L’écologie comme mode de vie
La Convention citoyenne pour le climat, convoquée par l’État, semble avoir repris certains de ses travers et propose souvent «l’une ou l’autre mesure qui a déjà fait l’objet d’un affichage public officiel et qui n’a produit aucun effet». «Ambience différente» quand on consulte le programme de la liste écologiste à Lyon avec une constante «articulation entre démarche écologique et relations sociales de proximité». Au-delà du clivage politique qui s’exprime au second tour des municipales, on retrouve la différence entre ceux qui veulent «passer en force, face à la nature et aux autres» et ceux qui pensent «que la prise en compte des exigences de la vie naturelle et des attentes des autres vaut la peine».
Texte publié sur Tendances, Espérance.
Les 150 propositions de la convention citoyenne
J’ai parcouru la liste des 150 propositions de la Convention citoyenne pour le climat (1). Il s’agit, sans aucun doute, d’une initiative intéressante qui pourrait avoir pour vertu de légitimer, aux yeux du grand public, un certain nombre de mesures mal comprises et mal acceptées. On verra comment se passe la suite du processus.
Cela dit, à la lecture de cette liste, je n’ai pas échappé à un léger malaise. Dans nombre de cas, la commission reprend l’une ou l’autre mesure qui a déjà fait l’objet d’un affichage public officiel et qui n’a produit aucun effet. J’ai déjà parlé, par exemple, de l’échec du plan santé environnement et des plans Ecophyto successifs (2). Il ne suffit pas de décréter une politique publique. Dans beaucoup de cas, si on veut avancer, il faut faire un travail de terrain serré auprès des acteurs concernés afin de les accompagner dans un processus de changement. Et c’est ce travail de terrain qui fait défaut, aujourd’hui. On décrète de grands objectifs, on finance des mesures et on abandonne les acteurs à leur initiative sans vraiment les accompagner. Il y a, ainsi, une perte d’efficacité de l’argent investi dans les politiques publiques qui est majeure.
Pour ce qui est de l’isolation des bâtiments existants, autre exemple, on sait qu’un obstacle majeur est le manque de compétence et d’expérience des entreprises du secteur. Il y a bien une mesure envisagée, qui parle de la formation des professionnels du bâtiment, mais, faute de pouvoir accéder au document dans son intégralité, j’ignore comment la mesure a été imaginée. En tout cas, si on veut qu’elle embraye sur le milieu des PME du bâtiment, il faudra autre chose que des mesures incitatives. Même chose pour le développement des infrastructures cyclables (mesure qui figure dans beaucoup de documents publics): elle n’est pas seulement affaire de financement. Cela suppose une longue concertation avec les usagers du vélo (il est difficile de concevoir les trajets cyclables dans l’abstrait, car on ne perçoit pas les nombreux obstacles auxquels se heurtent, sur le terrain, les cyclistes). Et pour développer l’usage du vélo, il faut un travail d’animation et d’aide à la mise en mouvement non négligeable.
Voilà donc quelques exemples.
En résumé, cela m’a laissé l’impression d’un travail important et sérieux, mais qui n’échappe pas aux failles actuelles de l’action de l’État: une vision technocratique et économiciste, qui fait l’impasse sur les relations sociales à construire.
Et pendant ce temps-là, au niveau des grandes agglomérations …
Pendant ce temps, la campagne du deuxième tour des municipales met sous le feu des projecteurs, dans plusieurs grandes villes, des listes écologistes qui sont en passe de l’emporter… au point, d’ailleurs, de susciter quelques crispations chez leurs adversaires. J’ai parcouru, là aussi, le programme de la liste lyonnaise (3). Page après page, une ambiance différente de celle des 150 propositions s’en dégage. D’abord il y a, évidemment, une question d’échelle: tout est beaucoup plus concret au niveau d’une grande ville qu’au niveau de la France entière. Ensuite, au fil des pages, on sent que les auteurs se sont d’ores et déjà directement confrontés à certains enjeux, de sorte que leur manière de présenter leur projet est plus précise.
Mais la différence la plus importante est ailleurs. Dans chaque page (pas tout à fait), le projet suppose une articulation entre démarche écologique et relations sociales de proximité renouvelées. Cela m’a touché, car lorsque j’avais rencontré certains acteurs de la transition écologique, j’avais toujours remarqué qu’un des ressorts les plus puissants du changement des pratiques était l’apprentissage collectif (ou l’apprentissage des uns par les autres). Même l’économie verte est conçue, dans ce document, en lien avec l’économie sociale et solidaire.
