Une parole fiable dans l’espace public, à quelles conditions ?
Fruit du travail d’un petit groupe d’intellectuels protestants, la Charte pour une parole publique crédible voudrait à la fois « comprendre et déconstruire cette ingratitude générale, cette incapacité à partager le bon» et proposer « quelques règles pour mieux repartager la parole et la responsabilité du langage commun ».
Un président qui, discréditant la magistrature, se discrédite lui-même. Un débat politique hyper-personnalisé qui n’a pas encore atteint les bas-fonds de la campagne électorale américaine mais s’en rapproche. Des formes de protestation de plus en plus apolitiques, sectorielles, agressives. Des mots excessifs et creux, des puissances financières qui échappent à tout contrôle … Nos vieilles démocraties semblent se défaire, rongées par une défiance et un irrespect généralisés. Un petit groupe d’intellectuels protestants a travaillé à la rédaction d’éléments de réflexion sur le thème : Une parole fiable dans l’espace public, à quelles conditions ? Nous y avons cherché à comprendre et déconstruire cette ingratitude générale, cette incapacité à partager le bon, cette ambiance machiavélique si indulgente au cynisme, au mépris, aux coups bas. Nous y avons également proposé quelques règles pour mieux repartager la parole et la responsabilité du langage commun. La charte ci-dessous vient conclure ce travail. Ce n’est pas une dénonciation, mais un appel à nous déplacer et à nous engager.
Olivier Abel et Séverine Daudé
Charte pour une parole publique crédible
Nourris par une tradition protestante qui se traduit chez certains par une conviction religieuse, chez d’autres par une conscience éthique, chez d’autres encore par une culture du débat et de la liberté de penser (ces trois modes n’étant pas cloisonnés) ; également ancrés dans le paysage laïc français, auquel le protestantisme a lui-même apporté sa contribution et qu’il ne renie pas ; profondément soucieux des évolutions de l’espace public de nos démocraties, nous souhaitons mettre en avant les quelques positions qui suivent.
Ces positions, ou plutôt ces invitations, sont le reflet non pas d’une naïveté devant la complexité du réel, mais d’un choix : nous choisissons de penser qu’il est possible de changer nos pratiques individuelles et collectives, que nous soyons responsables politiques ou simples citoyens, pour ce qui relève de la parole publique et, ainsi, de transformer le monde dans lequel nous vivons.
- Tout d’abord, il nous semble important d’entrer dans l’espace public avec une vraie sensibilité à la pluralité, cette pluralité constitutive des sociétés humaines. Personne n’a raison tout seul, il faut faire avec les autres. Alors que nous avons en France une faible culture du dissensus, du désaccord honoré comme respectable, fondateur, soutenable, productif, il nous semble déterminant de mieux soutenir l’entrelacs des consensus et des dissensus, ce qui doit favoriser la profondeur des convictions et la qualité du débat.
- La possibilité même d’une parole politique et, plus largement, d’une parole publique, fait l’objet de rapports de force, qui ne peuvent être évités ou effacés. Mais veillons à toujours rééquilibrer ces rapports, de telle sorte que le plus faible ne soit pas trop faible et que certaines voix ne soient pas purement et simplement étouffées.
- Au-delà de tous les discours sur les politiques ou les médias, nous sommes aussi responsables de notre parole, de notre écoute, de notre regard. Prenons donc le temps de différer notre jugement pour chercher à comprendre ce qui est dit sans disqualifier d’avance telle voix ou telle tradition de pensée – avant toute prise de position ou tout engagement.
- Dans la vie publique, dans les médias, nous considérons comme prioritaire de démanteler les mécanismes d’humiliation et de reconnaître la dignité de l’autre, adversaire ou contradicteur, soit en lui faisant place, soit au contraire en respectant sa discrétion, voire sa volonté d’anonymat. Il en va de la crédibilité de notre propre parole.
- Parce qu’il n’y a pas d’un côté la vraie vie, de l’autre le virtuel, parce que nous incarnons vraiment l’humanité lorsque nous sommes cohérents avec nous-mêmes, restons citoyens aussi sur Internet ! Élaborons les modalités d’une cyber-civilité et … mettons-les en pratique.
