Prisons: démystifier la culture
«Chaque être humain a droit à une deuxième chance et la culture et l’enseignement contribuent à la leur donner»: être responsable locale de l’enseignement dans un centre de détention, c’est être «à l’interface de l’Éducation nationale et de l’Administration pénitentiaire: enseignante, coordinatrice, chef d’établissement». À Casabianda comme à Châteaudun, c’est rendre la culture «accessible, abordable et désirable».
Texte publié sur le blog de l’Aumônerie protestante des prisons.
Chaque nouvel arrivant dans un centre de détention rencontre divers intervenants parmi lesquels la (ou le) responsable local de l’enseignement (RLE). Nous avons rencontré celle qui assure cette mission à Casabianda, en Corse. Cette mission est d’abord d’évaluer les besoins et de connaître les attentes des personnes détenues, et ensuite d’organiser l’enseignement, la formation qui répondront à ces besoins. Une part de cet enseignement est assuré par la RLE mais elle ne peut évidemment pas répondre à toutes les attentes. Elle cherche alors à établir des partenariats locaux (Université, autres enseignants…), ou orienter sur des cours par correspondance (CNAM, Auxilia…) ou à trouver toute solution pour répondre à la demande. Ainsi, pour satisfaire le souhait d’une personne détenue malentendante qui aurait aimé apprendre le langage des signes, elle a pu mettre à disposition, après des recherches, des cours en ligne ! Par ailleurs, lors de l’entretien avec le nouvel arrivant, elle doit évaluer analphabétisme ou illettrisme et assurer les cours de mise à niveau car toute personne incarcérée doit connaître la langue française ainsi que tout allophone.
Voilà donc le cadre de sa fonction qui la place ainsi à l’interface de l’Éducation nationale et de l’Administration pénitentiaire: enseignante, coordinatrice, chef d’établissement,…
Mais pourquoi choisir d’enseigner dans une prison ? Quel chemin l’y a conduit ? Notre enseignante a commencé par faire des études de linguistique car elle est passionnée de littérature mais aussi par les mots. Diplômes en poche, elle part enseigner en Bulgarie où, pendant deux ans, elle participe à la refonte du système d’éducation de ce pays. Puis retour en France où elle obtient le CAPES de lettres sans être vraiment intéressée par l’enseignement dans les établissements scolaires classiques. Elle choisit alors de pratiquer dans le service psy d’un hôpital parisien auprès d’un public d’enfants souffrant de troubles cognitifs et d’apprentissage, et pour certains d’autisme. Puis elle s’oriente sur l’enseignement auprès d’un public d’adolescents en rupture dans un établissement spécialisé. Clairement, la volonté de notre RLE est de visiter des mondes périphériques. Et elle ne va pas en rester là.
À cette époque, elle est littéralement percutée par la lecture de L’Adversaire, l’ouvrage dans lequel Emmanuel Carrère raconte l’histoire de Jean-Claude Romand (qui avait assassiné sa femme et ses enfants) et elle rencontre l’enseignant qui précisément suit Jean-Claude Romand au centre de détention de Châteaudun. C’est ainsi qu’elle décide d’intégrer l’Administration pénitentiaire.
En complète cohérence avec ses choix antérieurs, elle explique:
«Je suis curieuse de connaître plus profondément la nature humaine. J’aime bien comprendre ce qui est arrivé aux personnes que je rencontre en prison alors que moi-même, j’ai eu une enfance sans problème. Chaque être humain a droit à une deuxième chance et la culture et l’enseignement contribuent à la leur donner car tant que l’on n’a pas les mots, la violence est le principal moyen d’expression. J’espère qu’ils changeront de trajectoire avec ce que j’aurai pu leur apporter».
À Châteaudun, la population carcérale était bien différente de celle de Casabianda: beaucoup de radicalisation, des détenus violents, souvent allophones et certains terroristes. La tension était souvent palpable, d’autant que le représentant de l’enseignement est une femme. Pour les étrangers, le parcours qui les a menés en prison est classique: la grande misère les contraint à quitter leur pays et à vivre de trafic. Pour d’autres, c’est une misère plutôt culturelle celle-là qui les pousse à chercher un sens à leur vie et penser le trouver dans des actions violentes. Mais l’expérience vécue à Châteaudun prouve que pour la plupart, l’accès aux outils de la réflexion permet d’avancer sur ce chemin qui donne un sens à l’existence.
Cet univers étrange et inconnu qu’est pour eux la culture
Contexte complètement différent à Casabianda où tout semble plus calme et serein, sans violence apparente. Les profils sont différents et notre RLE y trouve aussi bien une tendance à vouloir rester dans l’enfance, ne pas grandir pour certains et pour d’autres de tout considérer dans un rapport de dominant à domineé. C’est pourquoi elle tente d’y remédier en aidant à grandir d’un côté et de recréer un équilibre dans les rapports d’égal à égal pour les autres.
Alors pour y parvenir, en plus de l’enseignement des maths, des langues ou du français, elle oriente vers les études d’ouvrage (cette année, au programme du bac, ils étudient la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, particulièrement bien venu dans un établissement où la majorité des personnes détenues sont ici pour mœurs !) et favorise les évènements littéraires: ainsi elle a organisé avec dix d’entre eux la participation au Goncourt des détenus et au concours Au-delà des lignes, atelier d’écriture proposé par la fondation M6.
Mais la ligne directrice de toutes ces actions est, pour notre RLE, de démystifier la culture, de la rendre accessible, abordable et désirable. La vulgarisation doit permettre à chacun de connaître cet univers étrange et inconnu qu’est pour eux la culture. Et elle en a eu une illustration marquante lors des débats sur le choix de l’ouvrage pour le Goncourt des détenus où, malgré les origines sociales très contrastées des dix jurés, chacun a pu exprimer avec pertinence les raisons de ses choix.
Pour répondre à la question de savoir si l’enseignement occupe une place suffisante en prison, la réponse de la RLE est claire: «Tout dépend de l’investissement que la (le) RLE y met».
Illustration: à l’entrée du centre de détention de Châteaudun.