À lire Archives - Page 13 sur 20 - Forum protestant

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La fin de la grande classe moyenne

 

« Parallèlement à la recherche des bons plans et à la chasse aux promotions, un autre levier semble de plus en plus actionné par les foyers français pour assurer un certain train de vie. Comme le montrent les statistiques de la Banque de France, les encours des crédits à la consommation se sont littéralement envolés en l’espace de vingt-cinq ans. Le phénomène atteint aujourd’hui des proportions préoccupantes et le recours à ces crédits s’est massivement diffusé dans de nombreuses strates de la société française, notamment dans les milieux modestes, où remplir les obligations du must have implique un recours à l’endettement. Ce n’est d’ailleurs à nouveau pas un hasard si la dénonciation des frais bancaires et des agios est revenue régulièrement dans les propos des gilets jaunes. »

Pour Jérôme Fourquet (directeur à l’IFOP), la crise des Gilets jaunes est le signe d’un processus qui « s’observe dans toutes les sociétés occidentales » et que l’on peut comparer « avec la paupérisation de la classe moyenne blanche américaine, qui a abouti à l’élection de Donald Trump » : un mécanisme qui fait que « certains groupes sociaux sont en train de décrocher de la vaste classe moyenne » qu’avaient créé les Trente Glorieuses « par le prisme de la consommation ». Ce déclassement ou cette démoyennisation touche différentes catégories dont trois « publics symptomatiques » qui « ont été particulièrement représentés et actifs » parmi les Gilets jaunes : « Les navetteurs et autres pendulaires, ces salariés vivant dans la France de l’étalement urbain et qui parcourent chaque jour plusieurs dizaines de kilomètres pour aller travailler », « le salariat de la logistique et des transports » du côté des hommes et « du côté des femmes, on retrouve celles qui sont femmes de ménage, assistantes maternelles, aides-soignantes ou bien encore salariées des Ehpad ». Des métiers en plein développement mais mal payés alors que le mode de vie « proposé par la société de consommation est devenu hors de portée pour toute une partie de la population qui pourtant travaille ». Autres signes de la tension que vivent ces catégories en décrochage pour continuer à tenir leur rang, la « mise en place d’un marché secondaire » (hard-discount, voitures à bas prix), d’une « économie de la débrouille » (vide-greniers, Le Bon Coin, auto-entreprenariat) et l’envolée récente des crédits à la consommation.

16 mai 2019

Le Contrat Social de Decidim : vers des logiciels libres «à mission»?

 

« On pourrait donc dire que Decidim met en oeuvre une vision kantienne de la liberté qui se manifeste par des valeurs et par une idée d’œuvre répercutée viralement par le biais son Contrat Social. Ainsi les promoteurs du projet Decidim ont-ils la garantie que le logiciel qu’ils ont créé servira la vision du monde qu’ils se sont donnés pour mission de faire advenir (contribuer à une refondation de la démocratie). »

Initié et financé par la mairie de Barcelone pour sa plateforme de démocratie participative, Decidim (Nous décidons en catalan) est un logiciel gratuit « disponible pour toute autre ville ou entité ». Pour Lionel Maurel, au delà de son efficacité sur place, « il y a autre chose d’intéressant dans le projet Decidim et il faut plonger dans sa dimension juridique pour s’en rendre compte ». Car, en plus de la classique licence de logiciel libre (GNU-GPL) qui permet « la réutilisation du programme à toutes fins à condition d’en partager à l’identique les modifications », Decidim oblige à « se reporter à un Contrat social constituant un document séparé qui fixe des garanties démocratiques devant être respectées en cas d’usage de la plateforme ». Ce Contrat social est une « Charte valorisant les garanties démocratiques et la collaboration ouverte » qui fixe une liste de principes que « tous les membres du projet Decidim s’engagent sur l’honneur à respecter ». La vraie nouveauté étant que ce contrat social oblige non seulement les développeurs et contributeurs (comme c’est le cas pour Wikipédia) mais aussi les utilisateurs : « L’usage du programme est donc irréversiblement lié au respect des valeurs et de la vision politique originale du projet Decidim. » Un système qui s’éloigne de la tradition du logiciel libre et sa « conception assez absolutiste de la liberté », dont la « liberté d’exécuter le programme comme vous le souhaitez ».

