La coopération en Église
C’est une activatrice de coopération qui est l’invitée de Jean-Luc Gadreau pour l’émission Solaé. Marie-Christine Carayol aime se présenter ainsi car toute son énergie et ses engagements visent à promouvoir la coopération. Que ce soit dans un quartier de Strasbourg comme dans une communauté chrétienne, elle croit profondément à l’impact de l’unité dans la diversité. Une démarche qu’elle explique dans un ouvrage collectif intitulé Coopérer sur la durée dans l’Église locale.
Écouter l’émission Solaé Le rendez-vous protestant (28 mai 2023, présentée par Jean-Luc Gadreau et réalisée par François Caunac).
Jean-Luc Gadreau: Marie-Christine Carayol est activatrice de coopération, une étonnante formulation que, personnellement, je trouve à la fois jolie et intrigante, et qui s’affiche en en-tête de son curriculum vitæ. Cette désignation vous convient ?
Marie-Christine Carayol: C’est parfait !
Jean-Luc Gadreau: Nous allons détailler tout cela mais, d’abord, une très rapide présentation: vous êtes, de façon générale, coach et intervenante en thérapie sociale. Accompagner les personnes vers l’autonomie, puiser dans leurs forces, potentiels et ressources a été, dites-vous, ce qui vous a guidé tout au long de votre parcours professionnel. Vous avez ainsi travaillé à Strasbourg pendant 10 ans avec une association que vous avez créée dans l’objectif d’accompagner les habitants à mettre en œuvre de projets ayant pour but d’améliorer leur condition de vie. Cette vision, portée par la croyance que chaque personne détient la solution pour elle-même, est un bout de la solution pour vivre avec les autres. Plus récemment, vous avez écrit et coordonné un ouvrage collaboratif intitulé Coopérer sur la durée dans l’Église locale. La Pentecôte, qui peut être vue comme la naissance de l’Église, évoque une histoire biblique où les langues sont multiples mais où pourtant la compréhension reste au cœur même de cette histoire et où se joue la construction d’une coopération sur la durée. Tout cela vous inspire, j’imagine, Marie-Christine Carayol ?
Marie-Christine Carayol: Tout à fait. C’est vrai que quand je travaille autour de l’intelligence collective, quand j’arrive à réunir des personnes diverses (nous sommes tous divers, d’ailleurs!) et qu’elles arrivent à élaborer, à trouver des solutions, à innover, à se dire «On va aller ensemble de l’avant», c’est forcément que l’Esprit est là. Cette diversité pourrait être à l’origine d’une division, d’une incompréhension – et cela peut arriver – mais quand l’Esprit est là, une certaine synergie se met en œuvre et c’est là que naissent de belles idées, de belles mises en œuvres, des réconciliations, des pépites… et que l’on arrive à de beaux élans collectifs à l’image de ce livre.
«Les voir autrement»
Jean-Luc Gadreau: Dans la présentation de votre site Internet, il y a une citation de Václav Havel: «L’espoir est un état d’esprit, c’est une orientation de l’esprit et du cœur et ce n’est pas la conviction qu’une chose aura une issue favorable mais la certitude que cette chose a un sens quoi qu’il advienne». Cette question de l’importance du sens dans vos engagements, comment la vivez-vous?
Marie-Christine Carayol: Dans ma vie professionnelle en tant que travailleuse sociale, d’abord, j’ai souhaité partir du potentiel que je voyais chez des habitants issus d’un quartier populaire, des habitants qui pouvaient être perçus comme des personnes limitées, en difficulté… Et j’ai eu envie de les voir autrement, de les réunir et de montrer qu’ensemble elles pouvaient arriver à être actrices de leur vie et de leur destin. C’est en ce sens-là que j’ai pu innover en réhabilitant une certaine forme de travail social communautaire qui existait déjà très succinctement dans les années 1970.
