La science est-elle en crise ?
« L’agenda des recherches est fixé par l’état-major des sociétés philanthropiques. Autrement dit, une poignée de personnes peut décider de se désengager d’un champ de recherche du jour au lendemain si les conditions de visibilité ou d’obtention de résultats à court terme ne sont pas maximales, ce que les acteurs publics de la recherche en France (CNRS, Inserm, Inra, etc.) ne font pas en général, car ils fonctionnent avec des états-majors plus étendus, des comités nationaux et des échéances plus longues. »
Si « la science elle-même est plus robuste que jamais dans ses démonstrations, prédictions et applications », le philosophe Mathias Girel (interrogé par Charline Zeitoun) constate une « crise de dévalorisation du savoir et de l’expertise » due au « phénomène de surenchère qui consiste à survendre des avancées scientifiques dans certains médias, même sérieux » et « aux conflits d’intérêts dans l’expertise scientifique » qui jettent un doute sur l’effectivité et le sérieux de la recherche, sans parler du rôle désormais prépondérant des fondations philanthropiques dans le choix des thématiques et donc dans les financements. Des phénomènes qui ne datent pas d’aujourd’hui mais dont l’ampleur et la publicité sont accentuées par les derniers développements technologiques (réseaux sociaux) et économiques (montée des financements privés) et qui font que « nous sommes conduits à nous poser cette question de l’intention, alors que nous ne devrions nous intéresser qu’à la vérité ou la fausseté des publications, expertises ou témoignages ». Pour limiter ces dérives sans tomber dans le complotisme généralisé, Mathias Girel suggère de développer l’approche historique qui peut être « un outil supplémentaire d’analyse sur un temps long » permettant de mieux déceler les biais et les intentions pas toujours avouées. Plutôt que de complots bien improbables (« La comparaison est triviale, mais voyez déjà la complexité pour organiser une fête de famille ! Alors, avec 1 000 ou 10 000 acteurs…»), on parviendrait ainsi à plus tôt déceler de « vastes actions intentionnelles » comme celles des cigarettiers pour retarder la recherche sur le cancer du poumon dans les années 1950 et 1960.
15 janvier 2019