Un faune, un étang: une aventure poétique et spirituelle - Forum protestant

Un faune, un étang: une aventure poétique et spirituelle

Présentant ici son dernier recueil, Jacqueline Assaël y voit «la foi, à travers une vision poétique du monde, celle du Faune du vieil étang ermite». Le faune comme «culture antique qui surgit à l’esprit, retravaillée, réinterprétée». La foi comme «nature sensorielle développée» qui «permet précisément de discerner le spirituel dans les éléments les plus concrets de l’étang», «univers lui-même imaginaire, mais qui correspond manifestement à l’horizon de la lagune des Corbières».

 

Dans la peau du Faune du vieil étang ermite: une installation dans la méditation poétique

Certains poèmes naissent d’une contemplation de l’existence, où l’on se retrouve soi-même mis en scène avec un habillage inattendu. Certaines œuvres naissent d’une méditation prolongée sur la vie, une fois revêtues ces défroques poétiques qui viennent de déclics inconnus de la conscience.

C’est ce qui s’est produit, en quelque sorte, dans le processus d’écriture de ce recueil, Faune, au seuil des houles, publié aux éditions Encres vives. Il suggère la vision du monde d’un personnage qui ne parle pas sous mon identité ni ne me représente dans mon espèce biologique, puisqu’il semble bien être un faune; il est néanmoins chargé de sensations, vécues ou oniriques, qui d’une certaine manière m’appartiennent. Elles ont été puisées dans un univers lui-même imaginaire, mais qui correspond manifestement à l’horizon de la lagune des Corbières, pleine de duvets de flamants et de pétales d’amandiers, vers les étangs de Salses et de Leucate. Pourquoi le protagoniste dont la parole résonne est-il devenu ce Faune, pourquoi le cadre de son aventure poétique et spirituelle est-il situé au sein de ce «vieil étang ermite» qui n’existe pas sous ce nom ? Ce sont les mystères spontanés de la création littéraire; on peut en entrevoir les sources à travers une culture antique qui surgit à l’esprit, retravaillée, réinterprétée, ainsi qu’à travers les notions évocatrices de la foi. Mais sans doute les contours réels doivent-ils être effacés pour que chacun, sans distinction ni exclusive, puisse se glisser dans les habits du Faune, afin de partager ses perceptions de l’espace qui l’entoure et son exploration par la pensée de l’univers qui le dépasse.

C’est qu’il faut s’installer, longtemps, souvent, dans la contemplation du monde pour éprouver des sensations d’infini. À travers notre regard, elles irradient et nous projettent dans les années-lumière du temps et de l’espace. Il faut plonger, longtemps, souvent, dans la contemplation du monde pour s’interroger aussi sur ces infinis et pour se fier enfin, d’une manière ou d’une autre, à l’étrangeté de cette réalité qui s’offre partiellement à notre vue, dans sa matérialité inexplicable, ou se dérobe mystérieusement dans sa subtilité semblable au vide.

 

Le partage de l’exaltation d’exister

Les poètes ont parfois l’impression de découvrir un trop-plein de secrets déposés en eux par la distillation de cette longue et fervente vision du monde. Alors ils essaient de les communiquer. C’est le cas du personnage qui intervient dans mon recueil intitulé Faune, au seuil des houles. Il se parle à lui-même, avec des résonances qu’il voudrait élargies, comme les cercles concentriques qui se forment autour des ricochets. Il s’agit d’une espèce d’évangélisation poétique qui annonce le miracle exaltant d’exister.