De fait, il y a un lien plus profond qu’on ne l’imagine entre démarche écologique et investissement dans des réseaux de proximité, entre mise en question de la logique productiviste classique et intérêt pour les interactions sociales.
Pour le comprendre, faisons une brève parenthèse.
De nombreuses études, en psychologie sociale, ont opposé deux systèmes de valeur contrastés chez les individus: les uns sont plus orientés vers l’accumulation de richesse et le succès matériel, les autres sont plus orientés vers l’insertion dans des réseaux sociaux stimulants (naturellement, presque personne n’est complètement dans une case, il y a un continuum). Et les mêmes études ont montré, régulièrement, que les personnes qui sont plus concernées par la dimension matérielle témoignent de plus d’insatisfaction que les autres. Il est, dès lors, logique qu’elles poursuivent, encore et toujours, une satisfaction qui les fuit sans cesse et qu’elles pratiquent la fuite en avant. Que l’on admette, ou non, ce que je dis, ici, de manière schématique et résumée, tout un chacun peut constater que l’enrichissement, même homogène, d’une société (à partir du moment où des conditions de vie dignes sont assurées), ne la rend pas plus sereine ni plus satisfaite.
Et de fait, dans la manière d’imaginer la vie collective d’une grande commune, je retrouve dans ce programme écologiste cet intérêt pour les réseaux sociaux et la solidarité. La dimension productive est présente, mais elle est évaluée et conçue dans le cadre desdits réseaux. C’est là ce qui semble être le ressort essentiel d’une vie urbaine satisfaisante. L’écologie n’est donc pas seulement une série de mesures, c’est aussi un mode de vie, une manière de vivre ensemble.
Une polémique usée, qui pose question
Et il semblerait que le clivage entre les orientations dominantes, dont je viens de parler, soit en train de produire du clivage politique. Tandis qu’au niveau national le gouvernement en place a lancé cette Convention citoyenne, sur le terrain, la République en Marche participe assez systématiquement à des coalitions anti-écologistes.
Et ces coalitions usent d’un argumentaire éculé, usé jusqu’à la corde, cuit et recuit depuis (au moins) que je suis né: ces programmes écologistes abriteraient, en sous-marin, de dangereux bolchéviques qui mèneraient les communes concernées à la ruine. Je ne sais pas s’il faut rire ou pleurer d’une telle rhétorique. En tout cas, elle me semble participer d’un calcul politique à court terme qui pourrait se retourner contre ses auteurs. Une partie de l’électorat écologiste n’est, en effet, pas éloignée du centre. En dramatisant ces oppositions, ces coalitions sont en train de se couper d’électeurs potentiels.
Par ailleurs, il y a un sous-entendu dans cet argument: le mode de croissance actuel bénéficierait à tout le monde. Or depuis le début des années 1980, la croissance économique livrée à elle-même ne contribue plus à résorber les inégalités. Au contraire, le registre d’innovation actuel est en train de faire disparaître une partie des emplois des catégories moyennes de salariés. La croissance, soit disant menacée par ces crypto-bolchéviques, est peut-être satisfaisante pour les tenants des coalitions anti-écologistes, mais elle ne l’est pas pour de larges pans de la population. À l’inverse, c’est dans le programme des écologistes que l’on trouve le souci d’insertion (y compris par le travail) pour tous.
Dès lors on retrouve l’alternative entre tout tabler sur la croissance matérielle (sans évaluer ses conséquences sociales), ou en passer prioritairement par la construction de relations de proximité (dans le travail, dans le quartier, etc.) qui servent de socle à la vie collective. C’est peut-être là ce qui effraye les coalitions que nous pointons du doigt. Ce qui est au fond frappant, c’est que l’attitude à l’égard de la nature semble être du même ordre que l’attitude à l’égard des autres. Ou bien on essaye de passer en force, face à la nature et aux autres, ou bien on pense que la prise en compte des exigences de la vie naturelle et des attentes des autres vaut la peine.
Mais si on voit du bolchévisme dès que l’on essaye de s’intéresser sincèrement aux autres et notamment aux plus démunis et dès que l’on tente de construire collectivement des modes de vie plus respectueux de la nature et plus respectueux des autres… que dire? Si c’est là ce que certains pensent, je n’ai qu’une chose à dire: dans ce cas Jésus était bolchévique!
Illustration : réception des 150 membres de la Convention Citoyenne pour le Climat à l’Élysée le lundi 29 juin 2020 (vidéo Élysée).
(1) Voir le rapport final adopté le 21 juin: Les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat.
(2) Lire: Plan Santé Environnement: analyse d’un échec.
(3) Maintenant l’écologie pour Lyon.