- Si la dénonciation des injustices et des mensonges, la protestation et la résistance sont à la fois nécessaires et génératrices d’espérance, ne cédons jamais à la tentation d’en faire des postures de confort. Il nous paraît indispensable de penser ensemble la critique et la justification, la distance et la participation, en respectant à la fois la gouvernance et ce qui la met en question.
- Plus encore, en intériorisant chacun les conflits qui touchent aux difficultés communes, faisons-nous porteurs des débats difficiles de notre société – étant assurés que penser soi-même la pluralité des opinions et des solutions ne s’oppose ni à la conviction ni à la militance.
- Etre des citoyens, ce n’est pas consommer de la démocratie, c’est la faire vivre pour tous. Soyons donc force de proposition, là où nous sommes, dans les espaces publics et les lieux de responsabilité.
- Face aux emballements médiatiques et quelles que soient nos visions du monde, il revient au politique, mais aussi aux grands groupes de conviction – dont les religions – de ramener à ce qui permet de vivre ensemble, c’est-à-dire de reformuler sans cesse l’ordre de priorité des questions qui sont agitées dans l’espace public.
La convention organisée par le Forum de Regards protestants le dimanche 13 novembre à Paris sera l’occasion de présenter ces éléments de réflexion et de développer ce thème de la détresse du politique.
Pour les personnes intéressées par la signature de cette charte, merci de laisser un commentaire sous cet article dans le champ prévu à cet effet avec vos noms et prénoms. Ce commentaire sera visible en ligne dès validation de votre part.
Commentaires
Aguste Guglielmo (21 octobre 2016)
Je suis assez d’accord avec cette charte pour la signer.
Patrick Duprez (22 octobre 2016)
L’exigence éthique portée par cette charte vient au bon moment pour moi, après la longue fréquentation du monde politique, avec ses joies, mais aussi ses blessures, et me pousse à la signer.
George d’Humières (22 octobre 2016)
En accord avec les neufs points résumés ainsi :
– entrer dans l’espace public avec une sensibilité à la pluralité
– équilibrer les rapports de force des la parole politique et de la parole publique
– responsables de nos discours, cherchons à comprendre avant de prendre position ou de nous engager
– priorité au démantèlement des mécanismes d’humiliation et promotion de la dignité
– élaboration et et mise en pratique d’une cyber-civilité
– refuser les postures de confort, rester libres en respectant la gouvernance et ce qui la met en question
– soutenir, porter les débats difficiles de notre société
– faire vivre la démocratie : être force de proposition là où nous sommes
– en fonction de l’ordre des priorités, ramener à ce qui permet de vivre ensemble
À ces points j’adhère sans réserve ; je signe donc la Charte pour une parole publique crédible.
Vernay (23 octobre 2016)
Merci pour cette charte, sa lisibilité, son ancrage dans la vie.
Raymonde Krop (23 octobre 2016)
En tant qu’athée, j’adhère aux différents points de la charte dans lesquels je trouve du sens.
Ruth Wolff-Bonsirven (25 octobre 2016)
Une parole d’attestation attendue, puissante et espérante. Merci ! Je soutiens.
Martine Fleur (25 octobre 2016)
Merci pour ces propositions qui apportent du souffle et une ouverture … au-delà, au-dessus de débats politiques et médiatiques affligeants ! Je soutiens ! Poursuivez …
Daphné Aoustin (26 octobre 2016)
J’adhère. Ce texte mérite d’être diffusé plus largement.
Florence Couprie (26 octobre 2016)
Merci d’avoir mis par écrit le principe d’un débat qui puisse être rude quant aux idées défendues mais respectueux de celles et ceux qui débattent.
Séverine Alran (30 octobre 2016)
Je soutiens les neuf points de cette charte et en particulier le point 8 : « Soyons force de proposition là où nous sommes »
Les mots, les discours en adéquation avec nos actions, c’est une des forces les plus simples, accessible dès l’instant présent à tout citoyen, en famille, au travail , entre amis …
J’adhère pleinement à cette charte en étant réaliste sur le fait que le protestantisme reste minoritaire, et que là est la question.