Innovation rime aussi avec prise de risque: ma vie a toujours été une prise de risque au niveau de mes engagements, au niveau financier et au niveau opinion. Si je ne fais pas l’unanimité là où je vais, je peux en revanche inspirer des personnes et il en va de même avec ce que je propose pour l’Église, cette coopération, le fait de pouvoir s’ajuster, dialoguer même si nos opinions sont antagonistes, même si nous sommes différents, et de se compléter pour arriver à avancer ensemble dans le royaume de Dieu.
«Toutes sortes d’arbres»
Jean-Luc Gadreau: En effet, vous avez appliqué cette manière de travailler dans la société civile avec un quartier de Strasbourg, comme je l’évoquais, et puis vous l’avez retravaillée en cherchant à la faire vivre au cœur de l’Église. Puisque je parle d’Église, j’en profite pour ouvrir la Bible le temps d’un rendez-vous avec la Parole. Je vous ai proposé de choisir un texte et vous avez souhaité citer Ésaïe 41, 19-20.
«19Dans le désert, je planterai toutes sortes d’arbres, des grands et des petits. Dans les régions sans eau, je mettrai ensemble différentes espèces d’arbre.
20Alors, tout le monde verra ceci: c’est le Seigneur qui a réalisé ces choses, c’est le Dieu saint d’Israël qui les a créées. Tout le monde le saura, tous feront attention et le comprendront.»
Avec ce que vous venez de nous dire précédemment, ce texte prend évidemment un sens tout particulier. «Toutes ces sortes d’arbres» peut être entendu comme une métaphore de la diversité que l’on rencontre dans la société comme dans l’Église. C’est bien cela qui a porté le choix de votre texte?
Marie-Christine Carayol: C’est tout à fait cela. Dans d’autres traductions, on a aussi six essences d’arbres qui sont proposées, des grands et des petits, effectivement. J’ai utilisé ce passage il y a quelques temps pour accompagner une Église et une personne de cette Église m’a dit: «Mais oui, en fait on ne peut pas rester figé, on est obligé de lever et de baisser la tête pour pouvoir apercevoir toutes ces essences d’arbres et on ne peut pas rester dans un seul point de vue, un seul schéma, on est obligés de bouger». Ce qui est intéressant aussi est que ces arbres sont plantés dans le désert et que c’est par cette diversité (comme dans le titre du livre L’unité ‘par’ la diversité et non pas malgré la diversité ou dans la diversité) que le rayonnement se fait.
Jean-Luc Gadreau: La diversité devient une richesse, finalement.
Marie-Christine Carayol: Exactement.
«Faire en sorte que la richesse des uns et des autres soit révélée»
Jean-Luc Gadreau: Ce livre, Coopérer sur la durée dans l’Église locale, dont nous parlons indirectement depuis le début de notre échange, fait tout de même plus de 380 pages! Comment est-il né? Comment avez-vous eu cette idée de travailler ainsi et qu’est-ce qui a motivé ce travail?
Marie-Christine Carayol: Il est né de la grâce d’un temps de pause: le confinement! Mais effectivement, ce sont différentes aspirations et envies qui se sont rejointes en moi. Il y a cinq ou six ans, j’ai mis un peu de côté mon engagement dans les quartiers et je suis allée rejoindre de plus près l’Église et notamment la gouvernance de mon Église. Celle-ci comporte 700 membres, donc autant vous dire qu’il y avait du travail à faire !… Il y a de la diversité, c’est une Église multiculturelle, intergénérationnelle et c’est ce qui est intéressant, c’est ce qui constitue aussi son défi. Je me suis donc mise au service de cette Église et j’ai vu qu’il y avait énormément de choses à faire en termes d’amélioration, de pouvoir d’agir – on utilise souvent le mot anglo-saxon empowerment – et, dans l’Église, cette diversité pour moi ne demande qu’à être révélée. Les dons, la vie intérieure, le parcours, le témoignage si riches des uns et des autres ne demandent parfois qu’à être révélés comme un bouquet et je trouve que, souvent, on ne voit pas assez ce bouquet. Je trouve cela dommage; j’avais envie d’encourager les uns et les autres à faire en sorte que la richesse des uns et des autres soit révélée. C’est en tout cas ce qui moi me motive et me passionne à chaque fois.
