« La justice déçoit d’autant plus qu’elle a été idéalisée » - Forum protestant

« La justice déçoit d’autant plus qu’elle a été idéalisée »

 

« Ce qui nous a frappés également, c’est le fait qu’ils tiennent compte des mêmes critères de modulation des peines que les magistrats. Pas avec la même précision bien sûr ; mais, par exemple, si la personne est la seule pourvoyeuse de revenus au sein de la famille, si ses proches vont souffrir de sa condamnation alors qu’eux n’ont rien fait, etc., alors la peine doit être atténuée à leurs yeux. De même, face au risque qu’un petit délinquant se retrouve en prison avec de grands délinquants, les Français plaident massivement contre son incarcération. »

À partir d’entretiens collectifs et de questionnaires en ligne réalisés entre 2015 et 2017 (donc après les attentats), Cécile Vigour (interrogée par Fabien Trécourt) et d’autres chercheurs en sociologie ont enquêté sur « la façon dont les citoyens perçoivent les institutions judiciaires ». Le résultat est « contrasté » avec une justice « très idéalisée » dont ils ont souvent une expérience « décevante et amère » et que l’on critique car elle serait « un instrument de pouvoir au service des dominants ». Une critique que l’on retrouve dans tous les groupes catégoriels interrogés, y compris parmi les praticiens du droit. C’est justement ce relatif consensus (qui s’étend aux critiques contre la rigidité et l’inhumanité de certaines procédures) qui a surpris les chercheurs car, au delà des opinions générales et des opinions de principe plus attendues, « lorsque l’on place des citoyens en position de juger eux-mêmes une affaire », « les sanctions les plus légères, comme les travaux d’intérêt général et les stages » sont plébiscitées et « une écrasante majorité tient à ce que la peine ait une dimension pédagogique » plutôt que strictement punitive. Même sur les « crimes jugés plus graves, touchant à l’intégrité physique ou psychologique », «  le discours général consistant à plaider pour plus de sévérité s’étiole lorsqu’on les met en position de juger eux-mêmes les affaires, beaucoup donnant même des peines moins lourdes que les juges ». Pour beaucoup de personnes interrogées, l’écoute et l’attention sont primordiales et il faut rejeter « une justice entièrement automatisée, où l’on se contenterait d’appliquer des barèmes de peine à l’aveugle ».

(6 mars 2020)