À lire Archives - Page 18 sur 20 - Forum protestant

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La science est-elle en crise ?

 

« L’agenda des recherches est fixé par l’état-major des sociétés philanthropiques. Autrement dit, une poignée de personnes peut décider de se désengager d’un champ de recherche du jour au lendemain si les conditions de visibilité ou d’obtention de résultats à court terme ne sont pas maximales, ce que les acteurs publics de la recherche en France (CNRS, Inserm, Inra, etc.) ne font pas en général, car ils fonctionnent avec des états-majors plus étendus, des comités nationaux et des échéances plus longues. »

Si « la science elle-même est plus robuste que jamais dans ses démonstrations, prédictions et applications », le philosophe Mathias Girel (interrogé par Charline Zeitoun) constate une « crise de dévalorisation du savoir et de l’expertise » due au « phénomène de surenchère qui consiste à survendre des avancées scientifiques dans certains médias, même sérieux » et « aux conflits d’intérêts dans l’expertise scientifique » qui jettent un doute sur l’effectivité et le sérieux de la recherche, sans parler du rôle désormais prépondérant des fondations philanthropiques dans le choix des thématiques et donc dans les financements. Des phénomènes qui ne datent pas d’aujourd’hui mais dont l’ampleur et la publicité sont accentuées par les derniers développements technologiques (réseaux sociaux) et économiques (montée des financements privés) et qui font que « nous sommes conduits à nous poser cette question de l’intention, alors que nous ne devrions nous intéresser qu’à la vérité ou la fausseté des publications, expertises ou témoignages ». Pour limiter ces dérives sans tomber dans le complotisme généralisé, Mathias Girel suggère de développer l’approche historique qui peut être « un outil supplémentaire d’analyse sur un temps long » permettant de mieux déceler les biais et les intentions pas toujours avouées. Plutôt que de complots bien improbables (« La comparaison est triviale, mais voyez déjà la complexité pour organiser une fête de famille ! Alors, avec 1 000 ou 10 000 acteurs…»), on parviendrait ainsi à plus tôt déceler de « vastes actions intentionnelles » comme celles des cigarettiers pour retarder la recherche sur le cancer du poumon dans les années 1950 et 1960.

15 janvier 2019

 

Ras-le-bol fiscal : info ou intox ?

 

« Sera-t-on un jour heureux de payer des impôts ? Sans doute pas. Les sondeurs ont de beaux jours devant eux et donc les lobbies anti-fiscalité aussi. Au minimum, il est possible de faire en sorte de mieux faire comprendre à quoi sert l’argent des impôts et de trouver un mode de prélèvement plus juste. Pour cela, il faut décrypter la manœuvre politique qui consiste à détourner le mécontentement social motivé par l’injustice du système fiscal pour en faire une fronde fiscale. »

La crise des Gilets Jaunes et la mise en place du prélèvement à la source ont été deux occasions de relancer le débat sur le ras-le-bol fiscal. Pour Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, ce débat est vicié. Sans parler des chiffres (les dépenses publiques ne paraissent élevées en France que parce qu’une bonne partie des dépenses d’éducation, de retraite et de santé y sont comptabilisées à la différence d’autres pays), c’est d’abord l’occasion pour les « privilégiés » de « surfer sur la vague pour tenter d’obtenir de nouvelles réductions d’impôts. Une gourmandise sans fin qui nourrit les tensions sociales dans notre pays ». Une vague alimentée par des sondages vite faits et qui ne transmettent que « l’air du coin de la rue » et relayée par des « experts » qui « arpentent les médias ».

Mais si cela fonctionne, c’est qu’une contestation existe et qu’elle « est d’abord un refus de l’injustice. Elle traduit le ras-le-bol d’une politique fiscale injuste et non un ras-le-bol des impôts en général ». Effectivement, « les catégories populaires et moyennes ont le sentiment très désagréable de payer pour les autres » puisque « les gouvernements ont recentré un certain nombre de politiques sur les plus démunis, tout en maintenant les privilèges fiscaux des plus aisés ». Et les jeunes cadres célibataires (« bien représentés dans la presse ») « peuvent avoir le sentiment de supporter un poids supérieur aux autres en matière d’impôt sur le revenu ». Il faut donc « écouter ceux qui peuvent avoir des raisons de se plaindre des impôts » et trouver des solutions après avoir passé « intelligemment les dépenses publiques au peigne fin ».

14 janvier 2019

« Le bitcoin est une monnaie en devenir »

 

« Pour résumer, le bitcoin est une quasi-monnaie, ou une monnaie en devenir. On verra bien si sa qualité monétaire continue de se développer dans les années qui viennent. Cela nécessitera que son cours se stabilise et que son usage se développe. Historiquement, les nouvelles formes de monnaie ont toujours mis beaucoup de temps à s’imposer, parfois des siècles. »

Pour le magistrat à la Cour des comptes Yorick de Mombynes interrogé par Renaud Loubert-Aledo, il « est indéniable que la qualité monétaire du bitcoin se renforce globalement depuis sa création il y a moins de 10 ans  ». Un « chemin parcouru assez stupéfiant » puisqu’il « a été créé et diffusé sans leader identifié, sans entreprise, sans budget, sans salariés, sans marketing, sans lobbying ».

