Et l’espérance dans tout cela ?
En ce temps « hors du commun » de pandémie, « la question de l’espérance face au danger se pose de manière particulière ». Une espérance qui ne nie pas la mort ni « la douleur de la séparation » dont la Bible nous parle tant mais nous rappelle que si « la maladie et la mort sont là », « l’amour aussi ». Un amour central dans notre espérance et notre foi puisque « l’éternité est le règne où l’amour a vaincu la mort ».
Texte paru sur Tendances Espérance.
Il est difficile, ces jours-ci, de parler d’autre chose que de l’épidémie qui occupe tous les esprits. Il est difficile, également, de dire quelque chose d’inédit à son sujet. Les commentaires ont quelque chose de … viral : ils prolifèrent. Les expertises se croisent et, parfois, se contredisent les unes les autres. Les points de vue se multiplient.
Pour ma part, je n’ai pas grand chose à ajouter sur le présent de ce que nous vivons. Ce que j’ai envie d’écrire a plutôt trait à l’espérance.
J’en parlerai d’abord d’une manière laïque (disons compréhensible par quelqu’un qui n’a pas forcément la foi) avant de prolonger cette méditation en parlant de ma foi.
Fort comme la mort est l’amour
Quelle espérance peut-on avoir avec la mort qui frappe au jour le jour et les risques de contagion qui nous environnent ? On peut, certes, relativiser un peu en pensant à d’autres pathologies ordinaires qui fauchent chaque année des milliers de personnes (il y a plus de 500 000 morts par an, en France). Il n’en reste pas moins que la saturation des services hospitaliers et le cas de l’Italie où les services de soin sont complètement dépassés font de cet épisode quelque chose de hors du commun. Donc la question de l’espérance face au danger se pose de manière particulière, ces jours-ci.
Alors, pour être de plain pied avec tout un chacun, croyant ou non, je tiens à souligner, pour commencer, que, contrairement à ce qu’on peut penser, la Bible ne parle pas de la mort en sifflotant. Lorsque le roi David apprit la mort de son fils Absalom (qui, pourtant, complotait contre lui), « il frémit, monta dans la chambre au-dessus de la porte et il se mit à pleurer. Il disait en marchant : « Mon fils Absalom, mon fils, mon fils Absalom, que ne suis-je mort moi-même à ta place ! Absalom, mon fils, mon fils ! » (…) Il s’était voilé le visage. Il criait à pleine voix : « Mon fils Absalom, Absalom, mon fils, mon fils ! » (2 Samuel 19,1-5). C’est un exemple parmi d’autres. L’attente de la résurrection n’annule pas la douleur de la séparation. Jésus pleure la mort de son ami Lazare, qu’il va pourtant ressusciter quelques minutes plus tard. Paul parle de la mort comme du « dernier ennemi qui sera détruit » (1 Corinthiens 15,26).
L’espérance dont je parle n’est donc pas une manière commode de sauter par dessus les risques que courent des personnes que je connais (sans parler de moi-même) et d’autres que je ne connais pas.
Pour expliciter l’espérance qui m’habite, je partirai de cette formule que l’on trouve à la fin du Cantique des cantiques : « fort comme la mort est l’amour » (8,6). Non pas plus fort que mais aussi fort. Je vois ainsi l’existence que nous menons comme en tension entre des forces de mort et des forces de vie. Et ces forces de vie doivent toutes quelque chose à l’amour, à l’attention à l’autre, au dépassement de l’égocentrisme.
On peut voir, aujourd’hui, les angoisses les plus profondes que cette crise fait remonter à la surface et le résultat n’est pas toujours beau à voir. Mais, dans le même temps, des soignants font leur travail et, même s’ils essayent de minimiser les risques, ils savent qu’ils se mettent en danger. Des commerçants continuent à nous servir, dans des conditions difficiles et risquées, et ils ne le font pas simplement pour des raisons mercantiles. Certains acceptent de rester chez eux, alors même qu’ils ne sont pas des personnes à risque, afin de préserver d’autres personnes. Le lien social est mis à l’épreuve, ces jours-ci, mais le sentiment d’être tous dans le même bateau est très fort, lui aussi. La maladie et la mort sont là, mais l’amour aussi.
Et face à la douleur, quelle qu’elle soit, nous savons bien que c’est l’amour de personnes proches qui nous permet de nous reconstruire.
Un amour m’attend
Après, on ne regarde évidemment pas la mort (et donc la menace d’une maladie grave) de la même manière si on pense que tout s’arrête là, ou si on pense qu’il y a une suite.
La suite en question reste, évidemment, difficile à imaginer dans le détail, même pour un croyant. En détail non, mais en gros je peux en dire quelque chose. C’est une forme d’amplification de ce que je viens d’écrire. « Dieu, nous dit Jean, nul ne l’a jamais contemplé. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour, en nous, est accompli » (1 Jean 4,12). Cette parole forme mon attente. La révélation pleine et entière de Dieu prolongera et renouvellera une partie du présent et engloutira ce qui est mortel. L’éternité est, telle que je le comprend, le règne où l’amour a vaincu la mort.
A ce propos, les mots de la prière d’une carmélite (Alice-Aimée Marin (1)) me sont revenus en mémoire :
Ce qui se passera de l’autre côté, quand tout pour moi aura basculé dans l’éternité, je ne le sais pas.
Je crois, je crois seulement, qu’un Amour m’attend.
Je sais pourtant qu’alors il me faudra faire, pauvre et sans poids, le bilan de moi.
Mais ne pensez pas que je désespère.
Je crois, je crois tellement qu’un Amour m’attend.
Quand je meurs, ne pleurez pas ; c’est un Amour qui me prend.
Si j’ai peur – et pourquoi pas ? Rappelez-moi simplement qu’un Amour, un Amour m’attend.
Il va m’ouvrir tout entière à sa joie, à sa lumière.
Oui, Père, je viens à Toi dans le vent, dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va, vers Ton Amour, Ton Amour qui m’attend.
Amen
C’est bien là mon espérance. Et c’est ce qui me donne force et confiance, au jour le jour.
Illustration : la station de métro Denfert-Rochereau déserte le 24 mars (photo CC-L.Genet).
(1) Carmélite franco-américaine (1896-1976), elle fonde en 1957 le Carmel de Dolbeau au Québec pour continuer le Carmel de Hanoï (fondé en 1895) qui avait dû se réfugier en France à cause de la Guerre d’Indochine.