Manifestement, il a une vocation spirituelle, car il fréquente les abbayes romanes et il finit par s’installer dans un îlot, au cœur du vieil étang ermite. La voix inconnue qui dialogue avec lui nous raconte indirectement des bribes de son histoire:

Faune aguerri
Aux gouffres des montagnes
Et aux cloîtres secrets
Des abbayes romanes
Au risque de ton cri
S’offre l’étang ermite

La voix s’inquiète d’entendre la réflexion du Faune se disperser dans les directions de l’infini, tantôt en explorant le champ de l’astrophysique, tantôt en s’intéressant aux fossiles de l’humanité découverts non loin de chez lui, à Tautavel, dans les Corbières. Le Faune rassure sa voix intérieure ou celle d’interlocuteurs imaginaires, avec une assertion presque biblique:

«Que crains-tu de ma science
Quand je cherche à mains nues
Les yeux écarquillés
L’ombre d’un neutrino
Et le boson de Higgs

Je le sais
Seul l’esprit
Plane sur les eaux»

Mais, comme Blaise Pascal, c’est l’observation des profondeurs de la nuit qui l’instruit, ainsi que sa rêverie sur les incendies incommensurables du cosmos, dans les gouffres des galaxies inaccessibles à l’œil même des télescopes:

«Ce qui m’éclaire c’est le feu
À jamais intense
Et dense
Qui n’est qu’un résidu
Une forme mouvante
Chauffant à blanc

La stridence insonore
D’un mystère-lumière»

Quant à sa connivence avec l’homme préhistorique de Tautavel, elle lui donne à penser la continuité du projet de la création:

«J’ai dans mes fibres
L’uranium de mon âge
Et de sa pierre
Il extrayait
Tant d’avenir
Je ne crois pas
Que le Christ nous distingue
Car nos volutes d’ADN
Enroulent l’éternel
Des mémoires de Dieu»

 

La foi du Faune

Si l’identité faunesque du personnage est adéquate pour communiquer ses expériences de vie et sa vision poétique du monde, sans doute est-ce parce que, compte tenu de ses caractéristiques génétiques, il est nécessairement doué d’une nature sensorielle développée. Elle lui permet précisément de discerner le spirituel dans les éléments les plus concrets de l’étang. Ces sensations, manifestement, lui instillent sa foi, puisqu’au terme de sa veille incessante, au matin il accepte de relâcher la garde et de s’abandonner à l’épaisseur de sa condition.

«À l’aube
Le pas glissant
Sur l’anneau mauve
Des varechs
Je sens
Dans mes orteils
De quelle pesée instable
L’esprit prend pied
Dans l’essence du monde
Et
Sans résistance
Je m’endors»

Il consacre cependant l’essentiel de son temps à tenter de prendre conscience, absolument, de ce qui fait la définition exacte et accomplie de l’humain:

«Ce kaïros
Qui crée
Non pas l’humain
Mais
Cette touche d’humanité
Ce lien secret
Entre les hommes et Dieu»

Bien évidemment, à cet effet, le Faune en passe par la prière, que sa vision de l’étang, d’ailleurs, lui inspire:

«L’absence d’horizon
Invente
Le degré exact

De la prière»

Là encore, son discours n’a rien de théorique. Il nous révèle la sagesse de son humeur égale, dans le calme de cet étang qui a le pouvoir d’user les morsures des déceptions et des souvenirs cuisants. Son attente, comme un espoir, s’étend alors vers l’infini des perspectives que lui ouvre la sérénité qu’il a acquise.

«Mon instinct de prière
A déjà martelé
Au fil des siècles
L’airain de la colère
Et des cabosses du passé
Jusqu’à dérouler
Comme un escalator
D’attente
Et ses strates ductiles
Invisibles
Vers l’horizon
De mille années-lumière»

Dans son ascèse, le Faune apprend à intégrer toutes les blessures et les brisures de la vie, de sorte à en pétrir la pâte et la science de son amour, qu’il attend comme découverte suprême.

«Au souffle du couchant
Dans l’extinction des braises
Et
Sous la brise du levant
Mon cœur s’est laminé
De débris insensibles
Et incrusté
Aussi
De ces brisures
Dont l’amour ressuscite
Et il attend»

Je suis heureuse et reconnaissante que les éditions Encres Vives, librement ouvertes à tous les souffles d’inspiration poétique, aient entendu et accueilli la profération du Faune décryptant le monde, presque méthodiquement, avec acharnement, pour en nourrir l’extase et le calme de son âge.

 

Illustration: l’étang de Salses-Leucate vu depuis Port-Leucate (photo Alan Mattingly, CC BY-SA 4.0 Deed).

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