Dieu et César: l’Église entre Soumission et Résistance - Forum protestant

Dieu et César: l’Église entre Soumission et Résistance

Soumission puisque «toute autorité vient de Dieu» (Paul) ou résistance puisque les chrétiens sont d’un «autre monde» (Apocalypse) ? Dans les évangiles, le choix est différent puisque c’est plutôt «en nous que doit se faire le partage entre ce qui est du domaine de César, de la Polis, et ce qui est du domaine de Dieu». Et donc le discernement de «ce qui est le plus important» à chaque instant de nos vies.

 

Les rapports entre Église et État: la piste scripturaire

Théologiquement, on a souvent opposé sur cette question du rapport de la Foi au Politique, la tradition paulinienne et la tradition johannique (ici au travers du texte de l’Apocalypse): on a alors Romains 13 contre Apocalypse 13.

En effet, côté obéissance à l’État, Romains 13,1-7 et I Pierre 2,13-17 utilisent le même vocabulaire, le même verbe grec hupotassô (se soumettre).

Pour Paul, en Romains 13: on doit se soumettre aux «autorités» car «toute autorité vient de Dieu». Il gardera jusqu’au bout une vision positive du monde et des institutions qui règlent la vie sociale. Mais ce texte n’est pas un appel à une obéissance aveugle, c’est une exhortation à replacer dans un contexte où les chrétiens croient la fin proche et attendent avec ferveur le retour du Christ.

Pour 1 Pierre 2,13-17 et les épîtres pastorales, cinquante ans après Paul, leurs auteurs, bien inscrits dans la tradition paulinienne, reprennent le vocabulaire de Romains 13, mais le registre bascule d’une «éthique de la vie chrétienne dans le monde» à un registre surtout sotériologique (qui touche au Salut).

Côté résistance à l’État, l’Apocalypse rejette tous les compromis avec le monde, le chrétien étant citoyen d’un «autre monde». De plus, il y a une lecture pessimiste sur le monde, et un certain exclusivisme. L’auteur invite au combat contre «l’Antéchrist» et les idoles de ce monde qui veulent donner le «sens». On est là dans l’opposition dualiste: pouvoirs du monde/autorité de Dieu. Ici, la bonne intuition est d’avoir mis en avant l’incompatibilité qu’il y a entre les pouvoirs humains et Dieu. Dans ce contexte, la prétention de l’État à avoir une autorité autre qu’humaine et temporelle justifie une résistance. Sous cet aspect, c’est une critique de l’idée paulinienne de la participation du chrétien dans le monde.

 

Le «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui et à Dieu»

(cf. Marc 12,13-17; Matthieu 22,21; Luc 20:,25)

De son côté, Jésus n’incite pas celui qui veut le suivre à vivre hors du monde, à s’y opposer, faire passer Dieu avant tout, comme le prêchent les fanatiques d’une lecture tronquée de l’Apocalypse, ni à se soumettre sans broncher aux autorités sous prétexte qu’il n’y a de pouvoirs qu’institués par Dieu (Romains 13,1).

En effet, l’Évangile de Jésus-Christ ne nous place pas devant un choix à faire entre une soumission aveugle à des pouvoirs qui peuvent être des lieux de souffrance et de mort ou la résistance à un monde considéré comme mauvais: il place l’homme devant ce qui doit donner sens à sa vie. Le monde de César est le monde de César, on lui doit respect donc de suivre ses lois, on doit aussi s’y engager car c’est là que nous vivons (contre la tentative de certains croyants de se retirer de la vie publique ou de l’interdire aux leurs, clercs ou laïcs)… mais ce n’est pas le Lieu qui doit «donner le sens» à notre vie. Le Lieu du sens c’est le «Temple de Dieu», non l’édifice de pierre qui se dressait à Jérusalem ou ceux de nos cités, mais, comme Paul le dit (1 Corinthiens 3,16-17), l’homme lui-même. C’est donc en nous que doit se faire le partage entre ce qui est du domaine de César, de la Polis, et ce qui est du domaine de Dieu. Et dans un monde qui préfère souvent les syncrétismes uniformisateurs au respect des différences, qui ne propose qu’un monde de confusion (confusion des espèces, des genres, des générations…), l’Évangile pose la radicalité des différences (entre l’être humain et l’animal, l’homme et la femme) non comme un lieu d’oppositions mais comme le lieu d’un choix de vie, de l’émergence d’un Homme debout face au Créateur.

Entre Dieu et César il n’y a donc pas un ou bien, mais un et aussi ouvrant à un espace de liberté entre l’univers parfois oppressant des pouvoirs temporels et l’illusion rassurante de la Toute-puissance divine. Ainsi Jésus ne tombe pas dans le piège que lui tendent ses adversaires, ne répondant pas à leurs/nos questions, mais il nous renvoie à notre propre questionnement, notre propre articulation de la foi et du politique. La vérité est donc bien ailleurs que dans cette alternative Dieu ou César, être citoyen du Royaume ou citoyen du monde; car c’est dans le monde que nous avons à vivre notre sacerdoce commun qui est de proclamer la «Bonne Nouvelle de Jésus-Christ Fils de Dieu».

 

Conclusion

Il n’y a donc pas à mélanger ce qui est de César et ce qui est de Dieu, et ainsi les Cultes n’ont pas – en Démocratie – à s’opposer au travail et aux décisions votés par les élus de la Nation, pas plus que le César ne doit dire aux croyants comment vivre leur foi dans la sphère privée et cultuelle. De même, nous ne sommes pas invités à faire un choix radical entre la vie selon la Foi et la vie dans/de la Cité: nous sommes plutôt invités à discerner ce qui est le plus important dans chaque situation… mais en gardant bien en vue que dans certains cas exceptionnels ces règnes peuvent s’opposer et nous obliger à faire le choix de Dieu contre César, de la Loi au-dessus des lois (comme Antigone ou Dietrich Bonhoeffer) contre les décisions inhumaines ou immorales de nos lieux de pouvoirs ou les évolutions pernicieuses des mœurs et pratiques sociales du siècle présent.

Pasteur Luc Serrano (28 février 2025)

 

Illustration: L’argent de l’impôt (détail de la peinture de Jacob Adriaensz Backer, Amsterdam, vers 1630, Musée National, Stockholm).

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