Le tragique goût français pour le colonialisme
Pour Jean-Luc Mathieu, ancien responsable au ministère des Outre-mer, la Nouvelle Calédonie et Mayotte sont des exemples très différents de l’impasse dans laquelle s’est engagée la France avec les derniers territoires qui lui restent de son empire colonial. Il est pour lui urgent de trouver d’autres voies.
En 1945, grâce au courage et à la ténacité de Charles de Gaulle (et de ceux qui l’ont suivi), la France trouva sa place parmi les cinq grands à la nouvelle ONU. Depuis lors, dans un monde qui a profondément évolué, elle n’a jamais su adapter ses ambitions et ses pratiques à la réalité de son statut international été c’est une vraie tragédie.
En 1946, elle érigea généreusement ses quatre vieilles colonies (Réunion, Martinique, Guadeloupe et Guyane) en départements d’outre-mer (DOM). Pour satisfaire les cadres métropolitains qui se dévouaient pour y aller, on institua un fort sur-salaire pour les fonctionnaires (dédommagement afin qu’ils puissent se payer des allers et retours), qui fit tache d’huile dans le secteur privé. Le niveau des salaires a généré du chômage en rendant ces petites sociétés non compétitives, puis largement dépendantes de flux financiers métropolitains, cependant que la migration vers la métropole (forcée à la Réunion !) vers des métiers en tension a assuré un bouclage des relations. Les velléités indépendantistes n’y sont que l’expression de désespoirs sans issues possibles.
Dans l’Union française (décolonisation verbale de la Constitution de 1946), les éléments qui voulurent leur indépendance (initialement pas avec une profonde rupture avec la France,) ne l’obtinrent que par la guerre. Toute forme d’indépendance pacifiquement négociée fut refusée aux pays de l’Indochine (huit ans de guerre). Et l’indépendance des 3 départements français d’Algérie fut arrachée après huit ans de guerres. Ceux des colons qui vivaient en bonne intelligence avec les populations autochtones y demeurèrent volontiers (comme l’archevêque d’Alger). La volonté d’indépendantistes à Madagascar fut brisée grâce à 70 000 morts..
La Communauté, instituée en 1958, ouverte aux Territoires d’Outre-mer, n’a quasiment pas vécu, les territoires jadis colonisés choisissant une indépendance que les cellules de l’Elysée se sont efforcées de garder sous le coude pendant des dizaines d’années. La France s’est toujours arrangée pour que les gouvernants lui soient fidèles, jusqu’à ce que ce système craque dans le Sahel, sous la pression de mécontentements bien attisés par Moscou.
L’appétence continue, indécrottable, pour une influence paternalisto-coloniale explique l’invraisemblable aventure mahoraise. Au début du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, l’influence de quelques aventuriers d’Algérie, soufflant sur le mécontentement des Mahorais de voir le chef-lieu du territoire déplacé par la France de Mayotte à la Grande Comore, a conduit à violer les engagements français à l’ONU pour détacher Mayotte de la République des Comores indépendante. Une chance lui fut ainsi donnée de demeurer rattachée au Trésor public français. De 1976 à 2011, le Parlement s’est moult fois penché sur une situation toujours évoquée comme «abracadablantesque» et néanmoins inévitablement nécessaire ! Mayotte est devenu département d’Outre-mer, avec une population passant de 27000 habitants en 1975 à un nombre indéterminé et au moins dix fois supérieur en 2024. Une bonne partie de l’Afrique… veut devenir française ! Notre goût colonial rencontre des clients (1).
Nouvelle Calédonie : ne pas fermer l’horizon
La Nouvelle Calédonie a été une vraie colonie de peuplement. On y envoya des bagnards, on y fit venir des travailleurs asiatiques en quasi servage, et des Européens vinrent de Métropole ou de l’Algérie indépendante, les autochtones (les Kanak) étant acceptés, plutôt mal, dans leur pays, où ils furent enfermés dans leurs clans jusqu’en 1954, avec pour presque uniques appuis les missions catholiques et protestantes qui, depuis Las Casas, savent que les autochtones ont eux aussi une âme (2).
Depuis des décennies, les représentants kanak ont proposé à la France une forme d’indépendance-association qui a toujours été repoussée. Depuis 1993, pourtant, la France a reconnu (à la Conférence de Nainville les Roches) «l’abolition du fait colonial» et le «droit inné et actif à l’indépendance du peuple Kanak», sans qu’il en soit jamais concrètement tenu compte (sous l’influence de la droite française et néo-calédonienne, avec l’éternelle acceptation de la gauche).
Les accords de Nouméa, suivant ceux de Matignon-Oudinot, ont généreusement misé sur de hardies politiques (toujours voulues par la gauche), visant à faire émerger une société pacifiée et à inventer une «sortie politique idéale» parce que non définie. Le Président Macron et ses gouvernements ont fait dérailler la fin du processus, d’abord en dévaluant le référendum de 2021, puis en fermant l’horizon proclamé en 1983.
Une page d’histoire doit être tournée. Il ne faut pas s’enfermer dans la perspective d’un nouveau référendum (comme le propose le Rassemblement national, pour dans 40 ans !), qui a toutes chances de déboucher sur une guerre d’indépendance, plus ou moins internationalisée.
L’intérêt de la France, avec ses alliés, est de ne pas se brouiller avec l’ensemble des États du Pacifique et de ne pas poursuivre une politique coloniale d’un autre âge. C’est au Parlement (représentatif de 68 millions d’habitants), ainsi qu’à son gouvernement et non aux électeurs d’un territoire de 270000 personnes, de faire, maintenant, si les représentants kanak le veulent encore, une indépendance-association sauvegardant ce qui peut encore l’être et assurant la sécurité des personnes.
Jean-Luc Mathieu, ancien directeur au Ministère des Outre-mer.
(1) Voir mon livre: La départementalisation de Mayotte, Analyse d’une politique publique, L’Harmattan, 2015.
(2) Voir mon livre: La Nouvelle Calédonie sera-t-elle indépendante ?, Analyse d’une politique publique, L’Harmattan, 2018.