Vers l’État plateforme. La dématérialisation de la relation administrative
« On ne dispose pas aujourd’hui de chiffrages permettant d’objectiver l’impact de la dématérialisation sur le non-recours. Les retours de terrain sont en revanche tous convergents pour attester de l’ampleur du phénomène : agents de première ligne d’accueil, travailleurs sociaux ou bénévoles décrivent tous l’afflux de publics qui s’adressent à eux parce qu’ils ne savent pas faire avec le numérique. Les difficultés sont graduelles, et portent sur l’accès, mais aussi sur le renouvellement des droits, les ruptures dues à des échanges numériques non maîtrisés, le suivi de son dossier ou la demande de pièces justificatives uniquement accessibles en ligne. »
Récemment dénoncée par le Défenseur des droits, la dématérialisation « à marche forcée » des démarches administratives est menée, selon Pierre Mazet, « sans anticipation ni réel pilotage, la coordination de la multiplicité de ses acteurs étant rendue compliquée par l’absence de toute instance ou cadre structurant de dimension nationale ». On ne sait pas, en particulier, « quels services ne sont aujourd’hui accessibles qu’en ligne » et n’offrent donc « aucune autre alternative aux administrés ». On ne sait pas non plus quelle part des relations administratives a basculé en ligne. Cette ignorance rend plus difficile la lutte contre les inégalités nées de cette dématérialisation : « les publics non autonomes numériquement se voient mis à distance par le traitement à distance de la relation et empêchés matériellement dans l’accès à leurs droits ». La proportion de ce public empêché varie grandement selon les études, d’un minimum de 12 % des Français n’utilisant pas Internet à 40 % d’entre eux se disant inquiets d’avoir à effectuer des démarches en ligne. Quel que soit leur nombre, ces publics en difficultés numériques sont en tout cas « plus âgés, moins diplômés et ont moins de ressources financières que les connectés ». Au-delà de la difficulté financière à disposer d’un terminal, « l’utilisation de sites administratifs suppose d’autres compétences que la seule habilité à savoir se connecter à internet », ceci d’autant plus que les interfaces « sont aujourd’hui pensées quasi exclusivement pour des navigations à partir d’ordinateurs » alors que « les usages, et en particulier ceux des publics n’ayant pas appris l’informatique par le milieu professionnel, sont principalement centrés sur le smartphone ». Pour Mazet, « l’on assiste ainsi à une double peine : les individus les plus précaires, aussi bien économiquement que sur le plan de l’isolement social sont moins connectés alors que, dépendants davantage de droits et prestations sociales, ils ont davantage l’obligation de le faire. »
2 avril 2019