Pourquoi ne traçons-nous pas mieux l’origine des produits que nous consommons ?
« Quand bien même certaines entreprises se vantent de connaître et maîtriser leur chaîne logistique de bout en bout, aucune ne sait exactement d’où proviennent les composants qu’elle utilise. « Cette ignorance est inhérente au mode de fonctionnement des chaînes d’approvisionnement ». La coque de plastique d’une télévision par exemple peut-être construite dans une petite usine n’employant que quelques personnes qui n’interagit qu’avec des fournisseurs et acheteurs adjacents (un fournisseur de plastique et une entreprise de montage par exemple). Cette intrication favorise la modularité : si une entreprise cesse son activité, ses partenaires immédiats peuvent la remplacer rapidement, sans nécessairement avoir à consulter qui que ce soit, ce qui rend la chaîne très souple et adaptable. Mais cela rend également très difficile l’identification des multiples maillons de la chaîne logistique. »
Se demandant pourquoi nous ne savons pas « mieux tracer l’origine des produits que nous consommons », l’universitaire américaine Miriam Posner (dont la tribune dans le New Yorker est ici analysée par Hubert Guillaud) a vite constaté que les modalités actuelles des chaines d’approvisionnement rendent très difficiles leur description puisque « les personnes qui conçoivent et coordonnent ces chaines logicielles elles non plus ne voient ni les usines, ni les entrepôts, ni les travailleurs. Elles regardent des écrans et des tableaux : leur vision de la chaîne d’approvisionnement est tout aussi abstraite que la nôtre ». En utilisant (difficilement) le logiciel phare de pilotage de ces chaines d’approvisionnement, celui de la firme allemande SAP, on comprend un peu mieux cette opacité : « Chaque tâche est compliquée à configurer, avec d’innombrables paramètres à valider. Le plus souvent, ce travail est divisé et nécessite de multiples interventions différentes. En fait, « aucun individu ne possède une image détaillée de l’ensemble de la chaine d’approvisionnement. Au lieu de cela, chaque spécialiste sait seulement ce dont ses voisins ont besoin. Dans un tel système, un sentiment d’inévitabilité s’installe. Les données dictent un ensemble de conditions qui doivent être remplies, mais rien n’explique comment ces données ont été obtenues ». Le logiciel, lui, se charge de répondre aux besoins le plus rapidement et le moins cher possible avec en bout de chaine « une pression extraordinaire » sur les employés des entreprises sous-traitantes. L’opacité et l’effet coup de fouet (l’accentuation de la pression par la distance) semblent inhérents au système qui fonctionne « de manière autonome » : « À chaque étape de la transformation, le produit est transformé en marchandise. Et l’information qui l’accompagnait transformée à son tour. Du plastique devient une coque qui devient une télévision … En fait, la transformation et l’échelle d’action impliquent une perte d’information ».
23 mars 2019