9 mai 2019

Des métamorphoses de nos démocraties

 

« Il faut à cet égard souligner ce qui constitue l’une des nouveautés des populismes contemporains par rapport à la plupart de ceux du passé. Ces derniers rejetaient la démocratie et souhaitaient instaurer des régimes autoritaires voire des dictatures. Ceux d’aujourd’hui se présentent comme les meilleurs défenseurs de la démocratie en usant d’un argument qui a un impact considérable : « nous, nous n’avons pas peur du peuple ». La preuve, ajoutent-ils, nous souhaitons le consulter sur tout et en permanence. Toutefois, leur démocratie est fondée sur le dénigrement et même le refus de la représentation. Aussi, la tâche fondamentale des démocraties consiste à démontrer leur capacité de se rénover, en mettant au point des modalités et des pratiques de démocratie délibérative et participative complémentaires aux formes de la représentation qui conserveraient leur prééminence. Sinon, le spectre de la démocrature nous hantera de plus en plus. »

Pour Marc Lazar (directeur du Centre d’histoire de Sciences Po qui vient de publier avec Ilvo Diamanti Peuplecratie. Les métamorphoses de nos démocraties), interrogé par Laurent Chamontin, ce n’est pas le populisme qui est nouveau, c’est le fait que, contrairement aux vagues précédentes, il dure, il s’étend et il touche « différents pays, quels que soient leur situation économique et sociale, leur système politique, leurs institutions, leurs modes de scrutin ou encore leur histoire ». Un populisme qui est selon lui « avant tout un style. Un style politique qui peut se combiner avec des partis et des cultures politiques traditionnelles ou un style politique qui peut exister à l’état pur » comme ce serait le cas actuellement où les mouvements populistes, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, « sont en train d’éroder les fondements de nos démocraties libérales et représentatives, voire de les bouleverser » en affaiblissant les contre-pouvoirs, médiations et corps intermédiaires au profit d’une « démocratie immédiate » qui serait « régie par la temporalité de l’urgence puisque justement il n’y a point de questions complexes ». C’est la conjonction de cette nouvelle et durable vague populiste avec la démocratie du public apparue dans les années 1970 (conjuguant elle le « déclin des partis », « la personnalisation, la présidentialisation et la médiatisation de la vie politique ») qui marque la période actuelle que Lazar et Ilvio baptisent peuplecratie.

28 avril 2019

Les deux tendances déplorables de la critique aujourd’hui

 

« Quand on regarde quelque chose, cette chose vous regarde en retour. Quand on lit vraiment un texte, ce texte vous lit également. Il voit en vous quelque chose qui était déjà là et que vous n’aviez pas encore remarqué. La relation qu’on peut avoir avec une œuvre d’art ou un poème est une relation d’amour. Comme dans l’amour, il faut être deux. Et la façon dont une œuvre nous aime est aussi importante que la façon dont on l’aime. Une grande lecture est une lecture à travers laquelle le livre nous lit au moment même où on le lit. »

« Il y a deux tendances tout à fait déplorables qui, à elles seules, font 99 % de la critique esthétique d’hier et d’aujourd’hui. La première, c’est la comparaison entre les œuvres. La deuxième, c’est la manie de la hiérarchie et du jugement », résume l’essayiste Pacôme Thiellement dans sa participation à l’ouvrage collectif Postcritique (sous la direction de Laurent de Sutter). La première tendance rendrait les critiques incapables d’apprécier ce qui est nouveau puisque « ce qui définit proprement le critique rapprocheur c’est la détestation profonde de ce qu’il ne connaît pas. C’est comme si ce qu’il ne connaissait pas ne devait pas exister ». La deuxième tendance fait croire faussement que tout peut être noté « selon les mêmes critères » et qu’il y a « une unité d’intention et une cohérence de réception entre différents usages d’une même matière d’expression ». Aux arguments défendant l’utilité du critique, Thiellement répond que « les deux seules manières de découvrir une œuvre sont : 1) le conseil d’ami ; 2) le hasard ». Le premier car il « s’épargne toute question d’objectivité ou d’universalité », le second car « la meilleure façon de lire un livre reste encore de ne rien en savoir et de l’ouvrir et de commencer … ».

