Vous avez dit «évangélisation»?
La Bonne nouvelle, ce peut être un dialogue comme celui entre les membres d’une frat de la Mission populaire et une mère de famille musulmane qui se pose des questions sur son statut et revendique sa «petite liberté» face à un mari «bourreau et victime à la fois». Un compagnonnage qui, parti du soutien scolaire, dure depuis plusieurs années et se révèle «extraordinairement évangélique».
Texte publié sur Blog pop.
J’entends parfois quelques réflexions de pasteurs ou de paroissiens qui nous disent comme un reproche: «À la ‘frat’ de Trappes, vous ne faites pas d’évangélisation, vous n’annoncez pas le salut».
Quand je repense à l’histoire d’Anissa (1), je me dis que c’est tout le contraire et que finalement notre compagnonnage avec cette femme musulmane a été extraordinairement évangélique.
Petite liberté
Anissa fréquente la frat de Trappes depuis plusieurs années, ses enfants viennent deux ou trois fois par semaine pour le soutien scolaire.
C’est une maman très présente, attentive à ses enfants, exigeante et bienveillante à la fois. Elle est mariée depuis quinze ans. Récemment, elle a commencé à se confier à nous, à raconter son histoire personnelle et son histoire de couple. Anissa a été, durant toutes ces années, au service de ses enfants et de son mari, sous la coupe de ce dernier qui lui interdisait de travailler, de conduire alors qu’elle a son permis, de sortir avec ses amies. Son horizon se limitait aux murs de sa cuisine. Aujourd’hui, Anissa a 50 ans, elle a envie de goûter enfin à la liberté, une petite liberté que certains pourraient trouver de pacotille, mais c’est ce à quoi elle aspire: conduire sa voiture, travailler, aller chez le coiffeur, rencontrer ses copines au restaurant. Anissa nous demande si nous pouvons l’aider dans ses démarches pour se séparer de son mari et divorcer. Nous entamons avec elle les démarches et, au fil du temps, se noue avec cette femme un extraordinaire dialogue d’une sensibilité et d’une profondeur que l’on n’expérimente pas si souvent.
Lieu pour les questions
Nous sommes alors en plein ramadan et Anissa se pose beaucoup de questions sur la manière dont ses enfants vont vivre ce divorce mais elle tient bon et explique à son mari ce qu’elle veut, ce à quoi elle aspire. Il est d’abord réticent et essaie de la remettre dans le droit chemin, celui de l’épouse soumise et corvéable à merci.
Mais Anissa ne fléchit pas. Elle explique, elle argumente, elle se tient droite et digne face à cet homme qui a fait d’elle une esclave domestique durant de longues années.
En même temps, elle se pose – et nous pose – beaucoup de questions. Des questions éthiques, spirituelles et morales: sur l’approbation ou la désapprobation de Dieu, sur la capacité de résilience de ses enfants, sur son propre droit à la liberté. Nous avons alors des échanges très riches sur ce que dit la Bible, ce que dit le Coran et finalement sur la question du pardon. En effet, Anissa arrive un beau matin en nous disant que son mari lui a demandé pardon à genoux et lui a dit qu’il l’aimait, pour la première fois de sa vie. Elle ne sait pas si elle peut pardonner, si elle en a envie. Nous discutons avec elle de l’accueil de ce pardon, qui ne signifie pas nécessairement l’abandon des démarches de divorce mais peut être un acte libérateur. Libérateur pour elle, ses enfants mais aussi ce mari. Bourreau et victime à la fois.
Anissa est maintenant en pleine réflexion, elle s’est donnée un mois pour prendre une décision. Elle continue son compagnonnage à la frat, nous interrogeant, nous sollicitant, nous obligeant parfois à revoir notre propre conception du monde et des relations humaines… Vous avez dit évangélique? Ce magnifique dialogue est une bonne nouvelle, une nouvelle que nous avons envie de proclamer, de partager, une bonne nouvelle évangélique!
Illustration: à Trappes, près de la fraternité de la Mission populaire.
(1) Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat de la personne.