Vieux, moi?
À quel moment nous sentons-nous vieillir? Qu’est-ce qui nous fait vieillir? Témoignage d’un actif de la retraite.
Texte publié dans le cahier du Christianisme social Place aux vieux! du numéro 2022/1 de Foi&Vie.
Lorsque je me pose la question «Vieux, moi?», je peux répondre aujourd’hui: «Oui». Mais il n’y a pas si longtemps…
Si je passe en revue les événements de ma vie qui auraient pu m’amener à l’admettre, je constate que je l’ai refusé pas mal de fois et ce depuis longtemps.
La première occasion a été ma mise en retraite anticipée en 1993. J’avais alors 56 ans et aucune raison de me sentir vieux. Pourtant, cet événement a fait vieillir prématurément un nombre important de salariés que cette exclusion brutale du monde du travail a fait se sentir devenir inutiles. Heureusement pour moi, ma vie n’était pas centrée uniquement sur le travail, je ne manquais pas de centres d’intérêt et j’ai tout de suite trouvé quelque chose d’intéressant à faire. Dès la rentrée universitaire, j’ai entrepris des études de théologie protestante à la Faculté de Paris. Protestant de naissance et militant de longue date, je voulais mieux comprendre quelle était la signification de mon engagement. Au bout de quatre ans, je pensais avoir répondu à cette attente et pour poursuivre mes études, je me suis tourné vers une autre discipline. Je me suis inscrit à l’EHESS où j’ai obtenu une maîtrise de sociologie.
La seconde occasion, un peu plus brutale, s’est présentée en 2005 quand on m’a diagnostiqué une maladie incurable sous la forme d’un lymphome. Bien traité, je suis depuis en rémission et je ne me suis pas du tout senti vieillir. Il faut dire qu’à cette époque, j’étais patron d’une association d’aide aux demandeurs d’asile qui m’occupait à mi-temps. En 2013, la maladie me frappe de nouveau assez durement sous la forme d’une infection pulmonaire grave qui me conduit en réanimation avec mise sous coma artificiel et un diagnostic pessimiste des médecins. Mais là encore, je récupère bien et je ne vieillis pas. Pour couronner le tout, j’ai eu un cancer du colon en 2014 dont je suis complètement guéri. Pendant toutes ces années, j’ai continué d’avoir des activités qui m’empêchaient de vieillir. C’est ainsi que je randonnais une fois par mois avec des amis sur une trentaine de kilomètres que nous avons réduits petit à petit à plutôt vingt. En parallèle, je prêchais dans ma paroisse ou bien dans d’autres au moins cinq ou six fois par an.
Je ne me sentais toujours pas vieux. Il a fallu que je rentre dans un établissement pour personnes âgées avec mon épouse le 15 juillet 2018 pour que je me rende à l’évidence: je suis vieux et je l’assume. Sans compter que depuis 2020, je suis président de Citoyennage et que je porte la parole des personnes âgées.
Si j’ai refusé d’être vieux, le regard des autres aurait dû m’alerter depuis longtemps. Je ne donnerai qu’un seul exemple car il est très symptomatique. Après avoir refusé lorsque des jeunes femmes charmantes me proposaient une place assise dans les transports en commun… j’ai fini par accepter. Car il me fallait bien admettre que j’étais fatigué et que c’est là un des marqueurs de la vieillesse.
Ancien vice-président du Mouvement du Christianisme social, Philippe Wender est président de l’association Citoyennage.
Illustration: Les sept âges de l’homme, sculpture de Richard Kindersley à Londres
(photo http://www.cgpgrey.com, CC BY 2.0).