Comment les femmes sont devenues pasteures (3)
Accès des femmes aux études universitaires et demandes d’accès au pastorat d’abord, mises au point théologiques permettant cet accès ensuite contre les arguments de «bon sens» et d’«évidence»: c’est ainsi que les femmes sont devenues pasteures au milieu du 20e siècle. Dans ce troisième et dernier volet de l’entretien avec Jérémie Claeys pour Protestantes !, Lauriane Savoy analyse ce changement qui «rebat complètement les cartes» puisqu’il modifie «de fait, la figure pastorale» à partir de ce moment-là.
Texte issu de la deuxième émission du podcast Protestantes ! créé par Jérémie Claeys, mise en ligne le 25 septembre 2023.
Comment les lignes ont bougé
Jérémie Claeys: Qu’est-ce qui, au début du 20e siècle, a favorisé l’accès des femmes au ministère pastoral ?
Lauriane Savoy: La première chose qui a vraiment fait bouger les lignes est la formation des femmes, c’est-à-dire le moment où les femmes ont pu accéder aux études universitaires, notamment aux études de théologie. C’est ce qui a été déterminant car, dans les Églises protestantes réformées, la condition principale pour être pasteur est d’avoir une formation académique en théologie – aujourd’hui un master. Pendant des siècles, les femmes n’avaient pas accès aux études universitaires et donc aux études de théologie, il n’y avait ainsi pas besoin de justifier le fait qu’elles ne puissent pas devenir pasteures puisqu’il était évident qu’elles ne possédaient de toute manière ni le savoir ni les connaissances nécessaires pour exercer. Il n’y avait même pas besoin de les exclure explicitement et il n’était pas écrit dans des règlements que les pasteurs ne pouvaient être que des hommes: c’était une évidence… Mais à partir du moment où les femmes ont eu accès à l’université, à la fin du 19e siècle et surtout à partir des années 1910-1920, quelques femmes ont commencé à s’inscrire dans des facultés de théologie et certaines ont déclaré vouloir devenir pasteures.
Pourquoi avaient-elles cette envie ?
Elles étaient souvent des filles de pasteurs qui avaient l’exemple de leur père et voulaient faire comme lui, ce qui est assez naturel. C’était le cas de la première femme pasteure genevoise, Marcelle Bard qui, quand elle était petite, faisait semblant de prêcher devant les chaises vides de la salle à manger en mimant son père. On peut imaginer qu’un enfant de pasteur accompagne son père dans beaucoup d’activités, notamment aux cultes, et voit à quoi ressemble ce métier au quotidien, quelles en sont les activités: visites aux personnes, actes pastoraux, accompagnements dans les baptêmes, confirmations, mariages, funérailles…
Est-il vrai qu’elles ont pu devenir pasteures sans bénéficier de salaire, faire le même travail qu’un homme mais sans être payées ?
Disons qu’elles faisaient le même métier en étant moins payées et certaines sans être payées, effectivement. Cela dépend vraiment des situations. Dans le cas de Genève, le pastorat était ouvert aux femmes dès 1928 mais dans un premier temps a été mis en place le statut particulier de pasteur auxiliaire. Ce sont donc des femmes qui ne pouvaient pas être élues seules et venaient forcément en appui d’une grande paroisse où il y avait déjà au moins un homme, ou alors dans les aumôneries – c’est le cas de la première pasteure genevoise qui a travaillé à mi-temps dans une grande paroisse avec des pasteurs hommes puis l’autre moitié du temps à l’aumônerie de l’hôpital.
D’un côté, ces femmes bénéficiaient d’un vrai statut et avaient exactement les mêmes prérogatives que les hommes: elles n’étaient pas limitées, par exemple, dans la célébration des sacrements: la sainte cène, les baptêmes. Elles prêchaient, elles exerçaient exactement les mêmes missions. En revanche, comme elles étaient pasteures auxiliaires, elles étaient moins payées. Par conséquent, elles avaient moins ce rôle de leadership très marqué que peut avoir le pasteur de la paroisse quand il y exerce seul. Ce statut de pasteur auxiliaire a existé de 1928 à 1968 à Genève et quelques femmes en ont bénéficié sans pour autant être très nombreuses. Ce n’était pas du tout une invasion, comme le craignaient certains des opposants à l’ouverture du pastorat féminin.
Quelles sont les résistances auxquelles ces pionnières ont été confrontées ?
