À lire Archives - Page 2 sur 20 - Forum protestant

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Territoire Zéro Chômeur de longue durée: 3 ans après…

 

«Aux Restos du cœur de Prémery, on notait début mars une nette diminution de la fréquentation. «Même s’il y a un renouvellement tout au long de l’année des personnes accueillies, on constate un effet de seuil depuis la création de l’EBE, assurait une bénévole. Auparavant nous distribuions des colis alimentaires à une centaine de ménages, aujourd’hui, nous sommes plutôt autour de 70. La plupart des familles qui venaient et dont l’un des parents ou les deux ont été embauchés à l’EBE ne viennent plus.»»

«L’idée vient du mouvement ATD Quart-Monde» et «s’est concrétisée à travers la loi d’expérimentation du 29 février 2016. Dix territoires volontaires ont été choisis pour tester ce dispositif» Territoire Zéro Chômeur de longue durée, écrit Benjamin Sèze. Parmi ceux-ci, celui de Prémery, dans la Nièvre, où «plus de 20% de la population active est en recherche d’emploi, dont la moitié depuis plus d’un an». Depuis février 2017, l’EBE (entreprise à but d’emploi) 58 «embauche des chômeurs de longue durée» et crée «de l’activité localement pour fournir du travail à ceux qui en ont besoin». Créer de l’activité, c’est «développer des services nécessaires au territoire mais qui sont jusqu’ici non couverts». Le salaire des employés (au Smic) «est financé en partie par les prestations sociales qu’ils auraient dû toucher et qui sont réaffectées au budget de l’entreprise, et en partie par les recettes que leur activité génère». Les élus et entrepreneurs locaux étaient un peu inquiets au départ, ceux-ci craignant ««de se faire piquer des marchés et de la main d’œuvre.» Aujourd’hui, leur inquiétude est retombée. Certains font même appel à l’EBE 58 pour des prestations, telles que du gardiennage, ou pour compléter leurs équipes en cas de coup de bourre». L’EBE a montré son utilité au moment du confinement avec un service de livraison à domicile mais avant cela également avec par exemple ses prestations d’affouage (la coupe de bois privée dans les forêts communales) ou sa ressourcerie. Alors qu’au départ «beaucoup de gens étaient très sceptiques sur la réussite d’un tel projet», ils ne voient désormais plus ses salariés comme des «chômeurs qui travaillent aux frais de l’État» ou des «cas sociaux» mais comme «les gars de l’EBE»: «Ces personnes réintègrent le tissu social local, et finalement les gens se rendent compte qu’elles sont comme tout le monde». Une réussite qui se lit aussi dans les chiffres: «entre septembre 2016 et juin 2019, le nombre de chômeurs de longue durée sans aucune activité, inscrits à Pôle emploi, a diminué de plus de 40%, selon les chiffres de l’agence Pôle emploi du secteur. Sur la même période, le nombre de bénéficiaires du RSA inscrits à Pôle emploi a diminué de 35%.»

(14 septembre 2020)

«L’insécurité», un épouvantail électoral à déminer

 

«Au terme de ce panorama, il apparaît clairement que la prétendue hausse continue de l’insécurité relève davantage du fantasme que de la réalité. C’est la dénonciation des problèmes qui croît sans cesse, et non leur fréquence. Il apparaît également que les problèmes les plus graves sont aussi les plus rares. La vie quotidienne est en réalité faite d’agressivité verbale, de petits harcèlements, de petites dégradations, de petits vols, et non de meurtres, de viols ou de vols avec violence. Face à ces infractions du quotidien, souvent répétitives, de nombreux citoyens demeurent mécontents car ils ne trouvent généralement pas ou peu de réponse de la part des services publics de sécurité et de justice.»

