Pourquoi la « gestion de crise » à la française est dépassée
« Ce qui frappe dans cette communication, c’est d’abord son caractère vertical et descendant : l’État, par la voix du préfet et des autres administrations déconcentrées, informe une population passive. Il tient un discours rassurant, s’appuie sur des mesures et la parole des experts pour écarter tout risque aigu puis tout risque tout court, pour ne retenir qu’un problème olfactif, puis psychologique. Ce discours, ensuite, n’exprime aucune inquiétude et ne prend pas au sérieux celle qui s’exprime dans la population. On ne relève aucune forme d’empathie dans les communiqués, aucune formule suggérant que l’État entend les questions qui remontent et s’engage à y répondre. À aucun moment l’État ne se place-t-il aux côtés de la population : au contraire, il la surplombe pour mieux la protéger. »
Notant que ni l’ « architecture centrale– organisée autour du préfet à l’échelon départemental – ni les principes sur lesquels elle s’appuie » n’ont « fondamentalement évolué » en matière de gestion de crise ces 20 dernières années en France malgré « d’importantes réformes et réorganisations », Olivier Borraz (sociologue des organisations au CNRS) se penche d’abord sur le discours des autorités après l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. La première posture est celle « de l’État protecteur, qui se veut rassurant tout en prodiguant des conseils, mais qui n’exprime ni inquiétude ni souci de vigilance accrue ». Cette communication verticale et à sens unique peut laisser penser que « ce qui inquiète vraiment les autorités », ce n’est pas les conséquences sanitaires ou environnementales de l’accident mais « la saturation du service d’appel du SAMU, la mobilisation des agriculteurs inquiets pour leurs revenus ou encore d’éventuels comportements de panique au sein de la population ». Rien d’étonnant donc si se développe alors « dans la population une inquiétude mélangée à une colère croissante » puisqu’« à aucun moment la communication officielle » ne prend « au sérieux les questions que posent les habitants ». L’effet produit est « exactement inverse » à celui voulu par les autorités pour lesquelles « une crise est d’abord un moment de perturbation, une menace à l’ordre public, une source d’instabilité. Il est donc du devoir des représentants de l’État de maintenir l’ordre, en mobilisant des effectifs, en produisant des connaissances et en tenant un discours rassurant ». Pour éviter ces « erreurs récurrentes », Borraz propose « quatre prémisses » : prendre au sérieux l’inquiétude de la population (qui n’est pas le problème), « associer cette population et ses associations à la collecte et l’analyse de données, notamment par le biais des réseaux sociaux », utiliser ces réseaux sociaux pour communiquer « en adoptant une posture empathique » et enfin « dépasser une vision archaïque de l’État comme seul responsable de la sécurité des populations ».
(3 octobre 2019)