Il y avait des arguments théologiques évidemment, des personnes qui reprenaient les arguments catholiques autour du fait que le Christ était un homme, qu’il a choisi 12 apôtres hommes, et autour des épîtres du Nouveau Testament proclamant que les femmes se taisent dans les assemblées, que la femme doit être soumise à son mari… On insistait aussi sur le fait qu’il n’y a jamais eu de femmes prêtres dans la Bible. Ces arguments théologiques ont été assez vite contrés, notamment par des professeurs de théologie comme le professeur de Nouveau Testament à Genève Franz Leenhardt, auteur d’un article à la fin des années 1940 sur la place de la femme dans le Nouveau Testament (1). Fort de son autorité académique et théologique, il a montré qu’on ne pouvait pas utiliser ces quelques versets pour s’opposer à l’accès des femmes au pastorat, que ça ne tenait pas…
On constate ici l’impact de l’approche historico-critique des textes bibliques, qui a évidemment une grande importance dans les milieux luthéro-réformés, marqués par tout ce travail de lecture de la Bible selon une rigueur intellectuelle. Il faut en effet prendre en compte le contexte de production de ces textes bibliques qui est très différent du nôtre. Toutes les phrases de tous les textes bibliques n’ont pas à être prises au pied de la lettre, sinon on pratiquerait encore l’esclavage ou la lapidation… L’approche historico-biblique est salutaire et intellectuellement honnête: son avènement a permis de minoriser les arguments théologiques contre l’ouverture du pastorat aux femmes. Les professeurs des facultés de théologie de Suisse romande ou de France n’ont pas soutenu cette vision-là et, de ce fait, l’autorité académique théologique était du côté des femmes et de l’égalité. En définitive, les arguments les plus massifs contre l’ouverture du pastorat aux femmes étaient plutôt le bon sens ou l’évidence du fait que l’homme est fait pour diriger et la femme pour servir et s’occuper du foyer, des enfants…
Un pastorat différent
Ce qui aujourd’hui est, dans une certaine mesure, toujours au cœur des débats en Église.
Il me semble qu’on a quand même fait beaucoup de chemin, en tout cas dans le milieu luthéro-réformé où cette vision a disparu. Il est certain qu’elle peut exister dans d’autres cercles où l’on présente comme des évidences que c’est la nature: l’homme est actif et la femme est passive, l’homme mène, dirige dans la cité, alors que la femme sert, est dans la discrétion du foyer où elle a un rôle incroyable et magnifique (il y a souvent une survalorisation du rôle de la femme au foyer)…
Il y a d’autres arguments qui sont assez drôles de notre point de vue aujourd’hui, comme le fait que les femmes n’auraient pas la voix qu’il faut pour prêcher dans un temple non sonorisé (à l’époque il n’y a pas encore de micros). Je cite dans mon livre certains commentaires absolument délicieux à propos des femmes qui ne pourraient pas, lors d’un enterrement, dominer de leur voix le bruit du vent qui souffle, ou qui ne sauraient pas couvrir les cris d’un nouveau-né au moment du baptême!… Il y avait donc cette conception-là, ces arguments pseudo-biologisants sur la prétendue plus grande faiblesse de la femme. Cela allait aussi avec la présentation du métier de pasteur comme un métier extrêmement exigeant, certains affirmant même qu’il fallait avoir une carrure physique importante pour être pasteur – les hommes fluets, un peu fragiles ou pas très musclés ne feraient pas non plus de bons pasteurs, il fallait vraiment être un bonhomme…
C’est aussi une avancée que les hommes ne se retrouvent plus forcément dans cette posture paternalisante du pasteur. Les femmes pasteures ont pu contribuer à faire baisser la température de ce point de vue-là et c’est aussi libérateur pour les hommes.
Absolument et c’est ce qu’on observe au tournant des années 1960-1970, moment où les institutions et notamment les Églises sont d’une manière générale passablement mises en crise par les mouvements autour de mai 68. Cette remise en question de toute autorité est également dirigée contre l’Église, institution très paternaliste. Ce qui est passionnant avec cette époque-là est qu’il y a beaucoup de jeunes théologiens dans les facultés ou sortant des facultés – théologiennes, notamment, bien qu’elles ne soient pas encore très nombreuses – qui s’inscrivent pleinement dans ce mouvement et qui vont manifester. En Suisse, de nombreux objecteurs de conscience refusent de faire l’armée, vont en prison pour cela, et parmi eux des prêtres et des pasteurs. C’est une époque marquée par une effervescence ainsi qu’un courage militant et politique assez impressionnants. Cette nouvelle génération de jeunes qui font des études de théologie veulent devenir pasteurs, mais pas comme Papa ou Grand-Papa. Ils ne souhaitent pas être ce type de pasteur-là, cette figure d’autorité très austère surplombant la communauté.
