La Blockchain, une philosophie crypto-anarchiste
« Au fond, se joue une volonté de liquider l’auctoritas en son sens classique et de liquider un monde verticalisé au sein duquel des différences de compétences légitimeraient un système hiérarchique de pouvoir, de contrôle et d’organisation. Contre ce monde verticalisé est promu un univers horizontal où n’existent plus que des différences intensives de puissance de calcul, de chiffrement/déchiffrement, aucune entité du réseau n’étant plus légitime qu’une autre pour certifier la validité d’une transaction. Structurellement parlant, la blockchain substitue l’anonymat du nombre à l’incarnation de l’autorité, et évacue l’idée d’une différenciation qualitative entre les êtres, au moins quant à la souveraineté et à la décision. »
Après avoir critiqué le « discours médiatique volontiers anxiogène » à propos du Bitcoin et des crypto-monnaies, visant « moins à expliquer les enjeux concrets de cette nouvelle technologie qu’à dissuader les lecteurs et les auditeurs d’y avoir recours », le philosophe Thibaut Gress expose le principe de la technologie Blockchain « qui permet de stocker et transmettre des informations de manière transparente, sécurisée et sans organe central de contrôle, la décentralisation étant sans doute l’élément décisif du processus. Métaphoriquement, on peut la décrire comme un registre contenant l’historique de tous les échanges réalisés entre les utilisateurs depuis la création de la chaîne. » C’est donc « une technologie permettant de se dispenser de la confiance dans le cadre des transactions ». Ce qui, au delà de la technologie, fait de la Blockchain « l’application concrète et efficiente d’un certain rapport politique voire idéologique au monde ». D’abord parce qu’elle cherche à « soustraire des transactions de toute nature au contrôle centralisé » de « l’autorité politique, bancaire, et même législative ». La Blockchain serait ainsi une « philosophie crypto-anarchiste, proposant d’utiliser les techniques de cryptographie pour échapper dans le cadre du cyber-espace au contrôle et à la maîtrise des États », assurant une invisibilité « des individus au sein du cyber-espace afin de contourner l’utilisation étatique de la surveillance informatique ». Il s’agirait d’« une réponse non politique au problème politique de l’hyperpuissance ou, plus exactement, de l’hypercontrôle étatique que rend aujourd’hui possible la technologie informatique ». Au delà des conséquences pratiques qui pourraient en découler rapidement (fin des professions certificatrices mais aussi des plateformes internet de services centralisées de type Uber), la Blockchain laisse envisager un « un monde qui cherche à conjurer l’incertitude, le contingent » et ce faisant rend « caduques deux éléments déterminants du cadre humain – confiance et délibération ». Un autre « élément crucial de la post-humanité qui vient » …
10 mars 2019