Retour de l’État?
«Le concept de « deep state » ne résiste pas à l’épreuve des faits en France. Cet «État profond» ne s’est guère manifesté pour porter dans la durée quelque orientation que ce soit, ni la centralisation de l’approvisionnement, ni la décentralisation, ni la gestion par les autorités de santé, ni la maîtrise par la Sécurité civile… Le processus de délitement constaté montre que lorsque l’impulsion politique initiale faiblit, que l’agenda politique se déplace, la logique des appareils administratifs rivaux reprend le dessus. Les millefeuilles administratifs, sociaux et territoriaux ont pleinement exprimé leurs logiques de fonctionnement : redondance des moyens, dilution des responsabilités, défense des pré-carrés bureaucratiques.»
Après avoir critiqué un certain nombre de lectures de la crise du confinement et de ce qu’elle révélerait, l’économiste Elie Cohen s’attaque à ceux qui y voient un «retour» de l’État que paradoxalement l’on célèbre lorsqu’il est «employeur d’un salarié privé sur deux à travers l’indemnisation du travail partiel, trésorier des entreprises petites ou grandes, architecte des relocalisations bref providence d’une économie à genoux» mais dont on n’évoque guère dans ce cadre «les défaillances à répétition pour les masques de protection, les tests virologiques et sérologiques, les respirateurs et le matériel de réanimation». Avec d’autres graves erreurs («dépendance pharmaceutique» malgré les alertes, «désarmement organisé sur près de dix ans des instruments de riposte au risque pandémique»), cela montre pour Cohen une «faillite de l’État-stratège» et «s’il est un enseignement qui ressort avec évidence de la crise du Covid-19, c’est que notre État autoritaire, centralisateur et procédurier est à repenser. L’absence d’impulsion politique, l’impéritie de la bureaucratie et l’affaiblissement des contre-pouvoirs ont progressivement généré un État omnipotent et impuissant». Comme «les vertus du centralisme» dépendent un peu trop de qui est au centre, on pourrait se servir de la crise pour replacer «l’exigence de résilience de l’écosystème de santé au cœur des missions de l’État. Que ce soit par la constitution de stocks de précaution, de relocalisation de certaines productions, de flexibilité de certains outils industriels, l’État doit programmer la réponse aux grands risques». Et mener «trois chantiers» à leur terme: «celui de la réforme du système de santé qui éclipse celle des retraites ou comment tirer le meilleurs parti des budgets mobilisés (comparables à l’Allemagne mais bien moins efficaces); celui de la réforme de l’État dans le sens de la déconcentration, de la décentralisation et de la simplification administrative (qu’est devenu le nouveau girondisme un moment envisagé par le président de la République?); et enfin celle de la stratégie industrielle articulée entre niveau européen et niveau national (sans renouer avec les mânes de Colbert, quels sont les segments des chaînes de valeur ajoutée à préserver sur le territoire européen et à défaut français?)».
(11 juin 2020)