Changer le territoire, devenir terrestres
« Mais que faire ? « D’abord décrire. Comment pourrions-nous agir politiquement sans avoir inventorié, arpenté, mesuré, centimètre par centimètre, animé par animé, tête de pipe après tête de pipe, de quoi se compose le Terrestre pour nous ? ». Il ne s’agit pas seulement de comprendre notre dépendance à tout ce qui fait l’environnement non humain, il faut défaire les conséquences pratiques de nos erreurs de jugement, de nos idéologies erronées. »
C’est « une lecture de la situation mondiale contemporaine qui place la question écologique en son cœur » et a comme « pivot » l’élection de Donald Trump. Pour Carole Gayet-Viaud, le livre de Bruno Latour Où atterrir ? propose « quatre leçons politiques ». La première leçon, c’est que « l’insuffisante politisation de l’urgence climatique n’est pas seulement le résultat d’une négligence collective coupable : c’est aussi le produit de stratégies d’opacification et de mise en doute des faits relatifs au changement climatique » menées par des « élites obscurcissantes ». Comme lors du naufrage du Titanic, « à défaut de pouvoir sauver tout le monde, les passagers de première classe consentent à laisser périr les autres. Retarder l’ébruitement de la nouvelle du naufrage, voire la démentir vigoureusement, n’est que l’autre versant du même procédé ». L’élection de Trump prouve « que ceux qui dénient le changement climatique sont ceux-là mêmes qui ont décidé de faire sécession. Ils ne sont ni des imbéciles à éduquer ni des insouciants à (r)éveiller, mais des adversaires politiques à combattre ». La deuxième leçon, c’est la bifurcation récente, causée par l’emballement des dynamiques économiques, entre « la mondialisation plus » (ouverture et émancipation) et la « mondialisation moins » (ses effets délétères actuels) qui provoque un « essor des réactions défensives, réactionnaires, visant le repli vers les protections anciennes, « le Local », l’appartenance, l’identité, les frontières et les formes de stabilité qu’on les croit à tort capables de garantir ». Le défi est donc de « retisser des bords, des enveloppes, des protections » pour faire tenir ensemble ces « deux mouvements complémentaires que l’épreuve de la modernisation [a] rendus contradictoires : s’attacher à un sol d’une part ; se mondialiser de l’autre «. La troisième leçon, c’est que nous sommes désormais « habitués à considérer que « connaître, c’est connaître de l’extérieur » » et que cette rationalité scientifique a déconnecté « deux dimensions du réel qui sont organiquement solidaires » : l’humanité et le monde biologique. L’enjeu est donc de « se déprendre de cette conception de la « nature », vue à tort comme extérieure pour s’orienter vers le « Terrestre » ressaisi comme ce dont dépend notre survie ». La quatrième et dernière leçon, c’est de comprendre l’administration Trump comme « le premier gouvernement totalement orienté vers la question écologique – mais à l’envers, en négatif, par rejet » … et donc de faire le contraire pour devenir « terrestres ». Plutôt que des lignes de conduite concrètes dispersées, Latour préfère avancer deux pistes : « la diplomatie et l’enquête ». La diplomatie pour « déplacer les intérêts de ceux qui continuent à fuir vers le Global et de ceux qui continuent à se réfugier dans le Local ». L’enquête, car « retrouver une maîtrise de ce dont dépend notre survie suppose de redécrire ces dépendances et connexions ».
(26 mars 2020)