Jean-Luc Gadreau: Il faut également le dire, ce n’est pas un livre classique: il y a de la couleur, des dessins, des schémas, des types d’apports différents, des auteurs différents aussi et très divers d’un point de vue ecclésial (la diversité du protestantisme est bien présente). Comment le présenteriez-vous?
Marie-Christine Carayol: J’ai voulu permettre à des responsables d’Église de s’exprimer sur ce qui pouvait être parfois un frein, parfois un levier par rapport à la coopération. Et effectivement, beaucoup sont venus me demander si ce livre pouvait aussi leur permettre de coopérer entre assemblées et entre assemblées différentes et diverses, sur un même territoire. C’est vrai que ce n’était pas mon ambition première qui était davantage de travailler dans l’Église locale. Ce qui m’a beaucoup intéressée – et c’est ce que je poursuis désormais dans un autre projet – c’est aussi d’entendre les aspirations des membres d’Église, d’entendre à quel point elles ont envie de participer et de contribuer. Parfois elles ne savent pas comment le faire, sont assignées à une place ou à un service qu’elles ne désirent pas vraiment mais dont elles s’acquittent pour répondre à une demande et, finalement, elles se retrouvent dans quelque chose qui ne leur convient pas, avec lequel elles ne sont pas alignées. Une notion que j’essaie de partager est la congruence, c’est-à-dire le fait d’être aligné entre ce qu’on pense, ce qu’on dit et ce qu’on fait. Il faut que l’Église soit un lieu où l’on puisse se réaliser non pas pour notre gloire personnelle mais pour nous faire grandir, et que le service ne devienne pas une finalité mais un moyen pour grandir.
«Se mettre à côté pour permettre à la personne d’avancer»
Jean-Luc Gadreau: Pour vous, quels seraient concrètement les points fondamentaux pour vivre – je reprends là le sous-titre du livre – l’unité par la diversité ?
Marie-Christine Carayol: Pour moi, le maître-mot de ce livre est l’intentionnalité. Nous avons un travail à faire tous ensemble et de manière participative et je pense que c’est tout à fait possible avec une vision d’Église où chacun se retrouve un peu embarqué dans quelque chose qui va le faire grandir. Pour cela, il faut aussi que les services s’exercent avec l’intentionnalité de faire grandir la personne pour qu’elle exerce sa vocation d’être un disciple qui fait des disciples. Souvent, on a simplement comme intention de faire des disciples alors que, pour que ces disciples-là fassent d’autres disciples et qu’on rentre dans une dynamique de multiplication, il faut pouvoir s’effacer un peu, se mettre à côté pour permettre à la personne d’avancer à la fois vers une maturité spirituelle et une autonomie, et notamment une autonomie de pensée. Parfois, une autonomie de pensée s’accompagne de contrepouvoirs ou tout du moins d’une compréhension différente des choses, d’une façon différente d’exprimer les choses, et c’est là qu’on peut sentir un peu de danger puisque les gens, en grandissant et en s’autonomisant, acquièrent une pensée propre.
Jean-Luc Gadreau: Des frottements se produisent, forcément.
Marie-Christine Carayol: Voilà. Et cette autonomie de pensée est très importante, surtout à l’heure actuelle (par exemple, une émission parlait récemment de la façon un peu américaine et uniforme des évangéliques). Je pense qu’il y a vraiment un contrepied à prendre dans le fait que chacun là où il est puisse développer une pensée autonome, une façon de s’approprier les textes de la Bible, de les faire vivre de la manière qui lui correspond et qui correspond à la fois à son appel, à son expérience, à son éducation. Il faut qu’on puisse vivre de cette manière les uns avec les autres et bénéficier de la richesse et de la diversité de chacun.
Jean-Luc Gadreau: On parle beaucoup du changement dans les pages de Coopérer sur la durée dans l’Église locale. Faut-il obligatoirement changer? Est-ce toujours nécessaire ?
