Une histoire culturelle du sommeil - Forum protestant

Une histoire culturelle du sommeil

 

«Longtemps, l’humanité a divisé ses nuits en deux étapes; ce n’est qu’avec la révolution industrielle, et le besoin de gagner du temps de travail, que la norme s’impose d’un sommeil continu – la phase d’éveil devenant l’insomnie pathologique.»

Benoît Peuch (docteur en philosophie à l’EHESS) analyse le récent ouvrage de Roger Ekirch, La grande transformation du sommeil, Comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits. En 2001, l’historien publie un article intitulé À la recherche du sommeil perdu. Dormir à l’époque préindustrielle dans les îles britanniques (et dans le reste du monde occidental), ouvrant ainsi le champ des recherches sur le sommeil en sciences sociales ou Sleep Studies. Ce texte fondateur, ainsi qu’un autre article de 2015, sont rassemblés dans ce livre qui nous invite «à méditer sur un phénomène qui associe les contraintes biologiques au conditionnement social».

L’étude dépeint «le sommeil comme une pratique sociale pouvant varier d’une époque ou d’une société à une autre» et se base sur un constat étonnant: «avant la révolution industrielle, les Britanniques ne dormaient pas comme nous, c’est-à-dire en une seule fois. Ils pratiquaient un sommeil en deux temps, biphasique». Ekirch détaille ce phénomène: «On distingue (…) un premier sommeil d’un second sommeil, l’intervalle entre les deux s’appelant simplement la veille [watch]. Une diversité étonnante d’occupations était possible pendant cet instant de veille». Ce sommeil en deux phases ne se limiterait pas aux îles britanniques du 15e siècle: «on peut en trouver des évocations dans les textes de l’Antiquité ou dans les observations que font les anthropologues de certaines sociétés traditionnelles». Comment dès lors expliquer notre pratique actuelle de sommeil monophasique? «Parmi les éléments de réponses proposés, on retiendra d’abord l’effet physiologique de la lumière artificielle.» «Autre facteur déterminant: après la révolution industrielle, les hommes se couchent plus tard tout en se levant toujours aussi tôt. Cette durée de sommeil réduite s’accompagne vraisemblablement d’une fatigue plus importante qui va contribuer au changement des attentes sociales vis-à-vis du sommeil. De plus en plus, on cherche à avoir un sommeil efficace, le plus court et le plus réparateur possible.»

Deux autres textes accompagnent les articles d’Ekirch: la postface de l’anthropologue Matthew Wolf-Meyer exposant les principales approches des Sleep Studies et la préface de Jérôme Vidal, qui en questionne les enjeux politiques.

Peuch conclut: «Au-delà de la question du sommeil, les recherches d’Ekirch nous incitent à reconsidérer les parties de notre vie sociale que nous avons tendance à rapporter aux règles inflexibles notre nature biologique».

(30 juin 2021)