À lire Archives - Page 8 sur 20 - Forum protestant

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De l’alternumérisme : d’autres numériques sont-ils possibles ?

 

« Mais cet autre numérique est-il possible ? Les promesses d’un numérique plus juste, plus fraternel, plus responsable, plus équitable, plus éthique, plus inclusif, plus démocratique, plus frugal… n’ont cessé d’être répétées à mesure que nous nous en éloignions chaque jour davantage. À l’image des excuses à répétitions de Mark Zuckerberg, le numérique ne cesse de promettre qu’il va demain s’humaniser, alors qu’en fait, il ne cesse, de scandale en scandale, de se révéler chaque jour encore moins humain qu’hier. »

Pour Hubert Guillaud, qui rend compte du livre Contre l’alternumérisme de Julia Laïnae et Nicolas Alep, se confronter aux « livres les plus critiques à l’encontre des enjeux technologiques » est une nécessité, particulièrement pour ceux qui comme lui « espèrent d’un autre numérique ». Or, pour Laïnae et Alep, « l’alternative numérique n’existe pas » et « à l’heure où le découplage entre pouvoir et technologie se fait toujours désirer et semble de moins en moins probable tant le Big Data et l’Intelligence artificielle promettent une recentralisation phénoménale », « il n’y a pas d’autres options qu’arrêter la machine ». Les « acteurs qui travaillent à rendre le numérique plus durable », ceux « qui prônent le cyberminimalisme et une reconquête attentionnelle » feraient ainsi preuve d’une « écologie mollassonne », les acteurs de l’inclusion numérique prépareraient un monde « totalement dépendant » d’un numérique « trop complexe pour qu’aucun humain ne soit à même d’en comprendre le fonctionnement complet ». Contre le toujours vivace « fantasme d’émancipation par la technologie », contre les critiques libristes ou les combats pour la neutralité du net, la transparence, l’ouverture des données, Laïnae et Alep affirment qu’« on ne peut pas garder d’un côté les bons usages et rejeter les mauvais, car ce serait penser que la technique est neutre » et que « défendre les bons usages du numérique revient à défendre les bons usages d’une drogue dont on omettrait les potentialités délétères pour se concentrer sur le côté agréable et enrichissant du trip ». Une critique radicale qui résonne d’autant plus que, reconnait Guillaud, « nous n’avons pas réussi jusqu’à présent à contenir une technologie, à arrêter son développement, à maîtriser ses dangers quand bien même leurs coûts pour le vivant aient été désastreux » même si, pour lui, « œuvrer à réformer la technologie » reste « le seul rempart à son déploiement total ».

(13 février 2020)

La ville numérique en chantier : fantasmes et réalités

 

« Ce qui me frappe depuis que je travaille sur cette question, c’est de voir à quel point il existe une incertitude généralisée. On entend souvent dire que les acteurs publics sont dépassés : il est vrai que le numérique entraîne des changements beaucoup plus rapides qu’auparavant, et de l’incertitude pour les pouvoirs publics. Mais c’est la même chose en face, chez les acteurs privés ! Eux aussi ont énormément de mal à se projeter, et à savoir si leurs offres et services vont fonctionner ou pas. »

« Une notion un peu fourre-tout » : c’est ainsi qu’Antoine Courmont (interrogé par Claire Richard) juge le terme de smart city qui veut synthétiser les efforts d’optimisation numérique du fonctionnement urbain. Pour dépasser les discours systématiquement positifs ou négatifs sur les « effets que la technologie va produire dans l’espace urbain », l’ouvrage collectif Gouverner la ville numérique a voulu « aller voir ce qui se passe concrètement sur le terrain ». Et a constaté « que les réalisations sont souvent assez éloignées des discours, qui sont souvent des discours de communication — et surtout que les effets peuvent être très variés ». Plutôt que le « pilotage de la ville par un grand tableau de bord qui regroupe toutes les données », c’est surtout « la mise en place, dans différents secteurs de l’action publique, de capteurs qui permettent de rendre le réseau urbain un peu plus efficace ». Plutôt qu’une « privatisation des services », on semble aller vers une « co-construction de ces marchés du numérique urbain » car les acteurs privés eux-mêmes « ont besoin d’un cadre règlementaire clair et stable pour pouvoir développer leur offre ». Le nouveau mode de représentation de la ville (un ensemble de traces individualisées plutôt qu’un système) modifie les pratiques des gestionnaires de réseau et de leurs utilisateurs comme le montre Waze avec la régulation des transports mais ne supprime pas la tension « insoluble » entre les « lignes d’instruction très formelles » de l’informatique et l’« informalité, le caractère substantiel de ce qui fait la ville, le territoire, l’humain… »

