Les « raisons » de la branche armée du Hamas ne sont pas la cause palestinienne
Pour Jean-Paul Sanfourche (qui répond ici au texte de Philippe Malidor), ce qui limite la comparaison du conflit actuel entre le Hamas et Israël avec la guerre d’Algérie est que le Hamas veut bien plus «détruire Israël» que libérer la Palestine. Les «raisons de l’adversaire», quand celui-ci massacre des Juifs au détriment de la cause qu’il prétend défendre, sont d’abord à chercher dans les «persécutions» et «massacres dont les juifs furent victimes, au nom de l’antisémitisme».
Il faut remercier M. Philippe Malidor pour l’audacieuse clarté de son propos et la mise au point conclusive de son article (1). Celle-ci n’était pas indispensable, puisqu’aucun lecteur de Forum protestant ne l’a suspecté d’antisémitisme ! Mais, à y mieux réfléchir, ces dernières lignes étaient peut-être nécessaires à son auteur lui-même, alors qu’il mesurait le trouble que son texte pourrait susciter et les conclusions qu’on pourrait éventuellement en tirer.
Des angles d’analyse à nuancer
Qu’on ne voie surtout pas dans mon commentaire la vaine recherche de la controverse, encore moins celle de la polémique. Seulement, il semble que les angles d’analyse de Philippe Malidor peuvent être nuancés. Allons droit au but: le terroriste du Hamas n’est pas un opprimé en lutte. La comparaison partiellement justifiée avec le FLN a cependant ses limites.
Le FLN, laïc, a servi la cause de l’Algérie, celle d’un peuple colonisé. Victoire politique. Il a contribué, certes avec des méthodes exécrables (2), à sa libération. Le Hamas, lui, n’a cure de la cause des Palestiniens. Il la dessert et l’a pour longtemps compromise. Il ne vise uniquement qu’à détruire Israël, dans une dangereuse compétition avec le Jihad et le Fatah. La vie des Gazaouis importe peu aux yeux des responsables du Hamas. Qui, pour certains, suivent les événements à la télévision, confortablement installés au Qatar. La tragédie de leur peuple est un spectacle.
Nul n’ignore que le Hamas est l’émanation historique de la Confrérie des Frères musulmans, mettant en cause la légitimité d’Israël et définissant le sionisme en termes politiques et religieux (3). L’objectif du Hamas est l’islamisation politique. En éliminant toute présence juive. Voilà les «raisons de l’adversaire». Voilà les «raisons» d’un pogrom.
Il ne faut pas décontextualiser les faits
Un jeune étudiant de la Faculté des Sciences sociales à Tel Aviv pose la vraie question, celle au fond que nous nous posons tous:
«Si on transforme Gaza en Mogadiscio, on fait quoi après ? Des ruines montera un mouvement plus dur encore. On n’élimine pas une idéologie à coups de bombes» (4).
Camus ne montre-t-il pas dans Les Justes qu’on ne lance pas une bombe sur la tyrannie, mais sur un homme ? Et nous avons tous en mémoire et au cœur cette phrase de Castellion:
«Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme».
Il ne faut pas décontextualiser les faits. Dire que «cette haine accumulée ne vient pas de nulle part, qu’elle s’enracine dans plus de sept décennies de conflits territoriaux» n’est pas faux, évidemment. Mais cela revient à dire que le 7 octobre est une guerre de plus dans l’histoire d’Israël. Or il ne s’agit pas de cela.
Les images atroces des violences subies par les juifs – images obsédantes d’une barbarie inouïe – sont un retour à une histoire bien plus sombre et séculaire. Celle des persécutions et des massacres dont les juifs furent victimes, au nom de l’antisémitisme. Tous les protestants, de par leur propre histoire, sont à même de comprendre cela. Ils sont, peut-être plus que d’autres, meurtris dans leur humanité profonde. Non, le 7 octobre n’est pas une guerre de plus. C’est un pogrom de plus. Oui, cette haine «ne vient pas de nulle part». Et pour la «comprendre», il faut lire la Lettre à un israélite inconnu de la part de Kamel Daoud (5).
