À lire Archives - Page 16 sur 20 - Forum protestant

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Quand les classes moyennes quittent Paris : entre choix et contraintes

 

« La classe moyenne francilienne est donc bigarrée, et les chercheurs nous invitent à la considérer telle quelle. Si Paris disparaît de son champ des possibles de manière alarmante, il lui reste toutefois une myriade d’autres formes de résider autour de celle-ci. Car, les auteurs le rappellent, la classe moyenne conserve une marge de manœuvre. C’est notamment ce qui la différencie des couches populaires, plus durement frappées par cette mise à l’écart des polarités. Et dont on devine en creux les difficultés encore plus vives à résider l’espace métropolitain. »

Il y a les acteurs de la « bataille du centre » qui sont contraints « d’adopter des stratégies de résistance pour se maintenir » dans les quartiers de Paris intra muros. Il y a « les déplacés » qui ont préféré s’installer dans les départements de la petite couronne parisienne et, victimes de la gentrification de la capitale, « en deviennent ici les acteurs et participent progressivement à remodeler le territoire dans lequel ils s’installent ». Il y a enfin tous ceux pour qui s’éloigner de Paris a été un choix où « le périurbain peut représenter un espace intermédiaire désirable en soi, un lieu idéal entre ville et campagne ». C’est à l’étude de ces choix résidentiels des classes moyennes parisiennes qu’est consacré le livre Quitter Paris ? Les classes moyennes entre centres et périphéries, résultat de près de 200 entretiens menés par les sociologues et urbanistes Éric Charmes, Lydie Launay et Stéphanie Vermeersch, assistés de Marie-Hélène Bacqué (dont rend compte Adrien Simorre). La question étant de savoir si ces choix renforcent ou atténuent la ségrégation sociale et l’entre-soi. Les réponses ne sont pas univoques : si la diversité résidentielle est plus grande au centre et en petite couronne, les comportements y sont paradoxalement plus ségrégationnistes de la part des classes moyennes. Alors que c’est l’inverse que l’on constate en grande périphérie …

22 mars 2019

«L’expérience des inégalités se diversifie et s’individualise»

 

« Enfin, dans le régime des inégalités multiples, il va de soi que chacun doit adhérer à l’idéal de l’égalité des chances et de la responsabilité personnelle. Dans ce cas, les individus doivent s’expliquer ce qu’ils vivent comme un échec. Ceci ouvre l’espace au ressentiment et à la haine consistant à rejeter la faute sur les autres et la société. Au fond, il s’agit là d’un vieux paradoxe établi par Tocqueville : plus la société affirme l’égalité fondamentale de tous, plus les inégalités sont insupportables. »

Pour le sociologue François Dubet (interrogé par Sandrine Samii), cela fait une trentaine d’années que « le régime des classes sociales s’épuise » et que « les inégalités sociales se renforcent et se transforment ». L’épuisement est dû à la fois aux transformations de l’économie (fin de la grande industrie) et à l’avènement d’une « société de masse dans laquelle les niveaux de distinction se substituent aux barrières entre les classes ». Aux grandes inégalités collectives d’autrefois se sont substituées « des inégalités plus petites, plus proches » (revenus, territoires, diplômes, sexe, origines …) qui « ne forment pas un système » mais s’agrègent peu à peu pour différencier les parcours, par exemple avec l’éducation de masse où « il suffit d’une petite inégalité sociale initiale pour que ses effets se multiplient au cours des carrières pour aboutir, à la fin des parcours, à de très grandes inégalités ». Ce « régime des inégalités multiples » affaiblit le sentiment de solidarité et favorise du coup le populisme, tentative de reconstruction d’un peuple mythique alors que « le peuple n’est pas unifié, qu’il est traversé par les inégalités, les conflits d’intérêts et les conflits culturels ».

18 mars 2019

Transition écologique : choisissons le réalisme

 

« La vérité est malheureusement très différente. La transition vers une économie neutre en carbone exigera de nous des sacrifices avant de nous apporter des bénéfices, et les segments les plus vulnérables de la société risquent d’être particulièrement touchés. Faute de reconnaître cette réalité et de s’y attaquer, le soutien à la transition écologique demeurera superficiel et fragile. »