Les récentes polémiques sur «l’ensauvagement de la société» sont pour le sociologue Laurent Mucchielli l’occasion de rappeler «la réalité des phénomènes de délinquance et de leurs évolutions». Car «la délinquance est définie par le droit, c’est l’ensemble des comportements prohibés par la loi» et la loi ne cesse de changer, avec deux conséquences: «lorsque des comportements sociaux anciens sont soudainement ou progressivement criminalisés, la délinquance ne peut par définition qu’augmenter», «la mesure de ces délinquances ne peut être réalisée uniquement par le biais des statistiques produites par la police et la justice» qui dépendent grandement et des phénomènes de sur- ou sous-déclaration, et des très variables injonctions gouvernementales. C’est donc grâce à des enquêtes qu’on appelle «de victimation» (car on demande aux gens s’ils ont été victimes de telle ou telle infraction) que l’on pourra se faire une idée de l’évolution réelle de telle ou telle délinquance. Pour les homicides (la catégorie la mieux mesurée) «les principales variations temporelles sont liées aux violences idéologico-politiques» qui ont connu une accalmie dans les années 1990 et 2000 tandis que les homicides liés au banditisme et aux «conflits interpersonnels privés» sont sur «une tendance globale à la baisse». Pour les agressions physiques graves, aux définitions juridiques changeantes et mesurées par les enquêtes de victimation, on constate une grande stabilité: «en 2016, la prévalence des agressions est strictement identique à celle mesurée par la première enquête de 1984». Même chose avec les agressions sexuelles, par exemple en Ile de France avec «une stabilité globale (autour de 0,8% de la population interrogée déclare avoir été victime d’au moins une agression sexuelle au cours des trois années précédant l’enquête)». Côté vols et cambriolages, si les statistiques officielles montrent «une forte augmentation dans les années 1955 à 1985» puis une stabilisation «jusqu’au début des années 2000, avant de décroître régulièrement», les enquêtes de victimation indiquent elles «une baisse tendancielle des vols personnels depuis le milieu des années 1990, une stabilité globale des vols avec violence et une stabilité globale des cambriolages de résidence principale (avec, dans le détail, une baisse importante suivie d’une remontée également après 2008)».

(9 septembre 2020)

Les jeunes face à l’emploi: méritocratie scolaire ou débrouillardise?

 

«Face à la démonétisation de la méritocratie, une autre valeur a vu sa côte se hausser: celle de la débrouillardise. Comme la figure inversée de la méritocratie scolaire, celle-ci est synonyme de capacité à déjouer le sort et à s’abstraire des logiques et déterminations sociales. Elle valorise l’audace, le goût de risque, l’aptitude à gérer des situations complexes, à surmonter les obstacles, le sens de l’opportunité quitte à malmener des règles établies. Bref loin de l’effort de connaissances et d’approfondissement sur le long terme qu’implique la méritocratie (scolaire ou autre d’ailleurs), elle porte au pinacle l’ingéniosité du moment, une malice à agir rapidement, à prendre des chemins de traverses, à innover et oser, quitte à s’abstraire de toute maturation réflexive ou parfois de morale – du startuper au dealer.»

Pour la sociologue Monique Dagnaud (EHESS), «le contexte Covid» va peut-être faire «toucher ses limites» à «la méritocratie scolaire» car «face aux choix budgétaires, les entreprises seront peut-être incitées à tailler dans des postes à la rentabilité aléatoire comme la communication, le marketing et surtout le conseil, terre d’élection des frais émoulus des grandes écoles». Depuis les années 1970, le «marathon aux diplômes» a fini par créer une «élite de masse» de «premiers de cordée englobant environ 20-25 % des nouvelles générations» qui «se distingue du reste de la société par une constellation de critères» et forme «un monde en soi assez éloigné des autres étudiants (des filières professionnelles, ou dans des secteurs moins porteurs) qui vont occuper des positions moyennes». Or, «pour naviguer au mieux dans le brouillard, pour gérer les incertitudes, ces têtes de classe qui souffrent rarement du doute, nourries aux sciences exactes et formés dans l’ordre du monde d’avant sont-ils les meilleurs candidats?» Le changement d’attitude est notable depuis quelques années: «Dans les critères de recrutement des entreprises contemporaines, beaucoup d’autres qualités sont requises et complètent voire parfois suppléent l’exigence du diplôme. Elles renvoient aux savoir-faire particuliers, à l’expérience acquise sur le terrain que ce soit par des stages ou des fonctions bénévoles». Ce qui n’est pas incompatible avec un haut niveau scolaire mais permet d’ouvrir «une friche» aux «audacieux» dans «un contexte socio-historique de changement de paradigme».

(2 septembre 2020)

«Avoir un avis non éclairé sur tout gagne en puissance»

 

«Ce n’est tout de même pas un hasard, si les grandes percées de la physique ont été réalisées, pour l’essentiel, par des gens qui, chacun à sa façon, ont trouvé le moyen d’effectuer des pas de côté, des «écarts de pensée» grâce auxquels ils sont parvenus à faire «dé-coïncider» le monde d’avec ce qu’il nous montre! C’est un cheminement obligatoire pour l’ascension vers les concepts.»

La situation était «déjà assez nette avant l’arrivée du coronavirus» mais depuis, elle «gagne en puissance». Pour le physicien et philosophe Étienne Klein (interrogé par Jean-Michel Zakhartchouk), la crise a «vu se propager une forme très vivace de «populisme scientifique». Les discours de ce type se caractérisent par la mise en avant de points de vue intuitifs ou purement subjectifs, à l’argumentation succincte et au ton péremptoire»: «Nous nous sommes collectivement délectés à parler avec assurance de sujets que nous ne connaissions guère». Pour contrer la confusion entre «croyances» et «connaissances» due à leur mélange «dans les canaux de circulation qui irriguent notre société», il faut selon lui «travailler à acquérir une meilleure connaissance de nos connaissances» et favoriser «l’apprentissage de la science» car la science n’est pas une «bureaucratie des apparences», elle impose au contraire de prendre «de la distance, en décollant notre nez des données brutes», de décaler «notre point de vue».