Marie-Christine Carayol: Le changement fait partie de ces choses qu’on ne décrète pas forcément. On peut choisir de changer et se laisser porter mais, au bout du compte, c’est ce lâcher-prise et cette ouverture qui nous amènent finalement à changer.
Jean-Luc Gadreau: Oui, le désir n’est pas forcément là à l’origine mais, par la force des choses, le changement se produit ?
Marie-Christine Carayol: Voilà… Il faut être un minimum prêt et ouvert à accueillir et à accepter l’autre dans sa diversité.
Jean-Luc Gadreau: Et peut-être que les frottements dont on parlait tout à l’heure vont produire du changement, ne serait-ce que dans la forme?
Marie-Christine Carayol: Exactement. C’est le but en tout cas. C’est comme ça que Dieu s’y prend avec nous quand il nous parle du potier, de l’argile, de toutes ces métaphores…
«La coopération, c’est faire œuvre commune»
Jean-Luc Gadreau: Même s’il y a justement un très fort et constant appui biblique dans tout ce qui est développé dans les pages de ce livre, j’ai le sentiment que l’essentiel pourrait s’appliquer à tout groupe sans que la dimension spirituelle, religieuse ni la notion de foi ne soient forcément présentes. Mais il me semble qu’il y a tout de même des spécificités propres à l’Église…
Marie-Christine Carayol: Oui. Il y a bien sûr cette notion de corps du Christ où chacun est indispensable et chacun contribue au bien-être de l’ensemble, avec la tête qui est Dieu. On a beaucoup de métaphores, il y a la prière sur l’unité et différentes choses qui nous amènent vers cela. Je pense que cette unité et à la fois cette nécessité que chacun trouve sa place, prenne sa place et contribue au bien-être de l’ensemble, c’est réellement un enjeu spirituel très fort. Cet intérêt commun est vraiment la définition de la coopération, c’est faire œuvre commune. Je pense qu’on a une grande œuvre à faire ici, ensemble sur Terre pour répondre à l’appel du Christ pour son Église.
Jean-Luc Gadreau: Une particularité dans le titre m’a interpelé: sur la durée. C’est-à-dire que ce n’est pas un travail de coopération sur un évènement, sur un instant mais quelque chose qui doit s’inscrire sur la durée, dans la vie de cette Église ?
Marie-Christine Carayol: Tout à fait, je pense que c’est l’enjeu. On parle beaucoup, et cela m’interpelle, des questions d’épuisement professionnel, de burn-out, de conflit, de rupture, de gens qui sont à terre ou qui abandonnent, que ce soit du côté des professionnels de l’Église ou de celui des laïcs, et je crois que c’est uniquement en coopérant et en mettant en œuvre ces ingrédients pour coopérer qu’on pourra s’inscrire dans une durée et ne pas être déçu, désespéré, épuisé, après avoir fait de grandes choses ensemble sans finalement avoir travaillé le fond et ce qui nous rassemble.
Jean-Luc Gadreau: Vous proposez un complément à ce livre avec un site Internet, altherite.com sur lequel on trouve notamment un blog et des articles complémentaires à l’ouvrage ainsi que des vidéos sur la chaîne YouTube Coopérer dans l’Église.
Marie-Christine Carayol: Tout à fait. J’ai voulu proposer aux Églises qui souhaitent se former à la coopération un outil en douze modules avec une formation en ligne, des vidéos, des podcasts où je suis allée à la rencontre d’Églises qui entament un processus de coopération, pour leur donner toutes les clés et aussi créer une culture commune. Certaines Églises en implantation l’utilisent, des Églises peuvent l’employer avec leurs responsables qui se réunissent tous les mois, qui font un parcours suivi sur une année, etc. Ce qui est intéressant c’est que cette formation peut également se faire sur mesure, en fonction des besoins et de la configuration des Églises.
Jean-Luc Gadreau: Merci beaucoup pour cette conversation, Marie-Christine Carayol et très bonne suite à vous, avec ce nouveau projet que vous avez évoqué, dans la continuité de ce premier livre.
Transcription réalisée par Pauline Dorémus.
Illustration : Coopérer dans l’Église (Source: YouTube, capture d’écran).