Des injonctions qui représentent une pression monstre !…
Tout à fait… et qui ne correspondent plus aux aspirations de la jeunesse des années 1960-1970. Cette période coïncide aussi avec le moment où les femmes arrivent plus nombreuses dans les études de théologie et se projettent davantage dans le métier de pasteure, ce qui rebat complètement les cartes puisque, de fait, la figure pastorale change énormément à partir de là. Les femmes et les hommes ne se reconnaissant plus dans ce moule traditionnel, ils et elles réinventent la manière d’être pasteur, et de là découle une diversification des manières d’envisager le ministère pastoral.
C’est aussi la période où le port de la robe noire des pasteurs est remis en question et où nombre d’entre eux, pour ne pas se distinguer des fidèles, ne revêtent plus ce vêtement pour prêcher. Parallèlement naît à Genève un mouvement de contestation de la consécration – aussi appelée ordination dans certaines Églises –, cet acte qui n’est pas loin d’être un sacrement et qui marque l’entrée d’une personne dans le ministère pastoral. À la fin des années 1960, les jeunes à Genève ne veulent plus de la consécration car ils y voient une mise à part vis-à-vis de l’ensemble des fidèles, ce qui n’est pas en adéquation avec le sacerdoce universel; ils ne veulent pas être au-dessus de la communauté. Beaucoup de choses passionnantes se passent à ce moment-là. Soulignons toutefois qu’il existe encore aujourd’hui des pasteurs qui se situent plutôt dans la lignée de la figure traditionnelle, avec cette posture d’autorité, d’enseignement… Cela existe toujours mais il y a d’autres manières d’être pasteur.
«Les Églises ont vraiment du chemin à faire…»
Justement, malgré toutes ces évolutions (notamment dans les milieux luthéro-réformés), comment expliques-tu qu’aujourd’hui en 2023, il existe encore des résistances dans l’Église chrétienne en général ? Comment expliques-tu que tout le monde ne prenne pas le train en marche ?
Il est vrai que, même dans des Églises luthéro-réformées, certaines paroisses sont encore réticentes à engager une femme pasteure, soit parce que persiste une conception un peu ancestrale, en partie héritée du catholicisme (ce serait plus rassurant d’avoir un homme pasteur, d’avoir cet aspect un peu paternaliste), soit par peur qu’elle ait des enfants, qu’elle prenne des congés maternité successifs et que la paroisse se retrouve livrée à elle-même, sans pasteure, pendant des mois voire des années. C’est un problème important et une vraie inégalité entre les hommes et les femmes.
Car on part du principe qu’elle aura des enfants et qu’elle en voudra…
Oui. Ce qui est injuste est que cela ait un impact très fort sur les femmes et sur leur carrière mais pas du tout sur celles des hommes, à cause du congé parental inégalitaire. Si les conséquences de la parentalité étaient les mêmes pour les hommes et les femmes, aucune paroisse ne rechignerait à engager une femme, puisqu’elles ne percevraient pas ce choix comme un risque supplémentaire. Les Églises ont vraiment du chemin à faire… C’est bien sûr la société dans son ensemble qui est concernée par cette nécessité de changement, mais je pense que les Églises pourraient être un peu plus à l’avant-garde en donnant un congé paternité égal à celui des femmes. Ce serait prophétique ! Ce genre de mesures constituerait un geste fort pour les Églises.
Quels sont selon toi les axes d’amélioration sur le sujet en 2023?
