Entretien avec Patrick Artus sur l’austérité salariale
«Autre effet indésirable, qui n’est pas qu’une question technique, c’est le fait que si les taux d’intérêt sont très bas, on ne sait plus faire de calcul actuariel. La valeur d’une action c’est normalement la valeur actualisée des dividendes. Or si les taux d’intérêt sont bas, on ne sait plus la calculer, et donc on ne sait plus dire combien vaut une action ou une maison…»
Avec la crise du Covid, «on a permis aux États de faire d’énormes déficits publics parce que les banques centrales monétisaient complètement ces déficits», explique l’économiste Patrick Artus, interrogé par Jean Bastien sur son livre 40 ans d’austérité salariale. Comment en sortir ? Ce qui n’est qu’une amplification des politiques budgétaires expansionnistes permises par les taux d’intérêt très bas des banques centrales. Or on constate un peu partout une pression pour augmenter les salaires: «On va ainsi sans doute progressivement passer à des politiques salariales plus expansionnistes, avec des hausses de salaires plus rapides qui vont ramener de l’inflation. Le problème c’est que si l’inflation fait monter les taux d’intérêt, on va se retrouver avec une crise de la dette, parce que l’on a aujourd’hui des taux d’endettement qui ne sont compatibles qu’avec des taux d’intérêt très bas.» Pour éviter cette crise, les banques centrales vont tenter de maintenir des taux très bas. Des taux qui ont «de nombreux effets indésirables»: concentration des entreprises, difficulté pour estimer la valeur des biens, multiplication des «entreprises inefficaces», accroissement des inégalités de patrimoine. D’autres causes que la fin de l’austérité salariale pourraient faire augmenter l’inflation comme le vieillissement démographique («un retraité est un consommateur qui ne produit pas. Quand il y a beaucoup de retraités, il y a beaucoup de demande et peu de production, et donc cela fait monter les prix») ou le fait que «les coûts de production augmentent dans les pays émergents» et que, «même en l’absence de relocalisation importante, on profitera moins des délocalisations». Et si l’inflation remonte, «il va falloir se désendetter et donc la dynamique d’endettement des trente dernières années va être remplacée par une dynamique de désendettement dans les prochaines années avec une hausse continuelle des taux».
(6 juillet 2020)