À lire Archives - Page 14 sur 20 - Forum protestant

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Notre-Dame: malaise dans la précipitation

 

« Ces élites politiques et économiques ne veulent pas de l’émergence de cette société du deuil, des pertes et de la vulnérabilité assumées car ce serait prendre conscience des liens qui nous unissent les uns aux autres. Or pour eux, les autres ne sont fondamentalement que variables d’ajustement, personnels surnuméraires, facteurs de production. Objets qu’on manipule et non personnes avec qui on se lie. Les pierres précieuses avant les pierres vivantes. »

« Pourquoi ce sentiment de malaise », se demande Stéphane Lavignotte « face aux réactions des élites du pouvoir politique et économique à l’incendie de Notre-Dame ? » Peut-être d’abord à cause du malaise de Jésus face au temple et à ce qu’en font les croyants de son époque : « Comme tous les croyants contents d’eux-mêmes dénoncés par les prophètes de l’Ancien testament comme par le Jésus du Nouveau », « ils sont généreux pour les offrandes au temple mais dans leurs activités de tous les jours, ils multiplient l’injustice ». Le malaise peut tenir aussi à la « précipitation à vouloir reconstruire, à sortir le chéquier, à donner un calendrier, à faire des réunions » comme pour « empêcher l’émergence d’une société qui apprenne à vivre avec ses deuils et ses pertes », une société qui apprend et assume sa vulnérabilité.

19 avril 2019

« Moins une démocratie faible qu’une société faiblement démocratique »

 

« D’une manière générale, l’année 1938 est marquée par une série impressionnante de décrets lois de plus en plus hostiles à l’accueil des étrangers, pénalisant l’entraide et facilitant les conditions de la déchéance de nationalité. Arendt voit dans cette politique des démocraties une forme de « contamination totalitaire ». J’en ai pris la mesure dans la presse de l’époque où, à quelques exceptions près, une xénophobie généralisée vient se greffer sur l’antisémitisme traditionnel de l’extrême droite. »

Interrogé par Eugénie Bourlet sur son livre Récidive. 1938 où il observe comment la presse rend compte de ce qui se passe cette année-là, le philosophe Michaël Foessel explique qu’il a choisi cette date car elle marque en France « une radicalisation du discours ». Si « rien ne se répète dans l’histoire à l’identique, ou même sous une forme similaire », il voit un parallèle avec notre période en ce qu’il s’agit alors comme aujourd’hui des « effets au long cours d’une crise générale du capitalisme sur la démocratie (1929 alors, 2007 pour nous) ». Comme les mesures « de plus en plus autoritaires » prises par une « République en danger » pour « faire face aux dangers venus de pays totalitaires et à la récession », « les mesures adoptées depuis une dizaine d’années en France en matière économique comme sur le plan sécuritaire ne constituent pas le meilleur obstacle à la montée des extrémismes nationalistes. Au contraire, elles rendent imaginables leur percée en accoutumant la société à ces solutions autoritaires ». « Mystique du travail », « présidentialisation du pouvoir », « demande d’autorité », « répression très forte », « refus d’accueillir de nouveaux réfugiés », « xénophobie généralisée », scepticisme face « aux faits », les parallèles ne manquent pas.

15 avril 2019

Fake news : on ne sait pas bien mesurer leurs effets

 

« Avec le numérique, il est évident qu’il y a de nouveaux effets qui arrivent : on peut très bien partager quelque chose sans y croire, et que ça, c’est de la conversation, pour rire, pour provoquer, pour amuser, car nous avons des biais d’un type particulier. Donc ce qui intéresse, ce n’est pas la qualité de l’information, c’est l’effet qu’elle produit sur le réseau conversationnel. »

S’il ne conteste pas l’existence et le danger de « toute une série de productions industrielles (ou idéologiques) et organisées » en matière de fausses informations, le spécialiste des médias Dominique Cardon (interrogé par Xavier Eutrope) se dit sceptique quant aux « effets sur les gens qui votent ». Pour lui, les usages ont changé et il faut distinguer là où il y a clairement désinformation et propagande (et donc « une intention idéologique forte derrière ») de la production commerciale « pour faire du clic », symptomatique de « toute l’économie du numérique » et d’une « économie qui s’est faite notamment autour des faux contenus santé, du conseil personnel, des choses qui font rire, qui choquent et qui provoquent en même temps et qui circulent ». Soucieux d’éviter le « discours dominant » qui a pour effet de stigmatiser « une partie de la population » coupable de « voter contre le système » et donc d’être plus manipulable (« les provinciaux, les milieux populaires, les plus vieux, les personnes peu ou pas éduquées, etc. »), Cardon préfère analyser la « responsabilité collective de tous les acteurs du système et notamment des dominants » avec des pratiques diverses quelle que soit la tendance et assez différentes de chaque côté de l’Atlantique.

12 avril 2019

Enfants et écrans, et si on changeait de focus ?