Cette question de la parentalité qui n’a pas du tout le même impact sur les femmes et sur les hommes est pour moi une question majeure. D’autres pistes d’amélioration sont à trouver du côté des lieux qui n’accueillent pas de femmes pasteures et restent des bastions masculins, ou bien de certains conseils de paroisse dans lesquels il n’y a pas encore des femmes. Des progrès sont à faire en termes de mixité. Je crois beaucoup à la collaboration entre les hommes et les femmes; c’est important d’avoir de la diversité et de la mixité un peu partout, à tous les échelons. Je pense qu’il est nécessaire d’avoir un œil attentif sur ces questions pour se rendre compte que cette mixité n’est pas effective partout et que des lieux de résistance perdurent. Il faut en prendre conscience, s’interroger sur les causes et puis, peut-être, promouvoir l’accès des femmes à certaines sphères desquelles elles sont encore tacitement exclues. D’importants progrès peuvent aussi être faits du côté théologique et liturgique sur la manière de parler de Dieu.
Dieu.e ?
Oui. Ces tentatives pour ouvrir les imaginaires provoquent souvent des réactions extrêmement épidermiques; on peut en prendre plein la figure en s’engageant sur ces questions-là, sur les problématiques autour du langage inclusif, de l’écriture… Beaucoup de gens ont une vision assez conservatrice non seulement de la langue mais également (du côté Église ou théologie) des manières de parler de Dieu. Pour eux, il ne faut surtout pas changer les formules auxquelles on est habitués. Pour moi, au contraire, le langage est un enjeu important car c’est celui de l’imaginaire. Je ne pense pas qu’il soit sain d’avoir cette vision un peu fossilisée du langage et de la théologie, qui ne devraient pas bouger car il y aurait une norme qui donnerait satisfaction.
Le langage a toujours évolué et, si l’on peut être insatisfait de ces évolutions, elles correspondent en tout cas à des besoins réels. Et puis la théologie n’est pas une discipline figée: elle s’enrichit depuis plusieurs décennies de l’apport de théologiennes féministes, de la théologie queer mais également de théologies extérieures à l’Europe ou au monde anglo-saxon, venues d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine. Il y a là-bas une richesse et un foisonnement énormes et dont il faut se réjouir ! Il faut éviter d’être dans une posture de conservation d’un patrimoine qui ne devrait surtout pas bouger et percevoir ces mouvements comme un enrichissement, une fécondité.
Ce qui est intéressant avec l’approche historico-critique est qu’elle permet de prendre du recul sur les textes. Toutes ces avancées concernant les femmes, l’accès au ministère pastoral, le fait de se pencher sur ces versets en les disséquant de manière intellectuellement honnête et exigeante vont peut-être permettre d’ouvrir la porte à d’autres combats comme ceux – tu viens de l’évoquer – de la communauté LGBTQIA+. Penses-tu que ces avancées puissent lui bénéficier ?
J’en suis convaincue. Quand je lis certains discours sur les femmes produits dans les années 1920 ou 1930, prenant notamment appui sur certains versets d’épîtres, cela me fait vraiment penser aux débats de ces dernières années sur l’homosexualité dans nos Églises. Il y a vraiment des parallèles entre les combats des femmes d’il y a quelques décennies – qui durent encore aujourd’hui – et ceux des personnes LGBTQIA+: ce sont dans les deux cas des mouvements de remise en question d’une certaine oppression exercée par une norme sociale très forte entretenue par des personnes qui ne veulent pas partager le pouvoir. Il faut, du fait de ces liens évidents, être solidaires et continuer le combat, y compris du côté des femmes où il y a encore à faire même si, dans les Églises luthéro-réformées, on peut avoir l’impression que les femmes ont accès à toutes les fonctions. Effectivement, il y a désormais des femmes qui président les Églises en France, en Suisse, en Allemagne, et c’est formidable… Mais tant qu’il y aura des inégalités dans la société d’une manière générale, elles persisteront aussi dans les Églises. Il faut donc lutter sur tous les fronts et garder les yeux ouverts sur ce qui se passe, conserver un regard critique dans toutes les sphères de vie.
«Ces luttes ont bel et bien leur raison d’être»
Comment as-tu vécu ces années de lutte ? Cela doit être prenant mais aussi éprouvant par moments.
Je ne me considère pas comme une personne particulièrement engagée mais plutôt comme quelqu’un qui était dans un travail de recherche au long cours, sans être sur le devant de la scène sur des questions de militantisme.
