À lire Archives - Page 5 sur 20 - Forum protestant

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« Il n’existe pas d’application capable de remplacer une politique de santé...

 

« Avec le confinement, nous avons fait l’expérience d’une assignation à résidence collective ; avec les applications de surveillance, nous risquons d’assister à la banalisation du bracelet électronique. Autrement dit : si la surveillance numérique est la condition pour recommencer à circuler dans l’espace public, nous ne sommes pas face à la fin d’une restriction temporaire de nos libertés, mais à la continuation du confinement par d’autres moyens. »

« Cantonner le numérique à des fins de surveillance est un choix politique. » Énumérant les différentes formes d’utilisation du numérique selon les pays dans le cadre du déconfinement, le sociologue et spécialiste des effets des plateformes et des outils numériques sur la société et la vie privée Antonio A. Casilli (interrogé par Lydia Ben Ytzhak) affirme que « la question de la surveillance numérique et celle du déconfinement sont entièrement décorrélées». Or, avec les différentes applications de traçage actuellement utilisées en Asie et en préparation en Europe, on « fait passer le pistage des êtres humains avant le dépistage de la maladie », « une tendance à la généralisation de la surveillance électronique qui se dessine depuis deux décennies, mais qui se retrouve aujourd’hui dans des expériences menées partout dans le monde au nom de la lutte contre le Covid-19 ». Alors que « rendre visible dans l’espace public les personnes malades comporte des risques, avec différentes dérives possibles » puisque, « quels que soient les efforts pour anonymiser ces données, ceci est impossible une fois qu’elles ont été collectées ». Outre l’inefficacité d’un système qui ne pourra concerner la majorité de la population, confier la mission d’enquêter sur les chaines de contamination « à une application mobile élimine le discernement des professionnels et introduit un fort risque de faux positifs » en plus du « risque notable en termes de libertés publiques » s’il devient possible « de discriminer les personnes qui n’installeront pas l’application ». Sans parler du choix fait en France d’une application centralisée par nature « très vulnérable au piratage et aux détournements ».

(24 avril 2020)

Après le virus, l’école sera-t-elle comme avant ?

 

« De ce point de vue, les élèves ne font rien ou pas grand chose : ils apprennent les sciences mais n’en font pas beaucoup ; ils apprennent la littérature mais n’écrivent pas et ne font pas de théâtre ; ils doivent avoir des idées mais n’en discutent pas. Non seulement l’idée de faire quelque chose n’est pas très vivante dans la culture scolaire française, mais elle a du mal à se couler dans le module homogène de la classe. Alors, elle est souvent renvoyée au « périscolaire » et au seul enthousiasme des enseignants. »

Pour le sociologue François Dubet, le retour à la normale  « après le cauchemar de la pandémie » sera difficile pour l’école « car nous devrons partager notre appauvrissement bien plus que nos richesses ». Les enseignants se sont mobilisés tout du long « pour ne pas « perdre » leurs élèves » et fait la « classe à la maison » avec « une inventivité et une générosité dont beaucoup ne soupçonnaient plus la vigueur » mais la crise a révélé que si « tous les élèves ne sont pas égaux à l’école », « ils le sont encore moins quand l’école se fait à la maison. Tous les élèves ne sont pas connectés et ne disposent pas des équipements indispensables. Tous les parents ne possèdent pas les compétences nécessaires pour aider efficacement leurs enfants ». La crise a aussi révélé « qu’il est possible de faire l’école autrement. Ceci ne devrait pas conduire à fermer les écoles, mais, au contraire, à les ouvrir plus encore pour y travailler d’une autre manière et pour lui donner une vocation éducative plus affirmée ». À l’école, les élèves passent ordinairement l’essentiel de leur temps « à prendre des notes, à apprendre des leçons et à se préparer aux évaluations. Le travail collectif reste extrêmement rare ; les élèves français travaillent seuls dans la mesure où ils apprennent d’abord pour être évalués et classés. » L’après-pandémie pourrait alors être l’occasion de réfléchir à une « école à l’école » différente : « Faire quelque chose à l’école, et quelque chose ensemble, permettrait aux élèves de découvrir des talents, des compétences et des métiers que l’école ignore et méprise parfois. »

(20 avril 2020)

Les spécificités territoriales, grandes oubliées de l’analyse de la crise

 

« On le voit, plutôt que de commenter de façon passive, l’impact du virus entre les pays, sans réelle rigueur scientifique, l’urgence doit être d’approfondir, à l’échelle d’un même pays les enquêtes de proximité à l’échelle de « territoires de vie », lesquelles reflètent beaucoup mieux les bonnes pratiques pour lutter contre le virus et ainsi pouvoir les appliquer sur d’autres territoires, notamment dans la phase délicate du dé-confinement qui interviendra… alors que le virus sera toujours actif. »

