«L’expérience des inégalités se diversifie et s’individualise»
« Enfin, dans le régime des inégalités multiples, il va de soi que chacun doit adhérer à l’idéal de l’égalité des chances et de la responsabilité personnelle. Dans ce cas, les individus doivent s’expliquer ce qu’ils vivent comme un échec. Ceci ouvre l’espace au ressentiment et à la haine consistant à rejeter la faute sur les autres et la société. Au fond, il s’agit là d’un vieux paradoxe établi par Tocqueville : plus la société affirme l’égalité fondamentale de tous, plus les inégalités sont insupportables. »
Pour le sociologue François Dubet (interrogé par Sandrine Samii), cela fait une trentaine d’années que « le régime des classes sociales s’épuise » et que « les inégalités sociales se renforcent et se transforment ». L’épuisement est dû à la fois aux transformations de l’économie (fin de la grande industrie) et à l’avènement d’une « société de masse dans laquelle les niveaux de distinction se substituent aux barrières entre les classes ». Aux grandes inégalités collectives d’autrefois se sont substituées « des inégalités plus petites, plus proches » (revenus, territoires, diplômes, sexe, origines …) qui « ne forment pas un système » mais s’agrègent peu à peu pour différencier les parcours, par exemple avec l’éducation de masse où « il suffit d’une petite inégalité sociale initiale pour que ses effets se multiplient au cours des carrières pour aboutir, à la fin des parcours, à de très grandes inégalités ». Ce « régime des inégalités multiples » affaiblit le sentiment de solidarité et favorise du coup le populisme, tentative de reconstruction d’un peuple mythique alors que « le peuple n’est pas unifié, qu’il est traversé par les inégalités, les conflits d’intérêts et les conflits culturels ».
18 mars 2019