Un succès, hors effets d’innovation technologique, peut-être dû au fait que les devises officielles souffrent d’un déficit de confiance. En cause, à la fois « l’augmentation sans limite de la production monétaire » qui affaiblit la « valeur relative de chaque unité monétaire », « crée des bulles d’actifs de plus en plus impressionnantes » et « engendre des redistributions de richesse relative qui augmentent les inégalités sociales » … mais aussi un prétendu « pilotage fin de la conjoncture par la politique monétaire » qui « est largement illusoire et ne peut qu’entamer la qualité et la crédibilité des monnaies fiduciaires ».

Le bitcoin jouit lui d’une confiance due à deux éléments : un « consensus distribué » qui sécurise le réseau, une « politique monétaire neutre » et prévisible. Sans parler de son « caractère décentralisé » qui « favorise un rythme d’innovation technologique sans commune mesure avec ce que l’on observe dans les systèmes financiers centralisés traditionnels ».

7 janvier 2019

« Gilets jaunes » : le (dés)intérêt général

 

« Cette puissance prêtée à un homme seul engendre une mortelle illusion : elle fait de lui un démiurge, alors qu’il n’est de plus en plus qu’un colosse aux pieds d’argile. La distance verticale qui s’instaure, faute d’intermédiaires crédibles, forge un hiatus entre l’État et la population. D’espoirs déçus en promesses non tenues, la frustration passe de l’indifférence blasée à la colère et à la rancœur. »

Le mouvement des Gilets Jaunes s’inscrit, pour Claude Patriat, à la fois dans un mouvement global d’érosion de la confiance dans la démocratie libérale et comme un signe de la crise française d’un « système institutionnel aussi ambigu que fatigué » : faute de pouvoir être un démiurge, le président devient vite un paratonnerre « sur lequel s’abattent les foudres réunies de la colère sociale et de la frustration politique ». Si tout le système pousse à un « usage vertical du pouvoir », c’est cet usage qui provoque en retour une contestation « amplifiée par la complaisance des médias en continu, contaminée par la surenchère des réseaux sociaux » et qui  « dépasse le simple rejet d’une politique pour mettre en cause notre contrat social » et la définition de cet intérêt général sur lequel est théoriquement fondé l’État.

14 décembre 2018

Pour en finir avec le journalisme de la terre brûlée

 

« La sensation d’avoir été manipulé revient souvent, comme si le journaliste n’écoutait pas vraiment, mais avait une citation en tête et s’efforçait de la faire dire à leur interlocuteur . Une chercheuse explique ainsi que, lors de son interview, elle a passé plus de temps à éviter de dire ce qu’on l’incitait forcément à dire plutôt qu’à dire quelque chose d’intéressant. »

À partir du cas de la directrice d’école de Bobigny reprochant à l’enquête Inch Allah d’avoir instrumentalisé ses propos pour la caricaturer en enseignante-soldate face à l’expansion de l’islam (« Les carottes et les courgettes sont à moi, mais les auteurs en ont fait un couscous qui n’est pas de moi. »), Yann Guégan s’interroge d’abord sur l’indifférence affichée des journalistes face à ses critiques, signe pour lui d’une attitude où « seule compte l’info » et « peu importe si elle laisse un peu de terre brûlée sur son passage ». Puis s’appuie sur le travail de la chercheuse américaine Ruth Palmer qui a demandé à des gens ayant figuré dans les actualités « de raconter en détail ce qui s’est passé quand des journalistes ont débarqué dans leur vie ». Les reproches de ces témoins tiennent à « la sensation d’avoir été manipulé », aux conséquences sur la vie personnelle (particulièrement à l’époque internet) et au sentiment d’abandon ensuite. Et même quand «ça ne se passe pas forcément si mal que ça » (assez souvent finalement), les témoins le perçoivent comme une exception à la règle tant l’image des journalistes est celle de professionnels « insistants, intrusifs, égoïstes, prêts à inventer des choses » et qui « disparaissent quand ils ont eu ce qu’ils veulent en se moquant de ce qui peut arriver aux gens ordinaires ». Une image contraire à celle que les journalistes se font d’eux-mêmes et qui doit les amener selon l’auteur à privilégier un journalisme d’empathie qui « prend soin de ses témoins ».

26 octobre 2018

Devons-nous devenir meilleurs pour sauver la démocratie ?

 

« Si l’on suit le raisonnement de Nussbaum, le décalage bien connu en France entre des attentes extrêmement élevées vis-à-vis du pouvoir d’un côté, et le rejet routinier des élites et des « privilégiés » de l’autre, qui s’exprime parfois de manière violente, constitue une forme d’immaturité dangereuse pour la démocratie. »

Écrit en « réponse aux réactions de désarroi suscitées par l’élection de Donald Trump », The Monarchy of Fear analyse l’emprise des émotions sur la démocratie. Professeure de droit et d’éthique à l’Université de Chicago et théoricienne des émotions et des capabilités, Martha C. Nussbaum part de la peur, émotion qui, selon elle « préside à la colère, au dégout et à l’envie » et parie sur l’espoir, miroir de la peur car « tous deux sont une réaction à un événement extérieur, mais l’espoir fait le pari d’une possibilité d’une sortie par le haut ». Conçu pour le public américain, l’ouvrage est selon Renaud Thillaye utile aussi pour nous en ce qu’il conforte quelques « diagnostics établis de longue date, dont les conséquences n’ont pas encore été totalement tirées » : « premièrement, la maturité psychologique des individus est un sujet politique », « deuxièmement, l’acceptation de l’altérité et de ses propres limites doit être au cœur des politiques éducatives » et troisièmement, « le rôle de la puissance publique doit évoluer » et son objectif « doit être de créer les conditions d’épanouissement de l’individu afin d’éviter le développement de pulsions négatives ».

24 octobre 2018