L’incarcération dans le monde - Forum protestant

L’incarcération dans le monde

Quand on compare taux d’incarcération et de criminalité dans différents pays, on constate qu’une «politique centrée sur la réhabilitation», «de courtes peines pour de nombreux délits» et de «forts services de réinsertion» comme dans les pays du Nord de l’Europe assurent «une plus grande sécurité pour l’ensemble de la société que l’incarcération seule». Avec les États-Unis et le Brésil en contre-exemples, l’Angleterre et la France au milieu du gué…

Texte publié le 17 octobre sur le blog de l’Aumônerie protestante des prisons.

 

Pour comprendre les mécanismes de l’incarcération en France, il est utile de la comparer à d’autres pays.

Alors que Robert Badinter est reçu au Panthéon, il est important de rappeler sa conviction profonde à propos de l’incarcération et de l’exemplarité:

«Lorsque les voyous commettent des infractions, ils ont d’abord la certitude de ne pas se faire prendre; ils ne commettent pas leurs infractions avec un code pénal sous le bras: c’est la réalité, ne l’oublions pas».

L’incarcération et la lourdeur des sanctions sont-elles les seules et meilleures réponses aux crimes et aux délits ? Il n’est pas ici question de promouvoir un supposé laxisme mettant en péril la sécurité de la société entière. La sanction doit exister en réponse à un crime ou un délit. Se soucier du sort des délinquants, assurer leur défense et leur dignité ne peut se faire au détriment du sort des victimes ou des proches des victimes.

Cependant l’article premier de la loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales mentionne que,

«afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :

1° De sanctionner l’auteur de l’infraction

2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion» (article 130-1 du Code pénal).

La sanction n’est donc pas oubliée mais dès ce premier article, l’accent est mis sur cette mission tout aussi essentielle pour l’institution judiciaire: favoriser la réinsertion dans le tissu social du criminel ou du délinquant.

 

La privation de liberté n’est pas si dissuasive

Comparons alors dans un premier temps la corrélation entre taux de criminalité et taux d’incarcération pour les pays suivants (le taux de criminalité est un index prenant en compte, pour comparer les pays, 23 facteurs de différentes études; et le taux d’incarcération est le nombre de personnes détenues pour 100000 habitants):

 

 Pays  Index de criminalité  Taux d’incarcération
 France  44,8  123
 États-Unis  50,7  541
 Brésil  69,7  416
 Angleterre  41,7  142
 Pays-Bas  34,9  64
 Norvège  26,2  54

 

Trois groupes se distinguent:

États-Unis et Brésil: index de criminalité élevé et taux d’incarcération élevé

Pays nordiques: index de criminalité bas et taux d’incarcération bas

Angleterre et France à mi-chemin sur les deux paramètres.

Affirmer, à la lecture de ce tableau, que moins on emprisonne, moins il y a de crimes est bien évidemment une erreur car il ne suffit pas de limiter l’incarcération pour faire baisser le taux de criminalité. Mais ces chiffres viennent battre en brèche, comme l’évoquait Robert Badinter, l’idée communément répandue qu’il faut incarcérer (voire exécuter dans de nombreux pays dont les États-Unis) pour prévenir la délinquance: l’exemplarité de la peine n’est pas si dissuasive que ça et c’est bien plus la certitude d’être sanctionné qui sera efficace que la privation de liberté pour une période plus ou moins longue. Ce qui confirme la nécessité de sanctionner.

Mais sanctionner comment ? Quels dispositifs mettre en œuvre ? Reprenons nos 3 groupes de pays pour survoler le mode de fonctionnement de leur système judiciaire.

États-Unis et Brésil: système répressif, recourant à la peine de mort et des durées d’incarcération assez longues. De plus, pour le Brésil des conditions d’incarcération très dégradées entraînant une délinquance très élevée à l’intérieur des prisons.

France et Angleterre: durcissement des peines en Angleterre, population carcérale élevée au regard des capacités d’incarcération pour les deux pays et un accompagnement limité lors du parcours pénal et pour la réinsertion à la sortie.

Pays nordiques: politique centrée sur la réhabilitation, courtes peines pour de nombreux délits, forts services de réinsertion en relation avec des taux de récidive assez bas en Norvège et à une meilleure réinsertion sociale.

 

Les impasses de l’incarcération systématique

Ainsi, sans vouloir simplifier à l’extrême le sujet de la sanction des délinquants, la comparaison des systèmes des États-Unis et des pays nordiques semble bien prouver que l’accompagnement des auteurs assure une plus grande sécurité pour l’ensemble de la société que l’incarcération seule. Il faut ajouter à cela que le recours à l’incarcération systématique accroît le problème de surpopulation carcérale alimentant ainsi l’augmentation de la délinquance carcérale et l’enracinement de certaines personnes détenues dans la criminalité. Précisons avant de poursuivre qu’il existe toujours des cas où la remise en liberté reste problématique pour des sujets atteints de troubles psychiatriques graves. La faiblesse des dispositifs de suivi et de soins en santé mentale ne permet pas d’assurer la sécurité de la société en livrant à eux-mêmes ces personnes. Mais il ne faut pas que ce faible pourcentage de la population carcérale justifie toute la politique carcérale. En France, les alternatives à l’incarcération existent mais insuffisamment utilisées pour des diverses raisons comme les travaux d’intérêt général. Par ailleurs l’action des services de réinsertion est limitée par la faiblesse des effectifs mais il est certain qu’elle est capitale pour réduire le nombre ou la durée des incarcérations.

 

Illustration: US marshal et prisonniers aux États-Unis (Photo Shane T. McCoy/United States Marshals Service).

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