(30 janvier 2020)

Les finalités de l’entreprise

 

« Lorsque le management et les directions prennent des décisions dans l’entreprise, ils utilisent toujours des grilles de lecture et des outils comptables qui orientent leur action. Avec les outils comptables orientés profit et rentabilité mais également marges et prix de revient, l’objectif systématique est de réduire les coûts et les charges. Dans cette logique comptable, l’entreprise comme « structure productive » n’existe pas. Il n’y a rien d’étonnant puisque toute la comptabilité repose sur le droit comptable de la société qui reflète le seul point de vue des détenteurs de capitaux. »

Interrogé par Jean Bastien à propos de son dernier livre Reconstruire l’entreprise pour émanciper le travail, le sociologue Daniel Bachet précise que, plus que le profit et la rentabilité qui « ne sont que des indicateurs à faible portée », ce sont « les biens et/ou les services produits et vendus en vue de répondre à des besoins qui représentent la véritable richesse des entreprises et plus largement d’un pays ». De même, l’entreprise n’étant ni « un objet de droit ni une personne » , les actionnaire ne possèdent pas l’entreprise (ni donc ses salariés) mais seulement « le véhicule juridique de l’entité économique, bien réelle qu’est l’entreprise ». D’où un regard critique sur les aménagements limités (car selon lui sans « contenu précis et impératif ») prévus par la loi PACTE qui continue à faire prévaloir l’intérêt « des seuls détenteurs de capitaux associé à une vision déformée de l’entreprise ». Pour Bachet, « une organisation plus équilibrée des pouvoirs ne pourra faire l’économie d’une nouvelle manière de voir l’entreprise et d’une refondation des outils comptables ». Car des « outils comptables orientés profit et rentabilité mais également marges et prix de revient » forcent à toujours « réduire les coûts et les charges ». Alors qu’« une autre manière de voir et de compter en vue de faire véritablement « exister » l’entreprise » mettrait au premier plan la valeur ajoutée qui « est à la fois le véritable revenu de l’entreprise et la source des revenus des ayants droit entre lesquels la valeur ajoutée est répartie ». Ce qui « permettrait de faire les liens entre les dimensions physiques et matérielles des produits et les facteurs économiques sociaux et environnementaux. Donc de sortir du productivisme, d’économiser les ressources et de les rendre renouvelables au sein de nouveaux modèles de développement. »

(18 janvier 2020)

L’intégration des immigrés : débats et constats

 

« Ainsi, les chercheurs ne détiennent aucun monopole sur la thématique de l’intégration. Elle est abondamment traitée par les politiques, les journalistes, les essayistes, les polémistes – en général avec un bel aplomb. Les politiques usent parfois d’un terme condescendant pour désigner les chercheurs et les experts : les « sachants », sous-entendu ceux qui arborent leur savoir sans affronter les contraintes réelles de l’action. D’expérience, pourtant, et s’agissant de l’intégration, j’observe que les « sachants » – ceux qui savent déjà tout – évoluent davantage dans la mouvance politico-médiatique que dans le monde de la recherche. Les chercheurs qui s’intéressent de près au sort des immigrés dans la société sont plutôt des gens qui doutent et s’interrogent ; ils passent du temps à mettre au point des dispositifs d’observation et d’enquête, à rouvrir les archives pour questionner les catégories, à tester les outils de mesure. Ils ne profèrent pas d’oracles du haut d’une science souveraine. »

Dans ce cours prononcé au Collège de France, le démographe François Héran, après avoir rappelé la « constellation de notions connexes ou rivales » entourant le terme intégration et qui expliquent la diversité des positions à son égard, préfère s’en tenir aux « réalités concrètes », à la « suite de processus observables au fil du temps ». Les vastes enquêtes internationales menées par l’OCDE et la Commission européenne peuvent aider à se faire une idée sur « l’intégration des immigrants telle qu’elle se fait »«  les performances de la France en la matière sont loin d’être éblouissantes », que l’on compare les situations (travail, conditions de vie, engagement civique et social) des premières et deuxièmes générations d’immigrés vis à vis des natifs, les capacités des élèves ou le type d’emploi occupé par rapport au diplôme. Ceci alors que la France a été l’un des premiers pays « à avoir officialisé le concept d’intégration dès la fin des années 1980 ». Sans dire « que faire de tels résultats », Héran détaille ensuite les difficultés que l’on a dans ce pays pour parler d’intégration. D’abord parce que la recherche n’est absolument pas consensuelle sur ce sujet avec au moins trois conceptions : l’intégration conçue comme « idéal républicain » (basé sur le principe d’égalité), vue comme une « promesse creuse » ou au contraire un « instrument de domination » (ces deux conceptions opposées s’accordant sur l’inégalité, exigée d’un côté, contestée de l’autre, entre l’immigré et la société qui l’accueille). Ensuite parce que « l’intégration est une notion récurrente du débat public », elle « court les rues » et c’est là « un obstacle supplémentaire pour qui veut la traiter scientifiquement ». Enfin, parce que c’est « une notion largement rejetée par les immigrés et leurs descendants », peut-être parce que « les enquêtes officielles qui cherchent à évaluer leur degré d’intégration reposent sur un soupçon insupportable : elles mettent en doute la légitimité de leur présence au sein de la société ». Malgré ces difficultés, Héran pense qu’on peut « sauver » la notion d’intégration à condition d’être conscient qu’elle est à la fois un idéal et un processus concret et donc « qu’on ne sait jamais très bien, quand on entend parler d’intégration, sur quel registre on se situe. Descriptif ou normatif ».

