La force du groupe
Une première prière qui fait changer de regard et de vie. Un discours sur la montagne qui a toujours du mal à passer mais qui finit par libérer de «l’incapacité à pardonner»: deux histoires de prison qui témoignent de la force que l’on trouve dans un groupe qui nous écoute.
Texte publié sur le blog de l’Aumônerie protestante des prisons.
«Avant, je ne pensais qu’à moi»
Début janvier, je me rends dans la cellule de Joris. Il se lève d’un seul bond de son lit et m’accueille chaleureusement: «Il faut que je vous dise ce qui m’est arrivé depuis le culte de Noël…».
Nous avions organisé un culte avec la participation d’une chorale Gospel très vivante. Deux choristes ont témoigné avoir frôlé la prison dans leur jeune âge et comment Dieu les avait repêchés in extremis. Beaucoup de détenus avaient été saisis par ce qu’ils avaient entendu. Joris était du lot:
«Je suis allé voir une des personnes présente et je lui ai parlé de mes soucis d’addictions multiples. Il m’a expliqué comment il a été délivré en demandant à Dieu de l’aider à se libérer. En remontant dans ma cellule je me suis dit: si ça a marché pour lui, pourquoi ça ne marcherait pas pour moi? Et j’ai prié pour la première fois de ma vie de manière sincère. Depuis, je n’ai plus touché une cigarette ni un joint, je n’en ai plus envie. Pourtant, j’ai commencé à me droguer à l’âge de 14 ans. J’en ai 28. Avant, je ne pensais qu’à moi, à mes affaires. Maintenant, je prie pour toute ma famille, ma fille, pour les personnes qui sont ici. Quand j’arrête de prier, je suis étonné car il y a une demi-heure ou trois quarts d’heure qui sont passés… Je n’ai pas vu passer le temps».
Je suis émerveillé par ce que Joris me dit, je l’encourage à témoigner lors de notre prochain groupe de partage. Le samedi suivant, Joris témoigne de ce qu’il a vécu. Tous sont unanimes: «Tu as vraiment une autre tête». Et les uns après les autres commencent à témoigner de ce qu’ils ont vécu ces derniers temps comme relation personnelle avec Dieu. Nous avons prié les uns pour les autres sans retenue. Un pur moment de grâce dont chacun est ressorti affermi. Le témoignage, la prière, ça marche!
«Pourquoi Il nous demande cela?»
Depuis le mois d’avril, nous avons mis en place un groupe de partage au niveau du quartier femmes. Après un moment de chants et de prière, nous prenons un texte biblique afin de partager ensemble ce qu’un texte vieux de 2000 ans peut nous apporter aujourd’hui ici, en détention. Le texte que nous avons pris pour le dernier groupe de partage était Matthieu 5,43-48:
«Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
Et moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent».
Après quelques instants de silence, les langues se délient:
«C’est difficile»,
«C’est impossible»,
«Pour quoi faire, aimer son ennemi?»,
«Ce serait bien d’y arriver… mais comment?»,
«Pourquoi Il nous demande cela?»
La discussion commence à prendre forme. Martine, joviale depuis le début de l’après midi, est restée silencieuse, fermée, le regard s’arrêtant à 30 centimètres devant elle. Tout à coup, tel un volcan dont la lave remonte doucement mais inexorablement du tréfonds de la terre, les dents serrées et d’une voix lente et déterminée elle se met à parler:
«Après tout ce qu’il m’a fait, je ne pourrai jamais lui pardonner: il m’a pourri ma vie. J’y pense jour et nuit».
Silence… Comment rebondir après ce déversement de souffrances, de haine et de vie brisée? Chacun va de son conseil pour atténuer cette douleur, cette violence reçu en pleine tête. Après avoir discuté sur les conséquences négatives de la haine sur sa vie nous sommes arrivés à la question:
«Tu ne peux pas pardonner, c’est compréhensible. Mais veux tu pardonner?».
«Oui, j’aimerais…»
Une autre détenue nous a dit, concernant sa situation:
«Il n’aura pas ma haine, je veux lui montrer que je suis plus forte intérieurement que mes sentiments».
La volonté de pardonner doit venir de l’homme mais la force de le faire ne peut venir que de Dieu seul. À la fin du groupe de partage, Martine s’est sentie libérée de cette incapacité à pouvoir pardonner mais elle a senti également sa responsabilité de vouloir pardonner.
Illustration: Réconciliation de Jacob et Esaü (Giovanni Battista Tiepolo, 1724-29, Palazzo Patriarcale, Udine).