Constans (31 octobre 2016)
« Le protestantisme [en France] reste minoritaire », écrivit Séverine Alran ce 30 octobre en commentaire. Il est regrettable, en effet, que des principes et des pratiques – respect d’autrui, équilibre dans les rapports de forces, écoute de l’autre, (auto-)critique constructive, etc. – en vigueur dans et hors du protestantisme aussi, fort heureusement – soient si peu partagés par une majorité de nos concitoyens, comme je le constate, affligé d’y être si cruellement confronté dans ma vie quotidienne, y compris dans des domaines aussi basiques qu’une cohabitation qui devrait être respectueuse de la tranquillité, du sommeil d’autrui notamment, en habitat collectif des années 50 dépourvu d’une quelconque isolation phonique … Je vais cependant continuer d’essayer de ne pas désespérer d’une – grande, hélas … – partie de l’espèce humaine dont je suis moi-même aussi, humain imparfait et conscient de l’être, par définition et citoyen de base, chrétien et réformé au milieu d’autres (…). Par conséquent, j’adhère à cette Charte pour un parole publique crédible, nourrissant le secret espoir que si le bon exemple est de plus en plus donné d’en haut, à l’avenir, par nos femmes et hommes politiques de tous bords, la société civile, dans toutes ses composantes, sera fortement incitée à le suivre … surtout si nous toutes et nous tous, membres de cette société civile, parvenons à servir de modèles, à avoir valeur d’exemplarité pour ceux qui se considèrent en haut de la société. (…) Mais il faut rester lucide : des paroles et comportements bien peu compatibles avec les valeurs du protestantisme contemporain (…) s’imposent à nous par tous les médias qui nous abreuvent alors que, malgré l’Internet, les – plus ou moins – simples citoyens, chrétiens et réformés que nous sommes n’avons que bien peu de relais médiatiques pour nous faire entendre, a fortiori pour montrer d’autres voies, d’autres modèles que ceux dont on nous rebat les oreilles jusqu’à l’indigestion …
Fraternellement,
Pierre Constans (Oullins)
Randrianarijaona (31 octobre 2016)
Je suis entièrement d’accord sur les termes de la Charte pour une parole crédible.
Brecard (10 novembre 2016)
Je suis tout à fait d’accord avec les termes de cette charte et je la fait connaître à mon entourage.
Michel Barlow (15 novembre 2016)
Merci et bravo ! Je signe !
Jean-Laurent Csinidis (15 novembre 2016)
Complètement en accord avec ce texte pertinent, juste et évidemment actuel. Merci pour cette initiative et merci d’intégrer ma signature.
Samuel Faivre (15 novembre 2016)
Lu et approuvé.
Denis Heller (16 novembre 2016)
Merci à vous pour cet appel à la revalorisation d’ une parole qui suscite la confiance et qui soit en cohérence avec l’action.
Vincent Vigé (17 novembre 2016)
En accord avec cette charte, je la signe !
Je suggère que le Forum de Regards protestants utilise les civic tech, tel que Change.org, pour élargir la diffusion et la portée de cette charte : qu’elle soit réellement dans le débat public ! Après tout, le protestantisme sait très bien mener des campagnes de presse et des campagnes média (accueillons-les-exiles.fr ; protestants2017.org …) !
Jean Frey (1er décembre 2016)
Merci à vous d’élever le débat !
Pas de parole sans action.
Combes (20 janvier 2017)
Très déçue que cette charte hélas vienne d’être piétinée par son chef, M. François Clavairoly, en déclarant que voter FN serait une honte pour la France !
Natalie de Chalus (12 février 2017)
Bravo.
Je signe et relaie.
Benoit Defline (12 février 2017)
Merci pour cette initiative, merci pour ces 9 propositions auxquelles j’adhère parfaitement sur le plan éthique, et merci enfin de cette initiative qui doit venir de nous sinon rien ne se passera et le débat restera au niveau le plus bas qui soit.
Je signe donc avec enthousiasme.