25 avril 2019

Malaise des policiers: une réforme en profondeur plutôt que des psychologues

 

« La politique du chiffre repose sur le benchmarking : chaque brigade devant avoir au moins les résultats moyens du commissariat. Or, si une brigade est au-dessus de la moyenne, forcément, une autre au moins sera en dessous. Cette politique du chiffre installe une concurrence entre brigades et un recul de l’entraide (comme le fait d’échanger temporairement son carnet à souche avec un collègue ayant de moins bons résultats). »

Sociologue ayant travaillé sur le stress dans la police, Marc Loriol rappelle « trois histoires » liées au suicide lors de ses enquêtes et qui « montrent que le malaise et l’éventuel passage à l’acte résultent d’un équilibre délicat entre les difficultés et les pressions, d’une part, et le soutien collectif par les pairs, d’autre part ». Or les réformes des années 1990 et 2000 « ont contribué à affaiblir progressivement à la fois le sens et l’intérêt des activités réalisées et la coopération entre policiers ». Selon Loriol, c’est surtout la « politique du chiffre » qui « pervertit le sens de l’action policière » en accentuant la pression par la multiplication des infractions quantifiables et facilement élucidables au détriment des « belles affaires » qui valorisent le policier. Revenir sur cette politique donnerait des résultats bien plus probants que le recours aux psychologues annoncé par le ministère et qui peut être vu par les policiers « comme un double échec : celui de la personne qui apparaît ainsi comme fragile et pas totalement digne de confiance dans les moments difficiles, mais aussi du groupe qui n’a pas su détecter et résoudre à temps les difficultés ».

25 avril 2019

La France de 2019: plus critique et plus altruiste

 

« Les différences de revenus, de diplôme, d’engagement dans la vie publique, d’intérêt pour la politique façonnent des préférences différentes en matière économique et sociale. Mais dans nombre de domaines, leur influence n’est pas plus forte aujourd’hui qu’il y a quarante ans, affirment les chercheurs. Néanmoins, l’orientation politique et les préférences partisanes figurent parmi les lignes de clivages clé subsistantes : « Tout se passe comme si l’identité politique tendait à encapsuler et organiser des appartenances multiples et parfois en tension. Il faut entendre ici l’identité politique au sens large » »

« Les valeurs, ce sont des croyances profondes, générales et durables » qui se distinguent « des opinions, plus volatiles et sensibles au contexte ». Analysant l’ouvrage La France des valeurs (qui étudie les résultats français de l’enquête décennale européenne European Values Study), Anne-Sophie Boutaud note, comme cela pouvait être attendu, « la progression du libéralisme des mœurs » qui « se retrouve dans tous les domaines de la vie : acceptation du divorce, de l’avortement, de l’homosexualité, du suicide, de l’euthanasie … Autonomisation, refus des contraintes, épanouissement personnel : chacun veut avoir son mot à dire ». Ce qui est moins attendu, c’est que cette « tolérance en matière morale va de pair avec une autre tendance majeure : la poussée de l’altruisme. Depuis 1990, les Français se disent de plus en plus concernés par les conditions de vie des personnes âgées, malades ou handicapées. Mais aussi des chômeurs et des immigrés ». Un altruisme qui semble se conjuguer avec « l’émergence d’une demande d’autorité » : « ne pas payer son billet dans le train ou l’autobus, demander des indemnités indues, accepter un pot-de-vin, tricher dans sa déclaration d’impôts : l’incivilité du quotidien comme les déviances en col blanc sont de moins en moins tolérées dans la société. Pour permettre l’expansion des libertés individuelles, les règles communes doivent être respectées. » Très critiques envers leur système politique, les Français ne remettent pourtant pas en question « le principe d’un gouvernement démocratique » et ce goût du paradoxe pourrait être le fruit de « l’élévation du niveau d’éducation » : « les individus ont développé des formes de sophistication cognitive qui leur permettent d’acclimater des valeurs à première vue opposées » …

25 avril 2019