Contestant le bien fondé des comparaisons nationales en ce qui concerne l’impact du Covid-19 et ce qu’on en tire comme analyses sur les différents systèmes de santé, le professeur de comptabilité et contrôle de gestion au CNAM Laurent Cappelletti estime que « de telles comparaisons occultent l’extrême diversité des situations locales observées à l’échelle des pays. Elles supposent que le « territoire national » a un lien de causalité directe avec l’impact du virus. » Ceci alors que « ce lien n’a pas de fondement scientifique bien établi, puisque sa propagation procède d’une logique de proximité territoriale (liée notamment à la densité de population, son impact en fonction de l’âge, la discipline sanitaire…) et qu’elle concerne les mêmes êtres humains, sans lien rationnel avec la nationalité des individus concernés. » Rien qu’en France, on est frappé par la différence entre ce qui se passe à l’ouest et à l’est « d’une ligne Montpellier – Caen », l’ouest ne comptant à la mi-avril que 10 % des hospitalisations et décès observés. Or le système de santé est le même de part et d’autre. La « multitude de paramètres interdépendants » pouvant expliquer cette différence est pour l’heure trop complexe à analyser pour tirer des conclusions mais une première piste serait de « de rechercher les causes de naissance d’un cluster » puisque c’est leur absence à l’ouest avant le confinement qui pourrait l’avoir provoquée.

(17 avril 2020)

Science et pouvoir : quand un aveugle guide un aveugle

 

« Le problème n’est pas la science : les scientifiques savent qu’ils ne savent pas grand-chose (sic Socrate). Ils ont l’humilité des expérimentalistes, la sagesse du non-savoir. Comme le dit bien Didier Raoult, le savoir est « temporaire ». Le problème, donc, ce n’est pas la science, c’est le politique. Il absolutise la référence à la science en présentant les scientifiques comme les maîtres absolus du savoir, et il leur fait ainsi jouer un jeu dangereux »

Rappelant les tâtonnements de l’exécutif au moment du premier tour des élections municipales et de la mise en place du confinement, la philosophe Natalie Depraz rappelle que les experts eux-mêmes, tant vantés et sur lesquels s’appuie le gouvernement pour prendre ses décisions, se sont aussi allègrement trompés aux débuts de la pandémie : « De fait, les scientifiques peuvent se tromper. C’est vrai, ils ne savent pas grand- chose : ils ont affirmé que le Covid-19 est comme une grippe. Il est beaucoup plus contagieux et le symptôme de l’oppression respiratoire l’en distingue clairement ; ils ont affirmé qu’il était inutile de mettre un masque. On ne sera bientôt pas autorisé à sortir sans. Ils ont affirmé que les tests ne servaient à rien. Mais… seuls des tests permettraient de savoir qui est positif et qui ne l’est pas. » Mais si la science sait par essence qu’elle ne sait pas grand chose, le politique lui « manipule la référence à la science à ses propres fins », que ce soit pour mieux contrôler ou pour trouver des excuses à ses déficiences. Aux scientifiques donc de ne pas servir aux politiques de « girouette » plutôt que de « boussole ».

(14 avril 2020)

Premiers de corvée et premiers de cordée

 

« À l’issue de la crise, il est fort probable que l’on découvre que des métiers, des procédures ou des fonctions considérés comme acquis par la longue sédimentation dont procède chaque entreprise – comme n’importe quelle construction sociale ayant une histoire plus ou moins longue – doivent être remis en cause, voire proprement supprimés. Et ce, d’autant plus que l’exigence de productivité et d’économie sera très forte pour de nombreuses entreprises, au moment de relancer leur activité avec une trésorerie en berne. » 