 

(14 janvier 2020)

La démocratie au temps des Gilets jaunes

 

« La démocratie se constitue d’un écart, d’un écart avec elle-même. D’abord dans le temps. La démocratie – c’est la grande leçon de ce livre, il me semble – ne peut être conçue dans une pensée statique. Elle ne peut être pensée qu’en dynamique parce qu’elle est une production continue (…). La démocratie se produit continuellement comme gouvernement, par la délibération entre égaux, mais elle produit aussi ses citoyens, sans lesquels elle n’existe pas mais qui ne lui préexistent pas. »  

Dans une période où « la jalousie et donc le ressentiment » semblent être « un des puissants moteurs des populismes », quelle peut être notre définition de la démocratie ? Rendant compte du livre Démocratie ! Hic et nunc de Jean-François Bouthors et Jean-Luc Nancy, Marie-Thérèse Straggiotti souligne que ceux-ci « n’ont jamais vu la démocratie « appliquée » nulle part » et qu’elle « est toujours survenue pour « réparer » des conditions d’existence difficiles de nations en crise ». En plus de cet avènement difficile et d’être « fondamentalement délibérative », ce qui caractérise la démocratie selon Bouthors et Nancy est « l’autotranscendance » et le pouvoir qui « ne vient plus d’une autorité supérieure externe ». Elle n’est pas non plus une « autonomie absolue » (qu’ils critiquent « chez les Gilets jaunes qui se prennent pour le peuple et prétendent parler en son nom ») mais un système qui « produit aussi ses limites », « définit le champ où s’exerce la liberté, c’est ce qu’on appelle le droit ». « Lieu vide », « espace où l’on délibère » (« nombreux sont ceux qui tentent de l’investir et de la faire basculer »), la démocratie chemine sur une éternelle « ligne de crête » 

(21 décembre 2019)

La double peine de ceux qui habitent loin

 

« Ce qui pose en effet problème avec cette prime, si justifiée soit elle, c’est qu’elle se situe dans une démarche qui ne répond plus aux enjeux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés : faute de réguler le marché du logement, on a privilégié le développement d’infrastructures de transport rapides à la périphérie des agglomérations et fortement subventionné le transport public pour compenser en temps et en argent, de manière plus ou moins satisfaisante, les conséquences du rejet loin de leurs lieux de travail des ménages dont les revenus étaient insuffisants pour leur permettre d’habiter à proximité des centres d’emploi. » 

Citant l’exemple de la prime « promise à certains personnels des hôpitaux parisiens » pour compenser le prix qu’ils payent en transport pour aller travailler, l’urbaniste Jean Laterrasse constate la « double impasse » dans laquelle nous a conduits « cette politique consistant à s’en remettre aux transports pour pallier les insuffisances de la planification et les déséquilibres socio-spatiaux qui en résultent ». Une impasse côté transports avec des investissements qui « ont principalement profité aux habitants des centres urbains, et donc aux couches les plus aisées ». Une impasse côté logement puisque « l’étalement urbain n’a pas permis, loin s’en faut, de juguler l’augmentation des prix immobiliers » et de limiter la part croissante de ce poste dans le budget des ménages. Pour Laterrasse, « face au défi du changement climatique, il est urgent de ne plus se contenter d’agir sur les effets et de s’en prendre aux causes. Le débat sur la régulation du marché foncier s’impose de plus en plus comme incontournable ». Ce qui passe par « la mise en place de dispositifs qui permettent aux communes de récupérer une part significative de la rente foncière, avec des obligations de résultats quant aux possibilités offertes aux couches modestes et aux classes moyennes d’habiter dans les villes centres ou en proche banlieue ».

(9 décembre 2019)