 

« L’appel des trois académies insiste fortement sur l’inégalité entre enfants face à des usages qui nécessitent une explicitation, un apprentissage des précautions, que tous les parents ne sont pas en mesure de transmettre. La pratique numérique est déployée à tous les niveaux, dans les services, à l’école. Et l’école est encore un lieu où la fracture peut s’accentuer : le numérique permet à chaque parent d’être informé en temps réel de la scolarité, des absences, à condition de maitriser l’outil, d’y avoir un accès à la maison. L’appel insiste sur l’exclusion sociale qui est en train de se mettre en place du fait des technologies numériques, sans que des mesures ne soient prises. »

L’« appel à la vigilance raisonnée sur les technologies numériques » lancé par trois académies (ici analysé par Roseline Prieur) innove en ce qu’il privilégie « l’angle des préconisations à celui d’une simple recommandation, et l’angle des politiques publiques plutôt que celui des choix individuels ». Mais aussi en se refusant à qualifier d’« addiction aux écrans » tout « usage inconsidéré » et en rappelant que « seule la pratique des jeux vidéo a pu donner naissance à des addictions comportementales ». Ce qui inquiète les académies, « c’est la facilité qu’ont les éditeurs de logiciels de jeux vidéo à employer des neuroscientifiques ou des psychologues pour introduire dans leurs productions des techniques inspirées des jeux de hasard et d’argent », la vulnérabilité des enfants « face aux dérives possibles en matière de sommeil, de communication, d’hyperactivité », des adolescents face à des réseaux qui leur « renvoient des signaux aussi bien positifs que négatifs, « je t’aime » ou « je te hais », messages qui peuvent être destructeurs ». L’enseignement se retrouve donc en première ligne pour à la fois ne pas accentuer les inégalités de fait et aider les jeunes à devenir des « usagers éclairés ».

9 avril 2019

Lobbysme : nous avons besoin de citoyens éclairés !

 

« Le lobbysme n’est pas illégal mais il pose au moins deux problèmes aux institutions démocratiques : l’inégalité des moyens des divers groupes de pression – qui exercent une influence pour que soient votés des lois et règlements qui leur soient favorables, à eux ou à la cause qu’ils défendent, ou qui font pression pour que les lois et règlements soient appliqués ou non, et comment – et les moyens utilisés, la corruption notamment, qui, eux, ne sont pas toujours légaux. »

Réunis pour une table ronde sur le lobbysme et la démocratie (dont rend compte Marie-Thérèse Straggiotti), Thilo Bode (Foodwatch, ancien président de Greenpeace), Julia Cagé (Sciences Po, CEPR) et Edda Müller (Transparency International) insistent sur « l’inégalité entre lobbies », que ce soit les moyens financiers (ceux « des banques semblent illimités ») ou le type de moyens utilisés : salariat, pantouflage de figures politiques, campagnes numériques qui donnent aux grands groupes la capacité de faire la loi et leur permettent de tisser des liens avec les partis, souvent plusieurs à la fois comme « assurance tout-risque ». Cette inégalité de moyens s’accompagne de modes d’action « plus difficiles à cerner » car les entreprises et groupes de pression font de plus en plus appel à « de grands cabinets d’avocats d’affaires et des agences de relations publiques », sans parler des cabinets d’audit. Pour rendre les choses un peu plus transparentes, il s’agit de mieux tracer le travail des lobbyistes, leur « empreinte législative », ce qui commence à être fait au Bundestag mais pas encore au niveau européen, à Bruxelles, capitale de tous les lobbies. En matière de financement politique, Julia Cagé suggère « de fusionner les modèles français et allemands » puisque « en Allemagne les dons sont illimités, mais transparents ; en France les dons sont limités mais il n’y a pas de transparence » …

6 avril 2019

Comprendre le refus de l’hébergement d’urgence par les sans-abri

 

« Nous avons rencontré des personnes nouant des relations, certes fragiles mais bien réelles, avec des passants ou des commerçants, avec qui des rites de salutation voire de conversation sont rendus possibles par leur installation dans la durée sur un même espace public. Nous avons vu des personnes rendant des services ponctuels à des passants ou des habitants, ou encore recevant des membres de leur famille. Enfin, leur mise à distance des hébergements sociaux ne signifie pas refus de l’assistance en général, et encore moins de la société, ces personnes pouvant être allocataires de minima sociaux ou entretenir des relations régulières avec d’autres services d’aide aux sans-abri que les hébergements, comme les maraudes ou les accueils de jour. »

Face au lieu commun qui énonce que « si des personnes dorment dans la rue, c’est qu’elles l’ont choisi », Édouard Gardella (CNRS, ONPES) rappelle que « l’immense majorité des personnes sans abri le sont en raison du manque de places disponibles en hébergements sociaux ». Pour « la minorité de personnes sans abri qui, installées dans les espaces publics, refusent durablement d’aller dans des hébergements accessibles », c’est qu’elles critiquent « le manque d’intimité, d’hygiène ou de sécurité, l’inadaptation des modalités d’accès et de fonctionnement » de ces structures. Au cours de son enquête, Gardella constate que ces critiques sont également courantes chez ceux qui acceptent de recourir à ces hébergements et que donc, critiquer n’est pas forcément refuser. Revenant sur la notion de désocialisation, très utilisée pour expliquer ces refus d’hébergement, ce qui suggère que ces personnes seraient en « rupture vis-à-vis non seulement des institutions d’assistance mais aussi de la société en général », Gardella estime que cela ne prend pas en compte le fait « que les personnes sans abri, sédentarisées à distance des hébergements sociaux et dans un espace public, fréquentent d’autres personnes sans abri de façon régulière », qu’elles sont « engagées dans des échanges de dons et de contre-dons au sein de groupes aux frontières fluctuantes ». En privilégiant une explication et une réponse individualisées à ces refus d’hébergement, les institutions ne voient pas que les sans-abris appartiennent à des collectifs « qui s’échangent des biens ou des gestes d’attention. Ces groupes sont aussi structurés par des rappels à l’ordre, que ce soit sur la participation aux tâches collectives (faire à manger, récupérer des biens de survie) ou sur la conduite à tenir en public par égard pour les passants ou les voisins ». L’ancrage dans un lieu (« ma vie est ici », « ici, j’ai mes habitudes », ou encore « ici, tout le monde me connaît ») et dans un groupe explique cette résistance « même si cet ancrage les expose à une précarité matérielle extrême, à des souffrances psychologiques, à des violences physiques, à une dégradation très forte de leur état de santé, voire à une mort précoce ».

4 avril 2019