(1er septembre 2020)

«La cause des pauvres»

 

«Ce glissement d’une vision structurelle de la pauvreté comme produit des inégalités à une vision morale, individualisante, s’accompagne d’une mise sous pression des pauvres en contrepartie de prestations bien trop maigres. (…) En définitive, la lutte contre la pauvreté n’a pas complété les institutions du salariat ; elle s’y est en partie substituée (notamment pour le salariat populaire, victime de la précarité accrue).»

À l’origine du livre La cause des pauvres en France, un «paradoxe»: «entre la fin des années 1980 et celle des années 1990, plusieurs grandes lois sociales se sont données pour objectif de combattre la pauvreté (le RMI, devenu RMA puis RSA aujourd’hui, la CMU, etc.) et cela s’est produit alors même que le droit des salariés était détricoté. La cause des pauvres en France n’a pas fait bon ménage avec la cause des salariés». Pour Frédéric Viguier (interrogé par Jean Bastien), ces grandes avancées dans la lutte contre la pauvreté sont certes «d’immenses progrès pour les personnes concernées» («C’est en raison de ces «amortisseurs sociaux», comme disent les économistes, que la France a un des taux de pauvreté les plus bas parmi les pays développés et que la pauvreté n’augmente pas aussi fortement qu’ailleurs en période de crise économique») mais «il ne faut pas en rester à ce satisfecit». D’abord parce que «le montant du revenu minimum est très insuffisant et le droit au logement n’est pas effectif». Ensuite parce que «ces lois ont eu des effets pervers et se sont en partie retournées contre les pauvres. L’insistance sur le caractère moral de la lutte contre la pauvreté et, notamment, sur le droit moral à l’insertion pour les pauvres et le devoir moral d’insérer les pauvres pour la société a abouti à un contrôle des pauvres, constamment sommés de s’insérer, d’acquérir des compétences, alors même que la file d’attente du chômage est très longue».

(30 août 2020)

«L’abandon de la psychiatrie publique est le fruit d’une volonté»

 

«Un courant de pensée, à mon avis minoritaire mais hégémonique et arrogant, essaie d’imposer un outil conceptuel qui n’accorde guère de place à la complexité du psychisme humain, et se schématise d’une manière inquiétante: d’une part vers un neuroscientisme confondant sans vergogne le psychisme et le cerveau, d’autre part vers des pratiques d’industrialisation ou de standardisation du soin censées permettre, dans un avenir proche et radieux, de remplacer les soignants (psychiatres et paramédicaux) par des algorithmes.»

Écrivain mais aussi psychiatre hospitalier «depuis près de quarante ans», Emmanuel Venet (interrogé par Johan Faerber) a été dans les années 90 «témoin des fermetures de lits et de l’érosion lente mais continue des moyens budgétaires», dans les années 2000 «de la catastrophique influence du sarkozysme sur la pratique psychiatrique (retour de l’innéisme, fantasme de prédiction de la délinquance, régression sécuritaire, disqualification de l’expertise des psychiatres au profit d’une supposée expertise des préfets et des magistrats)», plus récemment encore d’un «effondrement institutionnel et intellectuel dont la gravité fait craindre une disparition pure et simple de la psychiatrie en tant que médecine du psychisme». Au delà des traditionnelles «querelles théoriques entre psychiatres psychistes et biologistes», il dénonce un «changement d’ambiance» et une absence de débat face à une «hégémonie neuroscientiste» qui «tient pour indiscutable que tous les troubles psychiques seraient le reflet de dysfonctionnements cérébraux». La «logique égalitariste» à l’œuvre à partir des années 60 au service d’une «psychiatrie foncièrement sociale fait l’objet d’attaques et de dénigrements de plus en plus violents» et l’on cherche à instaurer «une démarche thérapeutique (ou se prétendant telle) reposant massivement sur le monde numérique et les nouvelles technologies de communication»: «l’intérêt pour le sujet disparaît, l’attention au symptôme s’estompe, et la focale se règle sur une psychiatrie du risque visant à prévenir tel ou tel comportement : suicide, rupture thérapeutique, violence, etc.». Pour Venet, «il ne s’agit plus de prendre soin de personnes malades mais de gérer les parcours de clients captifs. À mes yeux le péril se trouve là.»

(26 août 2020)