Quelle place pour les médias en démocratie ? - Forum protestant

«Vérifier ses sources sans relâche»: pour Étienne Leenhardt , rédacteur en chef au service Enquêtes et reportages de France 2, cette tâche de base du journalisme professionnel est ce qui fait encore la différence à une époque où «la caisse de résonance d’Internet peut multiplier la capacité de tromper le public». Un public qu’il faut aider aujourd’hui plus que jamais à «développer son esprit critique».

Synthèse par Renée Koch-Piettre de la conférence La démocratie a-t-elle encore un avenir ? Fake news, quelle place pour les (ou des) médias en démocratie ?, donnée par Étienne Leenhardt aux Entretiens de Robinson le 19 janvier 2025.

 

Orson Welles avait fait sensation, le 30 octobre 1938, sur les ondes sonores d’une radio américaine, en simulant une invasion de Martiens. Cette fausse Guerre des mondes déclencha auprès des auditeurs une brève panique, vite amplifiée par les journaux inquiets de la concurrence du nouveau média. De la même manière aujourd’hui, l’invasion de fake news ou de nouvelles invérifiables sur les réseaux sociaux et leur multiplication à la faveur de l’intelligence artificielle (IA) bouleversent les médias mainstream traditionnels, journaux, radios, chaînes de télévision. A-t-on raison ou tort de s’alarmer ?

 

Atterré et optimiste

Étienne Leenhardt est précisément chargé, sur France Télévisions, de gérer les nouvelles immédiates: chaque jour, il voit se déverser sur son écran un flux ininterrompu de fausses nouvelles concernant la police, la justice, le terrorisme, etc., qui risquent de peser sur la démocratie, notamment en période d’élections. Comment résister ?

L’orateur se déclare à la fois atterré et optimiste. Aguerri par son expérience du 11 septembre 2001 aux USA, où les dizaines de corps qu’il avait pu voir après le crash sur le Pentagone n’avaient pas empêché la rumeur d’une mise en scène par l’État profond, il peut mesurer à quel point la caisse de résonance d’Internet peut multiplier la capacité de tromper le public, en même temps que s’affaiblit la presse traditionnelle. Il s’agit en effet d’un affaiblissement économique et politique à tous les niveaux et d’une perte de légitimité du journalisme professionnel, volontiers assimilé au pouvoir. En 2003, les médias n’ont-ils pas immédiatement relayé sur l’Irak des informations fausses livrées par le gouvernement américain ? Les journaux sérieux ont eu beau démentir ensuite ces informations officielles, le mal était fait. Il s’agit donc de débunker, de mettre à nu les mensonges avant qu’ils ne fassent tache d’huile et que des influenceurs capables de séduire instantanément des dizaines de millions de personne n’étouffent des médias fiables, qui pourtant n’atteignent au mieux qu’un public de quelques millions seulement.

Mais comment résister à l’IA, qui permet de décrédibiliser sans peine une personne ou un parti au moyen d’une vidéo truquée, et bouleverse ainsi les élections démocratiques, un jour au Bangladesh, un autre jour en Allemagne ou en Grande-Bretagne… ? Il importe donc au journaliste de vérifier ses sources sans relâche, de recruter les jeunes capables notamment de débusquer les images fausses ou datées sur les réseaux sociaux, de rendre son média inattaquable, y compris en déjouant les pièges qui lui sont tendus exprès pour mettre à l’épreuve sa vigilance.

Cependant, et c’est heureux, les journaux télévisés des chaînes historiques restent prisés par les Français. Et de fait, 60 à 70% des images qu’ils diffusent sont tournées par des professionnels, le reste étant emprunté sur les réseaux sociaux à des témoins vérifiés. Néanmoins, il appartient à chacun d’éviter de se laisser piéger par des informations fausses et de développer son esprit critique; le rôle de l’éducation est de l’enseigner aux enfants; celui des États, de produire des lois empêchant ou réprimant les fake news: une telle législation existe en Europe. Les professionnels à leur tour s’organisent. L’Agence France Presse oppose ainsi à ChatGPT le contre-feu d’une plate-forme baptisée Le Chat. Au rebours, la plateforme Meta de Mark Zuckerberg vient de renoncer au fact checking – à la vérification des informations – sur Facebook.
Espérons que nous ne nous laisserons pas séduire, comme les citoyens américains, par des rumeurs accusant les migrants de manger les chiens et les chats ! Et restons optimistes: le bon sens finit toujours par l’emporter.

 

Quatrième pouvoir ?

Il n’y a pas forcément lieu non plus de s’offusquer de la liberté qui permet à chacun de ne lire sur Internet que ce qui rejoint ses propres opinions. L’Amérique a su il y a dix ans résister aux attaques des influenceurs russes. Aujourd’hui, il faut avouer que même les grands médias n’ont pas su anticiper lors de la dernière élection présidentielle le retournement des minorités américaines en faveur de Donald Trump, par adhésion à son discours anti-wokiste. En Ukraine, la propagande intoxique également les deux belligérants: il faut conserver en permanence une équipe de reportage dans chaque camp. Le quotidien des journalistes est fait d’une difficile résistance.

Nombreuses ont été les questions posées à l’orateur et les réponses apportées: ainsi l’intervention croissante des pouvoirs économiques dans les médias (en France avec Bertrand Bolloré, Bernard Arnault…) va à l’encontre des décisions de Conseil national de la Résistance, qui confiait à la presse la tâche d’être un quatrième pouvoir, indépendant et garant de la liberté d’opinion. Il faut bien reconnaître qu’on voit aujourd’hui, comme le remarquait Jacques Ellul, «la parole humiliée».

 

Illustration: Journal télévisé de France 2 avec Julien Arnaud le jeudi soir 13 février 2025 à propos de l’attaque de Munich.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Lire aussi sur notre site