Les raisons des uns, la cause des autres
Tout en redoutant que le peuple israélien ne cède aux pulsions de «vengeance», un ami juif m’écrivait récemment, dévasté: «… Les pogroms, la Shoah, et maintenant une nouvelle Shoah !». Dont ils sont, en tant que juifs (ces juifs qui n’ont pas le droit d’exister, qu’il faut éradiquer), les victimes. Superposer en les confondant les «raisons» de la branche armée du Hamas (dont les liens avec sa branche politique semblent loin d’être évidents) avec la cause des Palestiniens, reviendrait à demander aux victimes innocentes de se disculper. Alors, on entend à nouveau Camus, répondant aux critiques de Sartre à propos de L’Homme révolté:
«Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir des justifications».
Le sionisme, c’est la volonté de se protéger après l’Holocauste. Juste avoir le droit de vivre. Avec pour objectif l’islamisation politique, le Hamas dénie ce droit. Tenter de comprendre cela – toute compréhension supposant une communion affective que M. Philippe Malidor nomme «empathie» – m’apparaît… difficile. Et n’est-ce pas encore traiter en surimposition les «raisons» des uns et la cause des autres que d’affirmer que les «persécutions passées» n’ont pas à servir «de blanc-seing» à la politique de l’État d’Israël ? En l’occurrence, il s’agit tragiquement des persécutions du 7 octobre dernier.
La vraie cause palestinienne
Quant à la vraie cause palestinienne, celle que le Hamas ne défend pas, bien au contraire, il n’y a aucune ambiguïté: l’État hébreux n’a pas «les mains pures». Faut-il rappeler que la majorité des Israéliens étaient mobilisés contre les réformes de M. Netanyahou ? Que les hommes et les femmes massacrés des kibboutz dévastés militaient pour la paix et pour la création d’un véritable État palestinien ? Et si le peuple juif dépasse aujourd’hui ses clivages politiques, c’est d’abord au nom de ce que l’on pourrait appeler «leur unité de l’intérieur», dans la mémoire douloureuse et partagée d’une histoire tragique. Dans une volonté commune: ne pas laisser effacer ce lourd passé, ni le présent ni l’avenir du peuple d’Israël. Ce qui n’est pas sans poser la terrible question de l’avenir de Gaza, qui est la vraie cause palestinienne.
Illustration: l’un des kibboutz attaqués le 7 octobre (photo Kobi Gideon/GPO, CC BY-SA 3.0 Deed).
(1) A-t-on le droit de comprendre les raisons de l’adversaire ?, Forum protestant, 20 octobre 2023.
(2) Autant que celles de l’OAS !
(3) Voir David Khalfa, Le nouveau manifeste du Hamas, entre évolution tactique et maintien des fondamentaux idéologiques, Journal du Dimanche, 3 mai 2017 (mis à jour le 20 décembre 2022).
(4) Luc Bronner, En Israël, les mots de douleur et de rage d’une jeunesse traumatisée : «C’est un moment de rupture pour notre génération», Le Monde, 23 octobre 2023.
(5) Le Point, 23 octobre 2023.
Commentaires sur "Les « raisons » de la branche armée du Hamas ne sont pas la cause palestinienne"
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Merci pour votre article, dont la position est tout à fait défendable (je le découvre seulement maintenant). A vous lire, il me semble que nos perceptions de la situation sont plus une question de curseur qu’un antagonisme profond. Evidemment, le Hamas ne mérite aucun respect. Mais le FLN (y compris des décennies après son combat initial) en mérite à peine plus. Ce qui me chagrine, c’est qu’Israël n’a pas voulu rebondir sur le courage d’Arafat lorsqu’il avait déclaré « caduque » l’extermination de l’Etat d’Israël. Pourquoi a-t-il préféré cautionner le financement du Hamas par le Qatar et y contribuer activement? Ce fait n’est pas contesté, il est parfaitement connu. C’est si dire si la perversité n’est pas que dans un seul camp.
Et là, on est clairement dans une politique d’extermination. Un ministre israélien a clairement dit que les Palestiniens (survivants…) n’ont qu’à partir ailleurs. C’est-à-dire qu’il leur souhaite ce que les plus durs d’entre eux souhaitent à Israël. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte?
Bien amicalement, Philippe Malidor