L’initiative Green New Deal récemment proposée par des démocrates américains (dont Alexandria Ocasio-Cortez) a le mérite, selon Jean Pisani-Ferry« d’englober les multiples dimensions de ce qui sera nécessairement une transformation en profondeur de nos économies et de nos sociétés » et de ne pas se contenter de « fixer un juste prix du carbone ». Mais « elle évite soigneusement de mettre le doigt sur tout ce qui pourrait faire mal » alors que la transition écologique sera d’abord douloureuse et d’abord pour les « plus vulnérables ». Avec la « mise en place d’un prix du carbone », on provoquera « ce que les économistes appellent un choc d’offre négatif » : « certains équipements deviendront inutilisables et certaines technologies ne seront plus rentables » tandis qu’on assistera à « une baisse de la richesse, à mesure que diminueront la valeur des maisons mal isolées, celle des voitures trop gourmandes et celle des actions des sociétés pétrolières ». Un choc qui affectera nettement plus « les pauvres et la classe moyenne des périphéries urbaines » que « les riches et les habitants des centre-villes ». Des effets qui peuvent certes être « adoucis » (restitutions, dette, innovation technologique) mais seulement si l’action est « précoce » … et si l’on ne peint pas trop « le scénario en rose ».

13 mars 2019

Comment parler pour sauver les arbres ?

 

«  Face à des agriculteurs conventionnels qui, pour la plupart, ne cachent pas leur mépris pour les mesures environnementales, qu’ils perçoivent comme une contrainte administrative imposée par des « fonctionnaires déconnectés de la réalité », il ne dispose que de sa parole pour convaincre. Comment parler pour sauver les arbres ? C’est la question que je me pose en observateur, pendant huit demi-journées à arpenter les champs de La Siouve en suivant Stéphane, et en l’écoutant plaider la cause des arbres sans qu’il ne dispense jamais de leçon d’écologie bocagère. Plus étonnant, les mots de paysage, de biodiversité, d’écologie ou d’environnement sont bannis de son vocabulaire. S’il parvient à se rendre audible auprès de ses interlocuteurs, c’est parce qu’il traduit les enjeux environnementaux dans le registre social et linguistique villageois et agricole. »

Dans un village où le remembrement a provoqué une « ambiance délétère, liée à des problèmes politiques locaux », Léo Magnin raconte comment Stéphane Hékimian de la Mission Haies Haute Auvergne organise une tardive bourse d’échanges d’arbres destinée à limiter les nombreux abattages qui accompagnent généralement cette opération délicate. La technique consiste à estimer la valeur des arbres présents sur les parcelles échangées afin que les propriétaires ne se sentent pas lésés et ne retournent pas leur vindicte contre les arbres, l’ancien propriétaire parce qu’il estime avoir trop donné, le nouveau parce qu’il estime n’avoir pas assez reçu (« Une fois que la procédure touche à sa fin, grosse des rancœurs accumulées tout au long des mois et des années passés, un curieux transfert s’opère : les contrariétés sociales se déchaînent sur les chênes et les frênes et, bien souvent, la jalousie des voisins ne trouve pas meilleur exutoire que l’abattage systématique des arbres. On « tombe les bois » pour ne pas perdre la face. »). Stéphane Hékimian a 3 « stratégies argumentatives ». D’abord, l’approche compréhensive : faire comprendre aux propriétaires que couper les arbres sans réfléchir va contre leurs intérêts et même leurs sentiments. Ensuite, la transmission d’un savoir technique :  leur apprendre les trucs du métier d’estimateur d’arbres et de bois que bien peu connaissent. Enfin, le bluff réglementaire : la peur du gendarme et de l’administration, utilisée seulement en dernier ressort … Car « parler pour l’environnement revient, contre toute attente, à ne pas parler d’un point de vue environnementaliste, mais à faire saillir les prises sociales, professionnelles et techniques dont un type de public peut se saisir pour transformer l’environnement lointain de l’action publique en une réalité palpable et immédiate. Parler d’environnement n’est donc pas seulement parler de quelque chose, c’est aussi et surtout parler à quelqu’un ».

11 mars 2019

La Blockchain, une philosophie crypto-anarchiste

 

« Au fond, se joue une volonté de liquider l’auctoritas en son sens classique et de liquider un monde verticalisé au sein duquel des différences de compétences légitimeraient un système hiérarchique de pouvoir, de contrôle et d’organisation. Contre ce monde verticalisé est promu un univers horizontal où n’existent plus que des différences intensives de puissance de calcul, de chiffrement/déchiffrement, aucune entité du réseau n’étant plus légitime qu’une autre pour certifier la validité d’une transaction. Structurellement parlant, la blockchain substitue l’anonymat du nombre à l’incarnation de l’autorité, et évacue l’idée d’une différenciation qualitative entre les êtres, au moins quant à la souveraineté et à la décision. »

