Le mal-être français
« Les solutions ne sont pas simples à concevoir ni faciles à mettre en œuvre. Elles se heurtent au mythe méritocratique, particulièrement prégnant s’agissant de la France, selon lequel l’éducation doit assurer la promotion sociale (et qui n’est pas pour rien dans la forte séparation qui existe dans notre pays entre le travail manuel et le travail intellectuel). « Le même dilemme est posé aux autres sociétés développées, mais elles s’en sont souvent mieux tirées. Dans certains cas, la durée des études n’a pas autant augmenté qu’en France ; dans la plupart des autres, l’emploi est moins lié au diplôme qu’à la personnalité, aux potentialités et aux expériences passées des candidats. » »
Rendant compte du livre de Hervé Le Bras Se sentir mal dans une France qui va bien. La société paradoxale, Jean Bastien explique que le démographe part de la crise des Gilets jaunes pour tenter de comprendre les raisons d’un « pessimisme, qui tranche avec le reste de l’Europe, englobe la plupart des institutions, avec une méfiance envers l’économie de marché, mais également envers l’Etat providence, pourtant particulièrement investi, et finalement une mauvaise opinion de leurs concitoyens ». Pas d’explication du côté des indicateurs sociaux généraux puisque « par rapport aux autres pays européens, la France figure parmi ceux où la pauvreté et les inégalités sont les mieux contenues et les mieux corrigées par les prestations sociales, l’accroissement des inégalités ne concernant que des groupes très minoritaires, particulièrement défavorisés ou au contraire très privilégiés », pas plus en matière de santé, retraite, famille, logement ou sécurité. Quant à la question des territoires, déterminante dans la crise des Gilets jaunes (plus actifs dans ce qu’on appelle la France du vide), elle l’est moins quant à ce mal-être puisque l’éloignement des grandes villes n’accentue pas les problèmes et les inégalités mais a plutôt tendance à figer les situations sociales. D’où l’accent mis par Le Bras sur l’éducation et la mobilité sociale, le « désajustement entre l’augmentation du niveau d’éducation et le glissement de l’échelle sociale vers les catégories supérieures, qui a été beaucoup moins rapide. Avec pour conséquence un fort ralentissement de l’ascension sociale, que semblent désormais corroborer différentes enquêtes et selon lesquelles la position de la France apparaît alors particulièrement désavantageuse par rapport aux autres pays européens ». Cela joue particulièrement pour les femmes qui ont dépassé les hommes en niveau d’éducation tout en n’améliorant qu’à peine leur position sociale. Pour Le Bras, c’est ce « mythe méritocratique » français, ancré dans la culture et les représentations, qui pourrait expliquer les difficultés de notre pays à relancer la promotion sociale.
2 juillet 2019