Pour en finir avec le journalisme de la terre brûlée
« La sensation d’avoir été manipulé revient souvent, comme si le journaliste n’écoutait pas vraiment, mais avait une citation en tête et s’efforçait de la faire dire à leur interlocuteur . Une chercheuse explique ainsi que, lors de son interview, elle a passé plus de temps à éviter de dire ce qu’on l’incitait forcément à dire plutôt qu’à dire quelque chose d’intéressant. »
À partir du cas de la directrice d’école de Bobigny reprochant à l’enquête Inch Allah d’avoir instrumentalisé ses propos pour la caricaturer en enseignante-soldate face à l’expansion de l’islam (« Les carottes et les courgettes sont à moi, mais les auteurs en ont fait un couscous qui n’est pas de moi. »), Yann Guégan s’interroge d’abord sur l’indifférence affichée des journalistes face à ses critiques, signe pour lui d’une attitude où « seule compte l’info » et « peu importe si elle laisse un peu de terre brûlée sur son passage ». Puis s’appuie sur le travail de la chercheuse américaine Ruth Palmer qui a demandé à des gens ayant figuré dans les actualités « de raconter en détail ce qui s’est passé quand des journalistes ont débarqué dans leur vie ». Les reproches de ces témoins tiennent à « la sensation d’avoir été manipulé », aux conséquences sur la vie personnelle (particulièrement à l’époque internet) et au sentiment d’abandon ensuite. Et même quand «ça ne se passe pas forcément si mal que ça » (assez souvent finalement), les témoins le perçoivent comme une exception à la règle tant l’image des journalistes est celle de professionnels « insistants, intrusifs, égoïstes, prêts à inventer des choses » et qui « disparaissent quand ils ont eu ce qu’ils veulent en se moquant de ce qui peut arriver aux gens ordinaires ». Une image contraire à celle que les journalistes se font d’eux-mêmes et qui doit les amener selon l’auteur à privilégier un journalisme d’empathie qui « prend soin de ses témoins ».
26 octobre 2018