Moins c’est plus !
«En ce début de carême», est-ce que ce ne serait pas le moment «de mettre en suspens, au moins provisoirement, notre tendance irrépressible à tout vouloir remplir» ? Pour basculer «dans une perception des choses en rupture avec les fausses évidences qui nous entourent», voici 9 «exercices pour nous remettre les idées en place en allant vers le moins».
Texte publié sur Tendances, Espérance.
Laissons-nous inspirer par le carême
Comme chaque année, plusieurs organismes se réunissent, en Suisse, pour proposer une action de carême œcuménique. Cette année ils proposent, comme slogan: Moins c’est plus.
L’image qui accompagne le slogan dit clairement qu’il s’agit, aussi, d’aller à rebours de la tendance spontanée de l’économie où les uns ont de plus en plus tandis que les autres ont de moins en moins, ou stagnent dans la misère.
Mais avant d’en venir à un éventuel projet de société, je voudrais déjà prendre ce mot d’ordre comme un défi adressé à toute personne vivant correctement dans un pays riche. Est-ce que nous avons besoin, autant que nous le pensons, d’avoir encore plus ? Et est-ce que notre vie, remplie de toutes parts, ne nous fait pas perdre de vue des réalités essentielles ?
La leçon du désert
En ce début de carême, on nous propose, à l’occasion des lectures dominicales, de méditer sur les séjours que Jésus fait dans le désert, au début de son ministère. Ce n’est pas un lieu où il s’installe. C’est plutôt un lieu où il se retire, de manière régulière (surtout au début de l’évangile de Marc), pour prendre du recul et repartir ensuite de l’avant. C’est là qu’il peut peser l’essentiel, prier au calme et sortir en proclamant l’approche du Royaume de Dieu.
Et je pense que nous nous trouverions bien, nous aussi, de mettre en suspens, au moins provisoirement, notre tendance irrépressible à tout vouloir remplir. Nous verrions alors plus clairement où se situe l’essentiel. Jour après jour, en effet, nous remplissons notre temps, nous sommes remplis de stimulations, nous sommes remplis de connexions, nous sommes remplis d’informations, nous sommes (pas autant que nous le voudrions) remplis de biens matériels, remplis de projets, remplis de frustrations, remplis d’idées, remplis de musique, remplis d’images… Et tout cela ne nous procure pas autant de satisfaction que nous l’imaginons, finalement.
Donc j’ai imaginé :
Quelques exercices pour nous remettre les idées en place en allant vers le moins, pour un temps (et plus si affinité…)
Je vous les livre en vrac et à vous de voir si l’une ou l’autre idée vous inspire.
Moins se remplir de messages: laissez votre téléphone de côté pendant une journée et notez ce à quoi vous avez pensé d’inhabituel.
Moins remplir son temps: pendant une demi-heure, mettez-vous dans une pièce isolée et soit regardez une image, une photo, une peinture qui vous parle, soit écoutez une chanson, un cantique que vous aimez, mais rien d’autre. Qu’est-ce que vous avez perçu pour la première fois ?
Moins remplir ses activités: allez à pied à un endroit où vous avez l’habitude d’aller en voiture; que découvrez-vous ?
Moins zapper: prenez le temps de vous informer sur quelque chose dont vous avez entendu parler à la radio, à la télévision, sur les réseaux, à travers un gros titre, etc. Cela vous donne-t-il une perception différente ?
Prenez le temps de vous interroger: à la fin de la journée, passez en revue les différents moments que vous avez vécu; que s’est-il passé ?
Quelle est la dernière fois où vous vous êtes ennuyé ? Que s’est-il passé après ?
J’en ajoute trois pour les croyants :
Moins se remplir de versets bibliques, au gré de lectures superficielles: écrivez un verset sur un papier et relisez ce verset de temps en temps pendant trois jours, sans lire d’autre passage biblique
Moins remplir nos prières de paroles que nous déversons devant Dieu : écrivez une phrase qui vous tiendra lieu de prière du jour.
Et finalement: au travers de l’une ou l’autre de ces démarches, quelle est la parole de Dieu que vous avez entendu ?
La radicalité est au bout de la rue
Ce qui me frappe, pour m’être livré à l’occasion à l’un ou l’autre de ces exercices, c’est avec quelle facilité on bascule dans une perception des choses en rupture avec les fausses évidences qui nous entourent.
Or, pour revenir à une question macro-sociale, il devient de plus en plus évident, même pour ceux qui se voilent la face, que nous touchons à la finitude du monde dans lequel nous vivons. Et cela réveille des réflexes de plus en plus agressifs du genre: «Ne touchez pas au grisbi». Au sein des États, autant qu’entre les États, les politiques défensives et répressives prennent le dessus, pour ne rien dire des politiques militaires offensives ! Il y a une sorte de panique globale qui est en train de s’installer.
Et donc, à travers ces petits exercices méditatifs que je propose, je ne suis pas en train de proposer des solutions simples voire simplistes à cet état de fait. Je veux plutôt montrer qu’il n’est pas si difficile d’échapper à la panique ambiante si nous prenons le temps de nous interroger sur ce qui, finalement, a du sens et de la valeur et sur ce qui importe pour de bon.
Illustration: rayon épicerie d’une grande surface dans la banlieue de Lyon (photo Benoît Prieur, CC0 1.0 universel).