En se basant sur une enquête quantitative et des entretiens qualitatifs, Chloé Morin, Jérôme Fourquet et Marie Le Vern analysent les « failles » et les « bouleversements » que « l’on peut, à ce jour, observer dans un monde du travail mis à l’épreuve du confinement généralisé ». Après avoir rappelé « la brutalité et la rapidité de l’ajustement » demandé aux entreprises, ils notent que « la France du travail est divisée aujourd’hui en trois tiers, quasiment de même importance. Cette tripartition est inédite et ne renvoie que partiellement aux structurations habituelles de l’emploi en France » : un tiers des actifs « qui continuent de travailler actuellement sur le lieu de travail habituel malgré le confinement », un deuxième tiers qui « contribue également à faire fonctionner la machine économique et la société, en mode certes ralenti » depuis chez soi, et un dernier tiers avec des « personnes qui ont été mises en congé ou qui sont en congé maladie, des personnes en chômage partiel ou au chômage. Ce groupe, déjà nombreux, est en expansion rapide. » Cette segmentation inédite entre les activités jugées « vitales ou essentielles » et les autres dessine « de nouvelles lignes de clivages au sein du monde du travail qui se superposent imparfaitement à la segmentation socioprofessionnelle habituelle ». Cette segmentation aura aussi ses effets ensuite puisque, si on a beaucoup parlé des « conséquences psychologiques du confinement », on « a beaucoup moins parlé des conséquences psychologiques soit du télétravail, soit du travail « en première ligne » sur les salariés ». Sans parler des conséquences financières : « les trois quarts des cadres et des professions intermédiaires continuent de toucher leur salaire comme en temps normal. C’est également le cas pour deux tiers des employés, mais le monde ouvrier, lui, est quasiment scindé en deux : une moitié perçoit son salaire quand 43 % sont rentrés dans des dispositifs de chômage partiel ou technique. La situation est nettement plus préoccupante pour les artisans dont près de 4 sur 10 déclarent aujourd’hui ne plus avoir de revenus. » Si l’on tient compte également du « gommage total, imposé par les circonstances, entre vie professionnelle et vie personnelle » pour ceux qui sont obligés de télétravailler et de la « crise de conscience » qui peut affecter les « fonctions support » provisoirement inutiles, on ne peut que s’attendre à une aggravation de la « panne de reconnaissance très spécifique aux travailleurs français » et à une « forte défiance entre les trois catégories identifiées dans la première partie de cette note. Comment ceux que l’on aura accusés d’être « restés planqués » vont-ils rétablir la légitimité managériale suffisante, face à ceux qui auront « joué leur vie », à la discipline nécessaire en entreprise ? Comment vont-ils justifier, demain, des écarts salariaux qui peuvent aller jusqu’à près de deux cents fois entre le plus bas échelon et le plus haut ? ».

(8 avril 2020)

La révolution virale n’aura pas lieu

 

« Forte de son succès face à l’épidémie, la Chine vendra l’efficacité de son modèle sécuritaire dans le monde entier. Après l’épidémie, le capitalisme reprendra et sera plus implacable encore. Les touristes continueront de piétiner et de raser la planète. Le virus n’a pas fait ralentir le capitalisme, non, il l’a mis un instant en sommeil. Le calme règne – un calme d’avant la tempête. Le virus ne saurait remplacer la raison ; et ce qui risque de nous arriver, à l’Ouest, c’est d’hériter par-dessus le marché d’États policiers à l’image de la Chine. »

« Test système pour le logiciel étatique », la crise du coronavirus a, pour le philosophe allemand Byung-Chul Han, démontré « les avantages systémiques de l’Asie face à l’Europe dans la lutte contre la maladie » grâce à une politique massive de « surveillance numérique » et d’ « exploitation des mégadonnées » : « Aujourd’hui, en Asie, ce ne sont pas les virologues ou les épidémiologistes qui luttent contre la pandémie, mais bien les informaticiens et les spécialistes du «big data» – un changement de paradigme dont l’Europe n’a pas encore pris toute la mesure. » Ceci car « il n’existe chez nos voisins asiatiques presque aucune forme de conscience critique envers cette surveillance des citoyens. Même dans les États libéraux que sont le Japon et la Corée, le contrôle des données est presque tombé aux oubliettes, et personne ne se rebelle contre la monstrueuse et frénétique collecte d’informations des autorités ». Se demandant « pourquoi notre monde est pris d’un tel effroi face au virus », il l’explique d’abord « parce que nous vivons depuis très longtemps au sein d’une société sans ennemis, une société du positif », ensuite parce que « la numérisation supprime la réalité, et c’est en étant confronté à la résistance qu’on éprouve la réalité, souvent dans la douleur ». La « peur exagérée du virus » serait « avant tout le reflet de notre société de la survie, où toutes les forces vitales sont mises à profit pour prolonger l’existence. La quête de la vie bonne a cédé la place à l’hystérie de la survie. » Sceptique sur l’après-virus, il estime que « si nous n’opposons pas la quête de la vie bonne à la lutte pour la survie, l’existence post-épidémie sera encore plus marquée par la survie forcenée qu’avant cette crise. Alors, nous nous mettrons à ressembler au virus, ce mort-vivant qui se multiplie, se multiplie, et qui survit. Survit sans vivre. »

(5 avril 2020)