La fin de la grande classe moyenne
« Parallèlement à la recherche des bons plans et à la chasse aux promotions, un autre levier semble de plus en plus actionné par les foyers français pour assurer un certain train de vie. Comme le montrent les statistiques de la Banque de France, les encours des crédits à la consommation se sont littéralement envolés en l’espace de vingt-cinq ans. Le phénomène atteint aujourd’hui des proportions préoccupantes et le recours à ces crédits s’est massivement diffusé dans de nombreuses strates de la société française, notamment dans les milieux modestes, où remplir les obligations du must have implique un recours à l’endettement. Ce n’est d’ailleurs à nouveau pas un hasard si la dénonciation des frais bancaires et des agios est revenue régulièrement dans les propos des gilets jaunes. »
Pour Jérôme Fourquet (directeur à l’IFOP), la crise des Gilets jaunes est le signe d’un processus qui « s’observe dans toutes les sociétés occidentales » et que l’on peut comparer « avec la paupérisation de la classe moyenne blanche américaine, qui a abouti à l’élection de Donald Trump » : un mécanisme qui fait que « certains groupes sociaux sont en train de décrocher de la vaste classe moyenne » qu’avaient créé les Trente Glorieuses « par le prisme de la consommation ». Ce déclassement ou cette démoyennisation touche différentes catégories dont trois « publics symptomatiques » qui « ont été particulièrement représentés et actifs » parmi les Gilets jaunes : « Les navetteurs et autres pendulaires, ces salariés vivant dans la France de l’étalement urbain et qui parcourent chaque jour plusieurs dizaines de kilomètres pour aller travailler », « le salariat de la logistique et des transports » du côté des hommes et « du côté des femmes, on retrouve celles qui sont femmes de ménage, assistantes maternelles, aides-soignantes ou bien encore salariées des Ehpad ». Des métiers en plein développement mais mal payés alors que le mode de vie « proposé par la société de consommation est devenu hors de portée pour toute une partie de la population qui pourtant travaille ». Autres signes de la tension que vivent ces catégories en décrochage pour continuer à tenir leur rang, la « mise en place d’un marché secondaire » (hard-discount, voitures à bas prix), d’une « économie de la débrouille » (vide-greniers, Le Bon Coin, auto-entreprenariat) et l’envolée récente des crédits à la consommation.
16 mai 2019