Mais tu as contribué, et tu continues à contribuer…
Oui, je contribue… Pour moi, il est important que ce soient des luttes collectives, portées par un groupe plutôt que par une ou deux figures médiatiques. Ce que je trouve magnifique dans ce mouvement-là, c’est ce beau phénomène de sororité, de prise de conscience et d’apports. J’ai 38 ans et je vois aujourd’hui chez les jeunes femmes féministes un élan incroyable et très beau. Je suis très reconnaissante d’assister à ce magnifique mouvement qui existe après moi chez les plus jeunes. Cela me procure beaucoup de joie, tout comme sont sources de joie les rencontres avec d’autres personnes, d’autres femmes, mais il y a aussi actuellement des tensions et un vrai retour de bâton – nous l’évoquions – sur la question du langage et de l’écriture de la théologie.
Il peut y avoir des résistances, un repli identitaire ou un conservatisme très fort et il est parfois difficile d’être confrontée à des réactions assez hostiles, à des gens qui pensent que le féminisme n’a plus lieu d’être ou bien que les féministes ne luttent pas de la bonne manière. De nombreuses tensions et incompréhensions perdurent également sur la question de la mixité choisie (le fait d’exclure les hommes cisgenres de certaines réunions) ou à propos de la grève féministe. Il y a depuis 2019 ce mot d’ordre qui consiste à demander aux hommes de bien vouloir se tenir en deuxième partie de cortège; ils sont les bienvenus dans la manifestation mais ne doivent pas se mettre tout devant car c’est la grève des femmes et qu’on aimerait nous être mises en avant durant cette journée, être devant, interrogées par les journalistes… Certains hommes ne comprennent pas du tout cette demande qu’ils perçoivent comme une exclusion, ni la légitimité et l’importance pour les femmes de se retrouver parfois entre elles, voire d’exprimer ce qu’elles ressentent, les oppressions subies, et discuter entre elles de leurs revendications.
Reste ce bonheur d’un féminisme joyeux, renouvelé, avec de nouvelles générations créant des liens au niveau de l’œcuménisme, en particulier entre protestantes et catholiques, bien que la dernière grève féministe ait aussi été marquée par une très belle célébration interreligieuse à laquelle ont participé des femmes d’autres traditions religieuses, notamment musulmanes et juives. Et en même temps persiste l’écueil d’un certain retour du conservatisme, d’un retour de bâton, d’incompréhensions… Ce n’est pas facile de devoir toujours expliquer, éduquer. C’est parfois usant de continuellement justifier tous les combats, toutes les réflexions, toutes les luttes.
Y a-t-il une chose que tu aimerais dire aux hommes?
J’aimerais les inviter à être dans une posture d’écoute et d’humilité par rapport aux expériences et aux vécus des femmes, qui diffèrent des leurs, et puis les encourager à être respectueux du fait qu’il existe des conceptions de l’engagement et des stratégies militantes variées. Je pense qu’il faut une bonne dose d’empathie, de respect, d’écoute et d’ouverture pour donner aux femmes cette place qu’elles n’ont pas encore pleinement. Si les luttes féministes continuent aujourd’hui, c’est parce que les femmes n’ont toujours pas la place qui devrait être la leur dans la société, dans le monde professionnel, en politique… Il faut vraiment soutenir et participer, à son échelle, à toutes ces luttes qui ont bel et bien leur raison d’être.
Et aux femmes, qu’aimerais-tu leur dire ?
C’est une question difficile !… J’aimerais leur dire qu’elles sont toutes précieuses et qu’elles ont toutes une place importante, quel que soit leur niveau de responsabilité, leur place dans la société ou dans l’Église. Je me sens en solidarité, en sororité avec toutes les femmes et je suis avec toutes les expériences. Je pense que c’est beau d’avoir des liens qui ainsi nous unissent.
Qu’évoque pour toi le mot protestante ?
Le mot protestante, c’est mes racines. Je me dis protestante. J’aime aussi l’aspect subversif que peut aujourd’hui avoir ce mot. Le fait de protester s’accorde bien avec tout ce qui est lutte et cela résonne avec l’époque actuelle. Parfois on s’amuse du fait que les protestants sont toujours en train de protester, comme si c’était une posture un peu vaine d’être toujours dans cet état d’esprit, mais c’est un joli mot qui représente toute une histoire et qui aujourd’hui conserve tout son sens.
Illustration: Lydia von Auw, première docteure en théologie en Suisse (extrait de la couverture du livre Pionnières de Lauriane Savoy).
(1) Franz Leenhardt, La place de la Femme dans l’Église d’après le Nouveau Testament, ETR 23/1 (1948).