OQTF: l’amalgame est une injustice
L’instrumentalisation d’un meurtre ne doit pas cacher que «la majorité» des personnes frappées d’une obligation de quitter le territoire français «sont très bien intégrées»: ouvrier plaquiste, mère élue au conseil d’école… ce sont nos voisins «qui vivent la peur au ventre en permanence, dans la discrétion de tous les sans-papiers».
Texte publié le 6 novembre sur le Blog pop.
Je suis en colère ! Fâchée contre tous ceux qui devraient avoir honte de se dire français et qui bafouent, en toute impunité, le principe même des fondements des droits de l’homme et du citoyen, qui est soi-disant « la marque de notre pays ». Oui, je m’adresse aux haineux qui font l’amalgame entre un féminicide horrible et le fait que l’assassin soit un ressortissant étranger ayant une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Qu’est-ce que ce crime a à voir avec cette situation d’étranger frappé d’OQTF ? Absolument rien !
L’amalgame indigne entre crime et OQTF
L’assassin fait partie des 10 à 20% de prédateurs sexuels inconnus de leur victime, car pour rappel, les 90 à 80 % des victimes connaissaient leur agresseur qui était un proche, de la famille ou du voisinage. Alors oui ! l’assassin de Philippine est un récidiviste, déjà condamné, frappé d’une OQTF. Mais dans le cas présent, c’est la défaillance de notre système de suivi des délinquants sexuels qui est en cause. Il y a aussi le manque de salariés du social, de personnel de la santé psychique et de structures de réinsertion, qui ont fait qu’un assassin se retrouve en liberté.
Dans le cas présent, évidemment que ce violeur aurait dû être expulsé, bien que cela ne l’aurait en aucun cas empêché de récidiver dans son pays… Mais là, me direz-vous, ce n’aurai plus été notre problème, peut-être ? Comment peut-on récupérer un drame comme celui-ci à des fins politiques, en montrant du doigt toutes les personnes frappées d’OQTF et donc, par la même occasion, faire de tous les étrangers de potentiels criminels ? C’est indigne, c’est insultant pour des centaines de personnes qui ont fui la guerre, la violence, le viol, la misère et qui se sont réfugiées dans notre pays, croyant qu’ils y seraient considérés comme les victimes qu’ils sont, pour qu’enfin les horreurs qu’ils ont subies et dont ils ne guériront jamais, soient un peu plus vivables au pays des droits de l’homme.
Pourtant, ce n’est pas le cas pour 80% des réfugiés qui se voient refuser le droit d’asile et qui se retrouvent avec une OQTF. Ces refus sont peut-être parfois justifiés, mais pour la plupart, ils sont incompréhensibles pour les travailleurs sociaux et les associations qui les accompagnent, comme c’est notre cas dans nos fraternités. Nous sommes témoins de récits de vie épouvantables qui nous auraient tous conduits sur les routes de l’exil, si nous les avions subis nous-mêmes, mais qui, faute de preuve, conduisent à ces refus.
Alors qui sont-ils, ces étrangers avec une OQTF ?
La majorité d’entre eux sont très bien intégrés. Ils ont des enfants nés en France, scolarisés qui bossent pour s’en sortir. Les parents sont obligés de se débrouiller en travaillant au noir, parfois pour des patrons peu scrupuleux qui les exploitent, ne les paient pas (trop facile, puisqu’ils n’ont aucun droit, de les traiter comme des esclaves). J’aimerais que les haineux se posent la bonne question et se demandent: Combien ai-je côtoyé, sans le savoir, de ces invisibles ?
Je vous parle de ces personnes. Je vous parle de ceux, qui parfois, depuis une dizaine d’années, sont sans aucun droit, sans sécurité sociale, sans allocation pour les enfants, sans aucun droit au logement, avec juste l’AME (aide médicale d’État) pour accéder aux soins. Et encore, les dossiers AME trainent de 6 à 10 mois pour un renouvellement, laissant des familles sans ressources être obligées de régler la totalité des soins pendant ce temps, ceci lorsque le praticien veut bien les recevoir. Certainement que vous en avez croisé beaucoup plus que vous ne le croyez, parce que vous n’auriez jamais pensé qu’ils étaient des étrangers en situation irrégulière, frappés d’une OQTF.
Des vies dans l’ombre de l’OQTF
Je ne vous parle pas que de ceux qui font la manche à la porte du supermarché, dans la rue piétonne ou les couloirs d’un métro, je vous parle du gentil monsieur de votre palier qui vous salue toujours avec le sourire, en partant chaque matin faire son boulot de plaquiste. Oui ! Lui aussi, tout comme son épouse, a une OQTF.
Je vous parle de cette maman qui vit dans votre quartier depuis 8 ans, celle qui vous défend au conseil d’école en tant que parent d’élève élue, celle qui est toujours d’accord pour faire des gâteaux pour la fête de l’école ou qui accompagne les enfants pour les sorties. Je vous parle de cette autre qui a vendu le plus de pots de miel ou de comté pour le sou des écoles. Oui, je vous assure: elle aussi a une OQTF et elle se bat depuis 10 ans pour essayer d’avoir ses papiers, pour ne pas être renvoyée dans son pays où elle a subi des violences gravées à jamais dans sa mémoire et son corps.
Je vous parle de ce jeune papa si discret: il se cache pour voir grandir son enfant, le petit métis que vous trouvez si mignon et qu’il a eu avec la voisine française, qu’il a d’ailleurs épousée. Mais à cause des tracasseries administratives qui s’éternisent depuis des années, il n’a plus le droit de résider légalement en France avec sa famille. Lui aussi a une OQTF.
Je vous parle du salarié de l’entreprise qui fait l’isolation extérieure de votre résidence en ce moment. Lui, il a de la chance, il a des feuilles de paie, parce que son patron s’est mouillé pour lui, mais il ne va certainement pas pouvoir le garder parce que les papiers n’arrivent toujours pas, même s’il est un bon technicien de ce métier en tension.
Je vous parle des jeunes hommes africains évacués après le démantèlement de la Jungle de Calais qui sont arrivés dans notre commune, ceux qui sont venus vous aider à défricher, à construire les enclos et les chalets pour les animaux, à la création de la ferme pédagogique. Ils ont répondu présents à l’appel de bénévoles parce qu’ils avaient tellement besoin de se sentir utiles et surtout de voir du monde, en attendant un ultime recours qui n’a hélas jamais abouti et qui a fait d’eux des clandestins frappés d’OQTF.
Une lueur d’espoir: la victoire d’une famille
Oui, parfois je suis en colère. Mais je voudrais aussi vous partager une grande joie. Je suis heureuse de vous annoncer qu’après 10 ans de combats, des centaines de témoignages de leur bonne intégration, une famille de nos amis a enfin réussi à obtenir le droit de résider légalement dans notre pays, pour un an. Alors nous partageons leur joie et nous espérons qu’ils pourront enfin vivre normalement et sereinement, sans cette étiquette OQTF, qui leur a collé à la peau, pendant de si nombreuses années.
Véronique Mégnin, bénévole à la Frat’Aire Pays de Montbéliard