Après avoir critiqué le « discours médiatique volontiers anxiogène » à propos du Bitcoin et des crypto-monnaies, visant « moins à expliquer les enjeux concrets de cette nouvelle technologie qu’à dissuader les lecteurs et les auditeurs d’y avoir recours », le philosophe Thibaut Gress expose le principe de la technologie Blockchain « qui permet de stocker et transmettre des informations de manière transparente, sécurisée et sans organe central de contrôle, la décentralisation étant sans doute l’élément décisif du processus. Métaphoriquement, on peut la décrire comme un registre contenant l’historique de tous les échanges réalisés entre les utilisateurs depuis la création de la chaîne. » C’est donc « une technologie permettant de se dispenser de la confiance dans le cadre des transactions ». Ce qui, au delà de la technologie, fait de la Blockchain « l’application concrète et efficiente d’un certain rapport politique voire idéologique au monde ». D’abord parce qu’elle cherche à « soustraire des transactions de toute nature au contrôle centralisé » de « l’autorité politique, bancaire, et même législative ». La Blockchain serait ainsi une « philosophie crypto-anarchiste, proposant d’utiliser les techniques de cryptographie pour échapper dans le cadre du cyber-espace au contrôle et à la maîtrise des États », assurant une invisibilité « des individus au sein du cyber-espace afin de contourner l’utilisation étatique de la surveillance informatique ». Il s’agirait d’« une réponse non politique au problème politique de l’hyperpuissance ou, plus exactement, de l’hypercontrôle étatique que rend aujourd’hui possible la technologie informatique ». Au delà des conséquences pratiques qui pourraient en découler rapidement (fin des professions certificatrices mais aussi des plateformes internet de services centralisées de type Uber), la Blockchain laisse envisager un « un monde qui cherche à conjurer l’incertitude, le contingent » et ce faisant rend « caduques deux éléments déterminants du cadre humain – confiance et délibération ». Un autre « élément crucial de la post-humanité qui vient » …

10 mars 2019

La démocratie d’entreprise, une utopie à portée de main ?

 

« La plupart laissent les salariés déterminer leurs horaires, quand ce ne sont pas aussi leurs salaires. Dans plusieurs cas, il n’y a ni cadres, ni titres, ni rangs. Parfois, ce sont les salariés qui choisissent leurs chefs, la description de leur poste, qui inventent pratiquement leur activité. Certaines entreprises n’ont pas de département RH, ou pas de budget, voire même de service financier, et la plupart pas de procédure de planification à long terme » (Getz, 2017, p. 34). Voilà qui ressemble typiquement à une démocratie d’entreprise (…). Sauf que le pivot d’un tel système, selon Getz, c’est un certain style de direction qu’il nomme le « leadership libérateur ». Ayant étudié une centaine d’entreprises américaines et européennes fonctionnant selon ce schéma, il a ainsi découvert qu’une entreprise ne peut être « libérée » que par son dirigeant. « Le leader doit toujours être au centre, car c’est d’abord à lui de se transformer, d’obtenir le mandat et de mener la libération. »

Pour Thibault Le Texier, qui se livre ici à un tour d’horizon des réflexions actuelles sur le travail et l’entreprise, la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) actuellement en discussion au Parlement « va dans le bon sens » mais « pas assez loin. Car non seulement l’État dispose de peu de leviers pour transformer le fonctionnement interne des entreprises, mais le gouvernement ne semble pas vouloir agir sur les facteurs macroéconomiques qui détériorent actuellement les conditions de travail en France. » Accent mis sur la valorisation financière, le court-terme, pouvoir démesuré donné aux logiciels de gestion, sous-traitance, fragmentation des tâches, individualisation des statuts … les tendances récentes semblent avoir abouti à une « bipolarisation des marchés du travail » avec d’un côté des emplois « peu qualifiés, mal rémunérés » et de l’autre des « emplois très qualifiés, très demandés et bien rémunérés ». Ceci dans un pays où, à cause d’une bien ancrée perception patrimoniale de l’entreprise, existe « un antagonisme de fond entre des salariés peu investis dans leur entreprise et un patronat arc-bouté sur son droit de propriété – le tout sous l’arbitrage de l’État, jugé seul dépositaire de l’intérêt public ». Face à cette situation peu encourageante, les réflexions actuelles sur le travail se focalisent soit sur sa durée, soit sur le concept encore flou d’entreprise libérée ou de démocratie d’entreprise. Or, « démocratiser une organisation coûte cher et prend du temps » tout en nécessitant une réflexion générale sur les comportements, l’éducation et l’économie …

8 mars 2019