textes) ? Et peut-on le faire pour ce qui est au cœur de l’actualité : la représentation – satirique ou non, d’ailleurs – de ce qu’ils considèrent comme non représentable ? L’exercice de transposition a ses limites et je ne pousserai pas trop avant le parallèle. Je ne pense pas qu’il faille toucher à la loi, qui garantit ce bien précieux entre tous, la liberté de conscience et d’expression ; ou plutôt je ne me prononcerai pas sur ce point, qui me dépasse. Mais dans nos vies de disciples du Christ, oui, je le pense, nous pouvons et nous devons nous abstenir de faire ou dire ce qui choquera, nous pouvons et devons volontairement imposer des limites à la liberté que Dieu nous donne. Non pas seulement pour des raisons psychologiques évidentes, parce qu’affirmer cette liberté de manière fracassante serait objectivement contre-productif : « tout n’édifie pas », parfois traduit « tout n’est pas constructif ». Mais aussi par amour.
Certes dans les textes du Nouveau testament, l’amour fraternel, l’agapē, concerne d’abord la vie interne des communautés. Mais, dans la logique de l’Évangile, ne sommes-nous pas fondés à l’étendre aux non chrétiens ? Et, pour revenir à la dimension publique et civile qui a présidé aux manifestations de ce début de janvier, ne pourrait-on pas dire aussi que l’amour auquel le chrétien est appelé va au-delà non seulement de la liberté garantie par le régime républicain, mais même du respect qui est demandé au citoyen ?
Photo Amr Fayez.