Le Président en maillot de bain - Forum protestant

Le Président en maillot de bain

«Ce que dit toute photo, c’est qu’elle a touché le temps.» La photo du président Macron en jet-ski au fort de Brégançon veut à la fois convaincre du dynamisme  du chef de l’État tout en transgressant «les codes de sa fonction». Mais ce qu’elle montre surtout, c’est que «seul compte ici le moment présent».

Chronique publiée sur Le blog de Frédérick Casadesus.

 

Cinéaste roué, génial, médiocre, ou talentueux – suivant les âges de sa vie –, Jean-Luc Godard, en cela fidèle au protestantisme de sa mère, a déclaré jadis: «Il n’y a pas d’images justes, il y a juste des images». En voyant la photo du président Macron pratiquant le jet-ski, l’aphorisme nous est revenu.

Notons d’abord un changement de mœurs. En 2012, François Hollande avait choqué par la bonhommie qu’il affichait dans la commune de Bormes-les-Mimosas. C’était injuste parce qu’en dépit de sa présence, le soleil brillait. Mais l’opinion condamna son comportement, considérant qu’un président devait d’abord montrer qu’il travaillait d’arrache-pied. Rien de tel cette année. Le président Macron s’est offert un vrai temps de pose au fort de Brégançon et nul n’y a trouvé à redire. Nul? Pas tout à fait. Les défenseurs de l’environnement se sont indignés de le voir pratiquer le jet-ski, machine réputée polluante. Mais les proches du chef de l’État ayant assuré que celui-ci s’était servi d’un engin fonctionnant à l’eau tiède (ou presque), tout est rentré dans l’ordre.

Pourtant, cette photo laisse un brin songeur. Laissons de côté les questions nostalgiques – «Imagine-t-on de Gaulle à bicyclette?» – ou grivoises – «Où Félix Faure passait-il ses vacances?». Au reste, en n’étant jamais monté qu’une fois sur un scooter –oui, mais conduit par un théologien rapide et sûr, Antoine Nouis en personne! –, on ne se croit pas le mieux placé pour évaluer les qualités sportives du Président. Réfléchir au sens de ce cliché ne nous est pourtant pas interdit.

Comme il en a l’habitude, Emmanuel Macron veut faire comprendre que, travailleur infatigable, il est toujours jeune et dynamique, en conséquence de quoi il assume le fait d’aimer se détendre et pratiquer le sport; il nous invite à nous divertir, nous aussi. Dans un même élan, parce qu’il se laisse voir en tenue de vacancier, le Président transgresse les codes de sa fonction, désacralise le corps symbolique dont il est dépositaire pour un second mandat de cinq ans.

Au-delà, c’est la culture de l’immédiat qui nous est imposée. Le jet-ski sera peut-être un jour démodé, les lunettes de soleil de type Top-gun-Maverick aussi. Qu’importe, seul compte ici le moment présent. Sous cet angle – et c’est le cas de la dire –, on peut considérer cette photo comme une trouée de temporalité.

Telle est l’une des leçons transmises par Jean-Christophe Bailly dans son nouveau livre: Une éclosion continue (1). Philosophe et professeur à l’École nationale supérieure de la nature et des paysages de Blois, poète, écrivain, l’auteur possède un large savoir. Mais il en use comme d’une carte à jouer plutôt que d’un atlas. Il partage des analyses autant que des intuitions.

«Du cours du temps la photo a sauté, souligne Jean-Christophe Bailly. Cette saute est ce qu’on voit, ce qu’on voit en premier, et ce qui fascine: ce qu’on n’avait jamais vu, qui est ce qu’on ne peut pas voir dans le flux, dans la nasse, dans l’immersion: du temps arrêté, un pur prélèvement, l’insaisissable de l’instant saisi, dans un simulacre.» Attention, Jean-Christophe Bailly ne fait pas cause commune avec Henri Cartier Bresson: c’est la contemplation, plus que l’instant décisif, qui l’intéresse; en le lisant, nous comprenons que le temps de pose est un temps déposé devant nos yeux. «Ce qui est venu avec la photographie, remarque-t-il, ce n’est pas seulement un supplément ou un surcroît d’immobilité, c’est un mode d’imprégnation qui confère à cette immobilité quelque chose de spectral. Il tient à la nature et même, pourrait-on dire, à la substance indicielle de l’image photographique que son immobilité ait le caractère d’un relevé ou d’une trace, et ceci que l’image soit nette ou qu’au contraire quelque chose de flou ou de bougé appartienne à sa texture. Ce qui est relevé, c’est justement le temps, le passage du temps et ce que dit toute photo, c’est qu’elle a touché le temps».

Bientôt, les images de votre amoureuse ou de votre amoureux, verre à la main sur une plage, tourneront sépia. Mais leur contemplation fera naître en vous, plus que des souvenirs, un condensé d’existence. Tout ce qui palpitait non loin du cadre – le murmure des convives au creux du restaurant, les rires des enfants, jusqu’aux chansons fredonnées ce jour-là – tout vous reviendra. Comme un parfum d’éternité. Le jet-ski d’Emmanuel Macron depuis longtemps dort au garage. Mais il tient déjà sa revanche: la postérité travaille pour lui.

 

Illustration: le fort de Brégançon (photo Technob105, CC BY-SA 3.0).

(1) Le Seuil (Fiction & Cie), 2022, 320 pages, 22 €.

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