Si Internet est une révolution, c’est une «révolution conservatrice» - Forum protestant

Si Internet est une révolution, c’est une «révolution conservatrice»

 

«Les mouvements sociaux qui réussissent le mieux sont ceux qui s’appuient sur une équipe de personnes salariées, spécialisées dans la gestion et l’animation des outils numériques. Ce sont ces personnes qui peuvent suivre les évolutions des algorithmes, étudier comment optimiser la visibilité et la participation des individus en ligne, ce qu’on appelle communément l’engagement. Les organisations politiques larges, avec beaucoup de moyens et des équipes dédiées ont la possibilité de démultiplier leur impact, alors que les structures horizontales et bénévoles ont tendance à être bien moins efficaces pour transformer l’engagement en ligne en actions concrètes.»

Pour le politologue américain Jen Schradie, interrogé par Nastasia Hadjadji et auteur d’une étude remarquée sur les usages politiques des réseaux sociaux en Caroline du Nord, «l’espace numérique renforce les inégalités de classes sociales, accentue l’efficacité des groupes organisés de manière hiérarchique et favorise les idées conservatrices» alors qu’on pensait au contraire que «égalitarisme et horizontalité» seraient les «deux piliers» du nouveau monde numérique. Schradie constate que «non seulement les organisations politiques sont plus importantes que jamais mais, sur le long terme, les structures verticales et hiérarchiques sont absolument indispensables pour mettre en mouvement et organiser la base politique».  Conséquence, «l’archétype de l’activiste digital» n’est pas un «individu de gauche radicale, préoccupé par un idéal d’égalité et de justice sociale» mais «un conservateur réformiste, membre du Tea Party ou d’un think tank de droite populiste. Pour le comprendre, il faut revenir à l’idée de classe sociale. La participation en ligne demande des ressources: du temps, de l’argent, de la motivation et du travail; et son impact est démultiplié lorsqu’elle s’appuie sur une organisation verticale et hiérarchisée». Avec en plus une différence de stratégie entre ces deux mondes qui explique que l’un réussisse mieux que l’autre: les groupes de gauche se servent d’abord d’Internet pour s’organiser alors que ceux de droite cherchent d’abord à répandre leurs messages. Or Internet «fonctionne beaucoup mieux pour diffuser une idéologie que pour organiser un mouvement social»

(18 juin 2020)