De l’alternumérisme : d’autres numériques sont-ils possibles ?
« Mais cet autre numérique est-il possible ? Les promesses d’un numérique plus juste, plus fraternel, plus responsable, plus équitable, plus éthique, plus inclusif, plus démocratique, plus frugal… n’ont cessé d’être répétées à mesure que nous nous en éloignions chaque jour davantage. À l’image des excuses à répétitions de Mark Zuckerberg, le numérique ne cesse de promettre qu’il va demain s’humaniser, alors qu’en fait, il ne cesse, de scandale en scandale, de se révéler chaque jour encore moins humain qu’hier. »
Pour Hubert Guillaud, qui rend compte du livre Contre l’alternumérisme de Julia Laïnae et Nicolas Alep, se confronter aux « livres les plus critiques à l’encontre des enjeux technologiques » est une nécessité, particulièrement pour ceux qui comme lui « espèrent d’un autre numérique ». Or, pour Laïnae et Alep, « l’alternative numérique n’existe pas » et « à l’heure où le découplage entre pouvoir et technologie se fait toujours désirer et semble de moins en moins probable tant le Big Data et l’Intelligence artificielle promettent une recentralisation phénoménale », « il n’y a pas d’autres options qu’arrêter la machine ». Les « acteurs qui travaillent à rendre le numérique plus durable », ceux « qui prônent le cyberminimalisme et une reconquête attentionnelle » feraient ainsi preuve d’une « écologie mollassonne », les acteurs de l’inclusion numérique prépareraient un monde « totalement dépendant » d’un numérique « trop complexe pour qu’aucun humain ne soit à même d’en comprendre le fonctionnement complet ». Contre le toujours vivace « fantasme d’émancipation par la technologie », contre les critiques libristes ou les combats pour la neutralité du net, la transparence, l’ouverture des données, Laïnae et Alep affirment qu’« on ne peut pas garder d’un côté les bons usages et rejeter les mauvais, car ce serait penser que la technique est neutre » et que « défendre les bons usages du numérique revient à défendre les bons usages d’une drogue dont on omettrait les potentialités délétères pour se concentrer sur le côté agréable et enrichissant du trip ». Une critique radicale qui résonne d’autant plus que, reconnait Guillaud, « nous n’avons pas réussi jusqu’à présent à contenir une technologie, à arrêter son développement, à maîtriser ses dangers quand bien même leurs coûts pour le vivant aient été désastreux » même si, pour lui, « œuvrer à réformer la technologie » reste « le seul rempart à son déploiement total ».
(13 février 2020)