Législatives: un vaincu, pas de vainqueurs - Forum protestant

Législatives: un vaincu, pas de vainqueurs

Pour l’historien Nicolas Roussellier (interrogé par Frédérick Casadesus), la nouveauté après ces élections n’est pas le régime parlementaire, mais qu’il se confirme «que nous marchons, d’élections en élections, de majorités relatives en majorités relatives». Autre nouveauté, pour que ce régime fonctionne (et que le RN ne l’emporte pas dans 3 ans), «les groupes de députés vont devoir se comporter d’une façon plus sereine, avec plus de respect les uns pour les autres».

Entretien publié sur Le blog de Frédérick Casadesus.

 

Léon Blum (un homme presque aussi intelligent que Manuel Bompard et Mathilde Panot…) déclara au lendemain de la victoire du Front Populaire: «Et maintenant, les difficultés commencent». Une telle formule conviendrait parfaitement à la situation née du second tour des élections législatives. Il est des Chambres introuvables parce qu’elles accordent une écrasante majorité aux formations qui l’emportent, et d’autres qui le sont parce qu’elles privent ces mêmes formations de la moindre majorité. Le président de la République a dissous l’Assemblée nationale afin de redonner la parole aux citoyens. Le voici servi, et nous avec. Au moins pouvons-nous nous réjouir que les électeurs se soient massivement exprimés d’une part, qu’ils aient rejeté dans les marges un parti qui prône le rejet de l’autre – sous le masque de la respectabilité. Nicolas Roussellier, professeur à Sciences Po, nous livre son analyse.

 

Une défaite indiscutable

«Nous assistons à une défaite indiscutable: celle du Rassemblement national, observe-t-il d’emblée. L’extrême droite manque non seulement la majorité absolue mais se trouve même derrière le camp macroniste. C’est la seule chose que nous puissions constater de manière objective – et dont nous pouvons nous satisfaire, si l’on songe au programme que l’extrême droite préconise depuis toujours. Pour le reste…»

Et oui, pour le reste, un certain flou domine. Il est vrai que le Nouveau Front Populaire a remporté le plus grand nombre de sièges, mais par une victoire trop courte pour bénéficier d’une majorité relative. C’en est au point que certains prédisent le retour à un régime parlementaire.

«Il n’en est rien, corrige Nicolas Roussellier. Sous la Ve République même, ce régime a toujours existé, même si la domination présidentielle a parfois masqué cette réalité. La nouveauté vient du fait que nous marchons, d’élections en élections, de majorités relatives en majorités relatives.»

Dimanche, un cran supplémentaire a été franchi, puisqu’à l’heure actuelle, trois blocs composent la nouvelle Assemblée nationale, sans qu’aucun d’eux ne dispose d’un avantage décisif.

«Un tel résultat suppose l’émergence d’un gouvernement parlementaire d’un nouveau genre, note encore Nicolas Roussellier. Les groupes de députés vont devoir se comporter d’une façon plus sereine, avec plus de respect les uns pour les autres, et par exemple ne pas déposer des milliers d’amendements quand une loi se présente. Il est probable que la politique menée depuis sept ans se trouve contredite par les lois à venir, mais d’un strict point de vue parlementaire, nous resterons dans une configuration très semblable à celle de la mandature précédente.»

 

Qui au poste de Premier ministre ?

Une série d’inconnues demeurent. À commencer par la question des alliances. Avec qui le Nouveau Front Populaire pourra-t-il gouverner ? Pour Nicolas Roussellier, la constitution d’’un gouvernement issu de ses rangs transformerait un succès électoral en succès gouvernemental. Mais pour qu’une telle hypothèse se confirme, il faudra bien que cette coalition trouve des alliés, donc admette une série de compromis. Jusqu’où ? Mystère. Un mystère d’autant plus insondable que, face à eux, les députés vont trouver un président de la République affaibli sur un plan politique mais disposant de toutes les prérogatives que lui confère la constitution.

Dimanche soir, Emmanuel Macron a publié un communiqué indiquant qu’il attendait de voir quelle serait la «structuration de l’Assemblée nationale» pour tirer les enseignements du scrutin. Cette expression laisse planer un doute sur ses intentions. Théoriquement, le Président peut nommer qui bon lui semble au poste de Premier ministre.

«En réalité, notre histoire politique le montre, le chef de l’État sera conduit à choisir pour chef de gouvernement le chef de file du parti le mieux représenté, rappelle Nicolas Roussellier. Or, aucun chef de file ne semble s’imposer.»

Jean-Luc Mélenchon a déclaré qu’il ne serait pas candidat, non par bonté d’âme ou générosité, mais parce qu’il sait qu’il ne serait pas soutenu par ses partenaires, d’une part, et parce qu’il veut se présenter de nouveau à l’élection présidentielle d’autre part. Dans ces conditions, que va faire le chef de l’État ? Souhaite-t-il savoir si le Nouveau Front Populaire va conserver son unité ou bien si les partis qui le composent vont se diviser ?

«Il est trop tôt pour le dire, estime notre interlocuteur. Mais s’il avait l’idée de nommer Premier ministre une personnalité qui ne soit pas issue de cette coalition, ce serait considéré comme un déni de démocratie, moralement contestable.»

Alors ? Alors il faut encore attendre. La situation générale dans laquelle se trouve le pays, ce n’est un secret pour personne, va peser lourd sur les épaules du prochain Premier ministre. Entre la colère et la déception des électeurs d’extrême droite, les Jeux Olympiques, la guerre en Ukraine et les marchés financiers, les sujets d’inquiétude ne vont pas manquer. Lucide, Yannick Jadot prévenait dimanche soir:

«La République a tenu, mais si nous ne réussissons pas, c’est le Rassemblement National qui l’emportera dans trois ans».

Comme dirait le merveilleux Léon Blum: «Les difficultés commencent…».

 

Illustration: discours du premier ministre Gabriel Attal le 7 juillet 2024.

 

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