« Devenir adulte, aujourd’hui, ça prend 10 ans »
« Il faut faire la différence entre le jeune en cours d’insertion et le salarié instabilisé, et arrêter de mettre le jeune en CDD dans la même catégorie que la maman de 40 ans avec deux enfants, elle aussi en CDD. Le jeune, lui, est en apprentissage. La discontinuité est le système normal de la jeunesse. »
« Comment tu montres que tu es un adulte ? Tu fais un enfant, et tu prends un emploi stable. » Pour Jean Viard (sociologue au Cevipof-CNRS interrogé par Annabelle Laurent à propos de son livre Un nouvel âge jeune), les deux critères de base du passage à l’âge adulte permettent d’observer un « allongement de la jeunesse » puisqu’aujourd’hui, « l’âge moyen du premier CDI est de 29 ans » et 30 ans « l’âge auquel arrive le premier bébé ». Pour Viard, ces 10 ans de jeunesse sont une période de « discontinuité » et d’insertion progressive qui sont différentes de l’instabilité non choisie et de la précarité des adultes. Ce « désir de vie discontinue » se retrouve dans les nouvelles mobilités géographique, professionnelle, familiale : « 60 % de bébés hors mariage, ça veut bien dire qu’on est sorti des cadres anthropologiques traditionnels, et notamment du mariage. La société de classes a explosé, nous sommes dans un monde d’individus, c’est la structure de la culture qui a changé. Et le fond du mouvement, c’est que la vie étant plus longue, on a tous envie d’avoir plusieurs vies. » Pour « repenser le cadre » de cette longue jeunesse et s’y adapter, Viard propose des « incitations » (à voyager, à devenir autonome, à travailler) mais aussi un « revenu pour tous » jusqu’à 28 ans et le droit de vote à 16 ans (pour obliger « les politiques à faire des propositions sur la jeunesse »). Et surtout faire confiance à une jeunesse qui « aspire à voir du sens dans ce qu’elle fait » puisqu’« on est passés d’une société de statut à une société où on est prêt à gagner moins si c’est pour faire quelque chose qui ait du sens pour soi-même et pour les autres ».
(8 octobre 2019)